Le Roi Mohammed VI préside la première causerie religieuse du mois sacré de Ramadan
Cette causerie a été animée par le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, sous le thème « Les fruits de la foi dans la vie humaine », en s’inspirant du verset coranique : « Quiconque, mâle ou femelle, fait une bonne œuvre tout en étant croyant, Nous lui ferons vivre une bonne vie. Et Nous les récompenserons, certes, en fonction des meilleures de leurs actions » (sourate Annahl).
M. Toufiq a souligné à l’entame de son intervention que la bonne vie promise par le Créateur dans le Coran est subordonnée à deux conditions majeures, en l’occurrence la foi et les bonnes actions, relevant que la foi sous-tend la bonne vie et permet à l’homme de réaliser les bonnes actions.
Selon lui, nombre d’exégètes ont livré des interprétations diverses du verset cité plus haut, notamment Tabari qui associe la bonne vie au bonheur et à la satisfaction, Taalibi qui la relie à la douceur de la soumission, et Baghaoui qui la renvoie à la fortune licite, alors qu’Ibn Achour a fait observer que les femmes comme les hommes ont droit à la promesse de la bonne vie.
Au-delà de leurs divergences, a-t-il noté, ces interprétations s’accordent sur la centralité de la dimension psychologique en termes de sensation et de réception, l’homme étant dans les deux cas de figures appelé à en rendre grâce au Seigneur.
Ce qui est certain est que le Tout-Puissant n’a pas créé la vie arbitrairement, mais Il l’a entourée de beauté, y a placé l’homme en vicaire et y a envoyé des prophètes, a relevé M. Toufiq, précisant que le Créateur, connaissant la faiblesse de l’homme, l’a néanmoins mis en garde contre la tentation de la vie subalterne.
Il a ce propos souligné que l’Unicité d’Allah est le fruit de la foi conformément au verset coranique «Dis : Il est Allah. Unique », faisant remarquer que les soufis se désignaient comme les gens de l’Unicité, celle qui s’évertue à adjoindre les bonnes actions à la simple profession de la foi et des paroles.
Pour lui, les quatre missions du Prophète consistent à transmettre la révélation, à changer la situation des croyants en commençant par une éducation spirituelle appelée « Tazkiya (purification) », à enseigner les obligations et le rejet des interdits, et à apprendre la sagesse, les vertus pratiques et les connaissances spirituelles que comporte le Livre saint.
Revenant justement sur le concept de la purification et ses différentes interprétations chez les exégètes, il a estimé que la «Tazkiya» va au-delà de la purification du polythéisme et du rejet des idoles qui ceinturaient le périmètre de la kaâba à La Mecque.
«Cette interprétation littérale a privé une partie de la Oumma de l’une des plus précieuses orientations coraniques en Islam, celle qui consiste à se prémunir comme il se doit de l’idole que porte tout homme en lui et qu’il risque d’aduler et de suivre, en l’occurrence l’idole de l’âme», a-t-il indiqué.
Notant que l’âme est décrite dans le Coran sous trois aspects, «l’âme incitatrice au mal», «l’âme qui ne cesse de se blâmer» et «l’âme apaisée», il a relevé que l’acte de la purification vise précisément à magnifier l’amour d’Allah, du prophète et des croyants, l’enseignement du Livre n’étant pas destiné à encourager la connaissance uniquement, mais à traduire le savoir en actes tangibles.
C’est dans cette perspective qu’il s’est arrêté sur le concept de l’égoïsme, soutenant que la purification, adossée à l’Unicité du Créateur, opère une transformation profonde dans la psyché du croyant et lui permet de se débarrasser de son égoïsme pour épouser l’altruisme, la bonne vie étant par essence une vie collective et non pas une entreprise individuelle.
A la lumière de cet enseignement du Prophète en lien avec la purification de l’âme, M. Toufiq a précisé que le musulman promis à une bonne vie se doit de s’attacher à l’adoration d’Allah Unique, se débarrasser de l’avidité et de l’avarice, de faire valoir la piété comme unique critère de préférence entre les hommes, de rechigner à toute tentation de corruption et de respecter toutes les créatures du Seigneur.
Le conférencier a fait état d’une floraison de publications qui critiquent l’ordre mondial actuel et les modes de vie en vogue, dans leur acception libérale comme au niveau de la critique philosophique de la pensée moderniste qui les sous-tend. Il a cité à ce propos une série d’ouvrages de Pitrim Sorokin, fondateur de la sociologie américaine à l’Université de Harvard et théoricien de l’amour altruiste et désintéressé.
M. Sorokin, a-t-il expliqué, a élaboré une théorie globale et inclusive sur la vertu de l’altruisme qui rejoint parfaitement celle énoncée dans le Coran «(…) et qui [les] préfèrent à eux-mêmes, même s’il y a pénurie chez eux. Quiconque se prémunit contre sa propre avarice, ceux-là sont ceux qui réussissent». Autant dire, selon lui, que le penseur américain fait valoir une théorie de l’amour altruiste capable de juguler les conflits destructeurs qui s’aggravent à tous les niveaux.
