Soufisme et Identité
Le soufisme a vu ces dernières années ses étendards voler au gré des vents. Il est vrai que la spiritualité de l’islam a de quoi fasciner, elle qui prône l’amour de Dieu et de tous les êtres, la charité inconditionnelle, le respect de la nature, la paix sociale, l’égalité de tous, la tolérance tant recherchée de nos jours…
De transmettre dans des manuels scolaires leurs valeurs et leurs vertus universelles ?
De jeter des ponts salvateurs vers les autres traditions au contenu similaire?
De démontrer que le legs des saints ancêtres est de vigueur aujourd’hui plus que jamais, à un moment où nous assistons tous à une dangereuse perte de repères ?
A l’ère d’une mondialisation qui se cherche désespérément une âme, qu’a-t-on à donner à l’autre si l’on ne se connaît pas soi-même, si l’on n’a pas préservé ce que nous avons de plus précieux, notre identité ? Or, le soufisme est un pan central de l’identité marocaine ! N’allons pas loin, qui d’entre nous peut affirmer sans risquer de trahir sa mémoire qu’il n’a pas eu un grand-père ou une grand-mère soufi ?
Certes cet héritage spirituel, religieux, culturel, éthique et esthétique n’est pas étranger à nous, mais il émane de nous. Les sanctuaires des saints soufis jalonnent la géographie du pays comme leur sagesse a nourri l’histoire et façonné la personnalité toute particulière du Maroc.
Aussi une question s’impose à notre esprit tout entier la proie de ces interrogations : n’est-il pas indécent (n’ayons pas peur des mots !) de demeurer là à contempler les bras ballants la déperdition de ce patrimoine, tout en se mettant en spectacle dans un tourisme à la fois exhibitionniste et voyeur ?
Car d’aucuns ont fait du soufisme leur enseigne, et appartenant ou pas à une voie soufie, travaillant ou pas sur le soufisme, se réclamant ou pas de cet héritage, ils n’ont pas hésité à devenir des "marchands du temple". Assis sur le parvis du sanctuaire, ils s’adonnent allègrement à la quête effrénée du gain facile. Pendant ce temps, le manuscrit se détériore, l’enfant grandit sans mémoire, le repère se perd…
Le soufisme a tant à donner au monde d’aujourd’hui. Cela, nul ne peut le nier. Le grand métaphysicien français du XXème siècle René Guénon l’a bien affirmé dans ses dizaines d’ouvrages, notamment "la crise du monde moderne". A condition toutefois qu’on cesse d’y voir une denrée commercialisable, mais un trésor à partager dans une totale gratuité, cet esprit du don qui en est la pièce maîtresse.
En un mot, il est essentiel si l’on veut réellement accéder à la beauté et à la vérité du soufisme et les faire partager à tous ceux qui sont en quête, de cesser avant tout de nuire à la quintessence de son enseignement, et au dépôt de ses maîtres.
*Auteure de "Soufisme, quête de lumière", Zakia Zouanat est anthropologue. Docteur et chercheur à l’Institut des Études Africaines, elle travaille sur le patrimoine soufi du Maroc et ses prolongements dans le monde.