En Mauritanie, une nouvelle loi pour vaincre enfin l’esclavage
Pour tenter de se débarrasser de l’esclavage, qui y perdure en dépit de son interdiction, la Mauritanie s’est dotée d’une nouvelle loi en en faisant « un crime contre l’humanité ». Reste à l’appliquer pleinement, selon les défenseurs des droits de l’Homme.
Tous trois avaient été arrêtés en novembre 2014, puis jugés et condamnés en janvier à deux ans de prison ferme pour notamment "appartenance à une organisation non reconnue".
Durant sa campagne électorale, M. Ould Abeid, juriste et historien, avait qualifié la législation alors en vigueur contre l’esclavage de "vernis" à destination de la communauté internationale, assurant que la pratique n’avait jamais été abolie en Mauritanie car, avait-il dit, "malgré les lois, il n’y a jamais eu de répression de l’esclavage".
Au contraire, avait-il accusé, "ceux qui sont réprimés, ce sont toujours les militants antiesclavagistes" et "les esclaves qui aspirent à la liberté, à l’égalité".
Officiellement, l’esclavage a été aboli en 1981 dans ce pays de 3,8 millions d’habitants d’origine arabo-berbère – les Maures – et d’Afrique subsaharienne – les Négro-Africains.
Depuis 2007, une loi criminalisait le phénomène. C’est elle qui a été remplacée par le nouveau texte adopté par les députés et les sénateurs, faisant désormais de l’esclavage un "crime contre l’humanité". Les peines maximales encourues passent à 20 ans de prison ferme assorties d’amendes, contre cinq à dix ans auparavant.
La nouvelle loi incrimine de nouvelles formes d’esclavage, dont le mariage forcé d’une esclave présumée moyennant une contrepartie, sa cession à un tiers, ou son legs à la mort à un tiers. Elle institue aussi des juridictions spécialisées pour les infractions relatives à l’esclavage.
De nombreux observateurs notent que la pratique perdure dans toutes les couches de la société mauritanienne à la hiérarchie complexe et en cours de mutation, articulée autour d’ethnies, de tribus, elles-mêmes subdivisées en castes.
En Mauritanie, personne ne se dit en mesure d’en estimer le nombre de victimes, mais un rapport mondial sur l’esclavage publié en novembre 2014 par l’ONG australienne Walk Free les évalue à près de 156.000 personnes, environ 4% de la population.
"Ce chiffre ne correspond à rien, car il n’existe pas d’esclaves quantifiables dans le sens de l’appropriation de l’homme par l’homme, mais seulement des séquelles et des survivances du passé, aujourd’hui identifiées et combattues", soutient Cheikh Ahmed Ould Zehav, ancien diplomate et membre du parti au pouvoir.
Pour lui, la nouvelle loi est "incontestablement une avancée significative" née d’une "volonté politique claire" contre l’esclavage. Elle rétablit l’ancien esclave "dans sa dignité" et en fait un "citoyen à part entière".
– "Pourvu que ce soit bien appliqué" –
Le président mauritanien Mohamed Ould Aziz, au pouvoir depuis 2009, s’est engagé à éradiquer ce phénomène. Il avait déclaré en mai qu’il ne subsistait en Mauritanie que "des séquelles" de l’esclavage, accusant les ONG d’en faire "un fonds de commerce".
Des manifestations contre l’esclavage et en faveur des droits des Haratines, les anciens esclaves, y ont été régulièrement organisées à l’initiative d’ONG.
Alioune Tine, responsable d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, rentré récemment d’une mission sur place, reconnaît aussi "la volonté des pouvoirs publics de mettre fin à l’esclavage" en Mauritanie.
"Mais il y a des résistances aussi bien chez les anciens maîtres que chez les Haratines qui ne sont pas suffisamment émancipés et ignorent leurs droits", note-t-il, "c’est vers ce public que doit porter la sensibilisation. Mais un pas important a été fait avec la nouvelle loi".
L’ONG mauritanienne SOS Esclaves attendait un tel texte "depuis longtemps, parce qu’il faut lutter contre l’esclavage avec sérieux et donner aux victimes toutes les chances" d’émancipation, affirme son président, Boubacar Messaoud.
Hammady Ould Lehbouss, un porte-parole de l’IRA, est plus mesuré dans son enthousiasme, indiquant que son ONG avait proposé des amendements à la nouvelle loi qui ont été "ignorés".
L’IRA avait notamment suggéré que la peine maximale soit portée à 40 ans de prison ferme "quand le contrevenant est un membre des forces de l’ordre par exemple", explique-t-il.
Même si le texte est "boiteux à certains endroits, avance-t-il, l’IRA le considère comme un pas important "dans le combat pour la liberté, pourvu que ce soit bien appliqué".