Longuement mutique, l’axe Paris/Rabat va frémir au rythme effréné de visites ministérielles, notamment celles des ministres des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de l’Economie, de l’Education, en plus d’une grande délégation du patronat français. La première, scrutée avec une curiosité politique certaine, est celle qui réunira ce lundi à Rabat les deux chefs de la diplomatie du Maroc et de la France, Stéphane Séjourné et Nasser Bourita. Cette image est censée illustrer le grand chemin parcouru ces dernières semaines pour briser le froid polaire qui caractérisait les relations entre les deux pays ces dernières années. Le tout sous forme d’une tension glaciale qui a totalement paralysé le dialogue politique à haut niveau.
Qui aurait pu, en effet, imaginer qu’en l’espace de quelques semaines, voire de quelques petits mois, le patron du groupe Renew au Parlement européen quitter son habit d’activiste anti-marocain au point de faire voter deux résolutions (non contraignantes) contre le Maroc et de faire avorter une autre contre le régime algérien pour incarner le personnage diplomatique qui s’apprête à recoudre les fils de la relation franco-marocaine ? Personne, y compris le ministre lui-même qui s’est retrouvé au gré de circonstances politiques internes à diriger la diplomatie française.
Dans sa stratégie de communication à l’égard du Maroc, Stéphane Séjourné avait évoqué une mission confiée par le président Emmanuel Macron pour s’investir personnellement dans la réconciliation entre la France et le Maroc. Pour de nombreux observateurs, le côté personnel de cette mission n’a d’égal que l’investissement tout aussi personnel que le ministre avait mis en œuvre pour tenter d’atteindre l’image et les intérêts du Maroc dans les couloirs capitonnés du Parlement européen.
Cette somme de postures et d’attitudes que le Maroc avait mal digéré et qu’il considérait comme une directive du palais de l’Elysée eu égard à la grande proximité politique entre Emmanuel Macron et Stéphane séjourné, l’actuel ministre français des Affaires étrangères la résume sous le vocable « d’incompréhensions » et que sa première mission au Maroc va tenter de lever. Mais ce qui est une incompréhension du côté français est une divergence stratégique côté marocain. Car au grand tréfonds de cette crise entre Rabat et Paris niche ce refus français de s’inscrire dans une logique de reconnaissance pleine et entière de la souveraineté du Maroc sur ses provinces sahariennes.
Et ce qui augmente la déception marocaine est que cette posture française n’est pas le fruit d’une conviction solidement installée, mais que le clair-obscur et la grande hésitation française sur cette problématique résultent de la crainte de déplaire au régime politico-militaire algérien. Alger a en effet fait de la reconnaissance française de la marocanité du Sahara une ligne rouge, voire une déclaration de guerre.
Quel message portera Stéphane Séjourné aux Marocains ? Va-t-il conforter la tendance prise par l’ambassadeur français Christophe Lecourtier qui, sur le plan du langage diplomatique, a fait bouger les lignes ? Christophe Lecourtier est un des rares diplomates d’Emmanuel Macron à avoir mis ouvertement le doigt sur l’un des points de blocage de la relation entre le Maroc et la France. Très vraisemblablement avec le feu vert de l’Elysée dont il est proche. « Il serait totalement illusoire, irrespectueux et stupide de considérer qu’on va construire ce que j’espère on arrivera à construire (…) pour le bonheur de nos deux nations (…) sans clarifier ce sujet », avait-il déclaré. L’ambassadeur Lecourtier a ainsi pavé le chemin au ministre Séjourné, lequel doit fort probablement s’engouffrer dans cette brèche.
Un autre enjeu de ce déplacement de Stéphane Séjourné à Rabat est la préparation politique d’une visite d’Etat d’Emmanuel Macron au Maroc. Cette visite a été à plusieurs reprises reportée car les autorités marocaines voulaient une incarnation d’une évolution majeure et non une éphémère photo souvenir du lien entre la France et le Maroc. Elles voulaient que Macron vienne au Maroc porteur d’un tournant et d’une accélération majeure dans le partenariat entre Rabat et Paris. C’est dire à quel point les attentes sont grandes pour que cette visite annonce une véritable embellie des relations entre les deux pays.