Pour changer le monde, M. Sorokin recommande de passer d’un mode de production désorganisé à un mode qui privilégie les besoins des gens, a-t-il poursuivi, soutenant que cette option, loin d’être utopique, est tout à fait réalisable.
Revenant sur le bien-être (Well-being) en vogue aux Etats-Unis et dans d’autres pays dits développés, M. Toufiq a fait remarquer que ce concept est un phénomène subjectif qui renvoie à un équilibre précaire entre les impacts positifs et négatifs dans le rapport affectif qu’entretient l’être humain avec la notion du plaisir.
De par son caractère insaisissable, le bien-être, a-t-il dit, a connu des déviations que la pensée mercantile a exploitées à fond pour écouler des denrées alimentaires et des produits de plaisir et de maquillage, souvent accompagnés de réclame douce ou de publicité tapageuse sur les mass-médias.
Ont émergé dans la foulée des modes de vie, des formations et des pratiques parfois non-réglementées, ainsi que des hordes de prétentieux se vantant de vertus psychologiques et spirituelles qui frisent le charlatanisme, a-t-il poursuivi, relevant que cette offre exubérante s’apparente désormais à une agression pressante qui précipite de plus en plus les gens dans le gouffre de la dépression et de l’addiction.
Sur les possibilités de mener une bonne vie dans le contexte actuel, il a souligné que les musulmans s’en tirent plutôt bien grâce à leur foi apparente, notant toutefois que nombre d’entre eux n’aspirent plus à une bonne vie alliant satisfaction et dignité, mais semblent céder aux apparences trompeuses de cette vie, au well-being qui n’a de standard que la recherche du plaisir.
Ce dysfonctionnement, a-t-il expliqué, ne veut pas dire que les musulmans ont en général abandonné leur religion, mais il renseigne quand-même sur un nombre de tares ayant entaché leur histoire religieuse, y compris leur propension à s’enticher des détails aux dépens des finalités suprêmes, à la tête desquelles figure la quête de la foi profonde, celle qui façonne les bonnes actions.
Or, a-t-il indiqué, les gens sont amenés aux bonnes actions soit par la force de la loi avec ses mesures coercitives, soit par la force de la persuasion à travers le rappel des injonctions et des obligations énoncées par le Créateur.
En général, a-t-il estimé, l’observation de ces limites est soit complètement absente à cause de l’absence des prédicateurs ou elle est timidement présente et sans impact sensible, à cause de la faiblesse des méthodes de transmission face à la déferlante de la tentation des modèles exogènes et de leur influence sur les esprits.
Pour M. Toufiq, le rôle de l’Etat consiste à réunir les conditions d’une bonne vie via des programmes de développement, alors que la mission des oulémas et des prédicateurs est d’abord et avant tout de rappeler, via les médias traditionnels et nouveaux, les familles, les mosquées et les écoles, la centralité de l’Unicité d’Allah qui donne la liberté aux croyants et les prémunit contre les tentations.
Le Coran a cité, entre autres conditions de l’adoration d’Allah, le fait que le Seigneur ait nourri ses créatures contre la faim et les a rassurés de la crainte, a-t-il dit, ajoutant que ces bienfaits se ressentent autant dans la vie des individus que dans la réduction des charges qui incombent à l’Etat, notamment en matière de sécurité intérieure, de justice, et de santé sous tous ses aspects.
Le conférencier a souligné que les prédicateurs se doivent d’assumer leur rôle qui consiste à faire valoir les préceptes coraniques, qui est aussi la finalité de la création par Sa Majesté le Roi, Amir Al Mouminine, du Conseil supérieur des oulémas que préside le Souverain.
La convergence de ces transmissions avec les programmes mis en place par l’Etat pourrait amener à la création d’un modèle auquel aspire l’Humanité, a-t-il signalé, ajoutant que nombre d’observateurs avertis considèrent que le Royaume du Maroc dispose de tous les atouts lui permettant de réaliser ce modèle, en raison de son attachement à la religion et son ouverture sur l’exégèse qui tient compte des intérêts des gens et de leur aspiration à une vie digne et équitable.
Et de conclure que, grâce à la foi, la Oumma est dotée d’une énergie énorme qu’il importe d’explorer et d’en libérer les ressorts profonds pour un développement global au service de l’homme, son point de départ et sa finalité ultime.
À l’issue de cette causerie, SM le Roi a été salué par le grand mufti d’Egypte, Shawki Allam, le Cheikh Mohamed Mansour Sy, représentant du khalife général de la Tariqa Tijania au Sénégal, le Cheikh Moustapha Sonta, khalife général des Tidjanes, président de la Section de la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains en Côte d’Ivoire, le Cheikh Moustapha Diatra, conseiller du khalife général de la Tariqa mouridiya au Sénégal, le Cheikh Abdarrahmane Kanta, représentant du porte parole officiel de la Tariqa Qadiriya à Nyassia au Sénégal.
Le Souverain a également été salué par Hassan El Menai, professeur à l’Université Zitouna et membre du Conseil islamique supérieur de Tunisie, Mahmoud Abdou Zouber, président de la Section de la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains au Mali, Lang Delaney Vincent Zayd, président de la Section de la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains en Afrique du Sud et Abdelkader Cheikh Ibrahim président de la Section de la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains en Somalie.