Moussaoui à Atlasinfo: Le débat sur la laïcité risque d’ouvrir grandes les portes des dérapages et des dérives.
Le débat sur la laïcité ne rassure pas le Conseil français du culte musulman (CFCM). Loin de là. Cette inquiétude est d’autant plus forte que le débat sur l’identité nationale a été ponctué de nombreux propos et expressions déplacées, voire même de dérapages, s’alarme Mohammed Moussaoui, président du CFCM dans cette interview qu’il nous a accordée au lendemain de la conférence qu’il a animé jeudi 17 mars au Centre d’Accueil de la presse étrangère sous le thème : ‘’Position du Conseil français du culte musulman sur l’organisation du débat sur la laïcité’’.
M.Moussaoui : Il faut rappeler d’abord qu’il s’agissait au départ d’un débat sur l’islam. Il a été transformé, finalement, en débat sur la laïcité. Et il ne fait aucun doute que compte tenu des premières déclarations, que ce débat va se focaliser essentiellement sur l’islam. Cela inquiète les musulmans de France, car ils considèrent que c’est encore un débat qui risque de les stigmatiser. Notre inquiétude est d’autant plus justifiée que le débat sur l’identité Nationale, malgré les précautions affichées et les nombreux appels à la vigilance, avait donné lieu à de nombreux dérapages. Nous souhaitons donc, comme nombre de concitoyens, de responsables politiques et religieux, son annulation tout en rappelant que les musulmans de France ont toujours exprimé leur attachement au principe de la laïcité, lequel principe vise deux objectifs que sont d’une part la liberté de conscience et le libre exercice des cultes et d’autre part l’égalité de tous les citoyens devant la Loi, indépendamment de leurs convictions religieuses ou philosophiques.
-Atlasinfo : La concrétisation de ces deux objectifs semble sinon impossible du moins très difficile..
-Moussaoui : C’est vrai que la tâche n’est pas aisée, mais pour y parvenir, deux outils appropriés sont mis en œuvre : La neutralité de l’Etat et sa séparation de la religion. La marche vers les deux objectifs de la laïcisation, nécessaires à tout vivre ensemble pacifié dans une société multiculturelle, ne va pas en général sans conflit. L’histoire de la laïcité française en est la parfaite illustration. La Loi de 1905 et ses différents aménagements constituent aujourd’hui un point d’équilibre dont toute remise en cause risque de poser plus de problèmes qu’elle prétend résoudre.
Atlasinfo : Que craignent les musulmans de France au juste ?
M.Moussaoui : Les musulmans de France sont profondément attachés à la liberté d’expression. Cependant ils craignent que les conditions d’un débat serein autour d’un principe aussi fondamental que la laïcité ne soient pas réunies en cette période de campagnes électorales, d’un contexte international marqué par la situation préoccupante du monde arabo-musulman et de crispation identitaire instrumentalisée par les mouvements populistes et les extrémistes de tout bord.
Atlasinfo : Une des craintes majeurs réside dans l’insistance de certains pour que les prêches des imams soient uniquement en langue française..
M.Moussaoui : Le CFCM a effectivement exprimé son étonnement de voir émerger, avant même le lancement du dit débat, des propositions portant sur l’exercice du culte musulman, notamment l’interdiction de l’usage de l’arabe lors des prières et les prêches, en violation manifeste du principe de la laïcité qui interdit à l’Etat de s’immiscer dans l’organisation interne de quelque culte que ce soit. Ceux qui plaident pour l’usage de la seule langue française doivent savoir que dans les prêches, il y a une partie liturgique qui se fait dans la langue du texte coranique, à savoir l’arabe. Mais une autre partie du prêche est faite en français pour pouvoir transmettre aux fidèles non-arabophones. Cette situation s’est améliorée depuis des années, et il n’est pas rare d’observer que des imams coupent leur prêche en deux parties : une en arabe et l’autre en français. Le nombre d’imams maîtrisant la langue française est en nette augmentation, et dans quelques années, cette question sera de l’histoire ancienne.
Atlasinfo : L’UMP entend évoquer d’autres sujets comme les lieux de culte islamiques en France, la formation des imams, le contenu de leur prêches..
Moussaoui : Certainement. Mais il faut dire que plusieurs questions projetées dans ce dit débat ont déjà fait l’objet d’étude par de nombreuses commissions dont celles de Stasi en 2003, du Conseil d’Etat en 2004 et de Machelon en 2006. Un groupe de travail qui réunit les principaux cultes et le bureau central des cultes a permis d’exploiter partiellement les rapports de ces commissions. Aujourd’hui, il convient de donner à ce groupe les moyens de travailler dans la sérénité au lieu de lancer un nouveau débat qui risque d’ouvrir grandes les portes des dérapages et des dérives.
Atlasinfo : Que pense le CFCM des prières dans la rue ?
M.Moussaoui : Il est important de souligner que les prières dans la rue sont un phénomène minoritaire et très marginal, qui ne concerne que quatre ou cinq lieux de culte au niveau national. Ces prières se font dans la rue à cause du manque de lieux de culte. Et je tiens à rappeler à ce sujet que les musulmans de France n’ont jamais demandé un financement public de la construction de leurs lieux de culte. Ils souhaitent uniquement que lors du traitement d’une demande de permis de construire, seules des considérations liées à l’urbanisme puissent être évoquées.
Atlasinfo : Certains exigent le contrôle de l’origine des fonds pour la construction des mosquées..
M.Moussaoui : La construction des mosquées est financée essentiellement par les fidèles eux-mêmes, contrairement à ce que pensent certains. Les financements étrangers restent marginaux par rapport aux apports des fidèles. Toute construction est un exemple à part dans son mode de financement. Le plus courant, c’est la souscription faite par les fidèles d’une localité, complétée avec des collectes organisées au niveau du territoire national à l’occasion de chaque prière du vendredi.
Atlasinfo : Pensez-vous que la situation de la laïcité en France serait différente si un gouvernement de gauche dirigeait le pays ?
M.Moussaoui : Le principe de la laïcité est inscrit dans la Constitution, et il serait dangereux qu’il soit appliqué différemment selon les couleurs politiques du gouvernement.
Atlasinfo : Que fait le CFCM pour contrecarrer les sentiments de rejet à l’encontre des musulmans ?
M.Moussaoui : Le CFCM œuvre à travers ses imams et cadres religieux pour la promotion d’un islam de modération et de juste milieu loin de toute expression extrémiste qui pourrait contribuer à la stigmatisation de la pratique religieuse musulmane et des musulmans dans leur ensemble. Il œuvre également pour la construction du Vivre ensemble en appelant au respect de l’Autre et à l’ouverture de l’esprit qui permet de comprendre les convictions de l’Autre.
Atlasinfo-Propos recueillis par Ahmed Elmidaoui