Crise sanitaire: Agnès Buzyn livre ses explications à la commission d’enquête
À peine tournée la page de sa cuisante défaite aux élections municipales à Paris, l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn se retrouve sur la sellette mardi, face aux députés désireux de « tirer les leçons » de la crise du coronavirus.
Celle qui assurait le 23 janvier que la France était « extrêmement bien préparée » à cette épidémie apparue en Chine un mois plus tôt, à la veille de la découverte des deux premiers cas sur le territoire, sera invitée par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale à se justifier sur l’état de préparation du pays aux risques de pandémie.
L’ancienne ministre sera d’autant plus attendue au tournant qu’elle a choisi de quitter précipitamment le ministère le 16 février pour porter les couleurs de la majorité LREM dans la campagne à Paris, après avoir assuré quelques jours plus tôt avoir « un agenda très chargé », du fait notamment de la crise du coronavirus.
Longtemps décrite comme la « bonne élève » du gouvernement, Agnès Buzyn devra aussi s’expliquer sur son interview polémique au Monde, au lendemain du premier tour des élections municipales, où elle affirmait notamment avoir « alerté le directeur général de la Santé » dès le 20 décembre et « envoyé un message au président sur la situation » le 11 janvier.
« Je donnerai mes explications à la commission d’enquête parlementaire et avec grand plaisir », affirmait-elle le 20 juin.
Une question sera au cœur des débats: qui est responsable de l’évaporation du stock stratégique d’État de masques de protection?
En avril 2010, il atteignait 1 milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de masques FFP2, plus protecteurs, a indiqué le 24 juin à la commission d’enquête Didier Houssin, directeur général de la Santé (DGS) de 2005 à 2011.
Mais début 2020, ce stock était réduit à 117 millions de masques chirurgicaux pour adultes, 40 millions de masques pédiatriques, et plus aucune réserve de FFP2.
« Choix délibérés »
Lors de la première audition de la commission, le 16 juin, les députés s’étaient montrés peu satisfaits des réponses de Jérôme Salomon, l’actuel directeur général de la Santé, numéro deux du ministère.
Ils auront donc sûrement à cœur d’interroger sa « patronne » d’alors sur les suites données à un courrier de l’agence sanitaire Santé publique France, qui recommandait en 2018 de reconstituer le stock de masques à hauteur d’un milliard d’unités.
Ce courrier avait été adressé au DGS fin septembre 2018. En octobre, Jérôme Salomon avait donné l’ordre de commander seulement 100 millions de masques.
La commande n’a ensuite été effectivement passée qu’en juillet 2019: seuls 32 millions de masques sont arrivés au cours de l’année 2019, le reste n’étant reçu qu’en février dernier, alors que l’épidémie de Covid-19 venait d’atteindre la France.
« Il y a eu des choix délibérés qui ont été faits par le directeur général de la Santé et par un certain nombre de responsables en place sur la diminution de ces masques », a accusé la semaine dernière le chef de file des députés LR, Damien Abad.
Les députés auditionneront ensuite tous les prédécesseurs d’Agnès Buzyn depuis 2003: Marisol Touraine et Roselyne Bachelot mercredi, Xavier Bertrand jeudi.
Le précédent de la pandémie de grippe H1N1 en 2009 sera dans toutes les têtes puisqu’il pourrait avoir influencé certains choix qui ont amené à la situation actuelle.
A l’époque, Roselyne Bachelot avait été très critiquée pour avoir commandé trop de vaccins (94 millions de doses, dont seulement 6 millions avaient été utilisées) face à une pandémie finalement moins grave que redoutée.
« Nous avons été critiqués pour avoir été trop dépensiers » et cela a « selon moi joué un rôle majeur dans l’affaiblissement de la préparation au risque pandémique », a assuré Didier Houssin lors de son audition.
Ironie du sort, l’épidémie de Covid-19 a signé le retour en grâce de Mme Bachelot, en qui l’opinion veut aujourd’hui voir l’incarnation d’un principe de précaution oublié par ses successeurs.
Les travaux des députés cohabiteront avec ceux du Sénat, dominé par l’opposition de droite, qui doit officialiser mardi la création de sa propre commission d’enquête, ainsi qu’avec la « mission indépendante nationale » d’évaluation, installée jeudi par Emmanuel Macron et présidée par l’infectiologue suisse Didier Pittet.