Le film de Rachid Bouchareb « Hors-la-loi » avant Cannes?

Le député UMP Lionnel Luca accuse le film de Rachid Bouchareb de négationnisme sur les événements d’Algérie. Pascal Blanchard, historien, lui répond.

C’est un sport bien français que de lancer des polémiques sur des films sans les avoir vus. Après Indigènes (2006), qui avait fait couler beaucoup d’encre au Festival de Cannes, voici Hors-la-loi (sortie le 22 septembre), sélectionné à son tour en compétition, du même Rachid Bouchareb, avec Roschdy Zem, Jamel Debbouze et Sami Bouajila. Ou l’histoire de trois frères réchappés du massacre de Sétif et leur ascension criminelle en France sur fond de guerre d’Algérie.

Sans avoir vu le film, le député UMP Lionnel Luca (Alpes-Maritimes) dénonce une "falsification" historique, le taxe de "négationniste" et s’étonne que sa production ait pu bénéficier d’aides publiques. Il n’a pas hésité à alerter le secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, Hubert Falco, qui a alors demandé son expertise au service historique de la Défense. Le rapport a confirmé que le scénario contenait "erreurs et anachronismes". Une analyse réalisée d’après une des premières versions du script. En embuscade, un comité proche de l’extrême droite prévoit d’organiser des manifestations à Cannes. Du côté du cinéaste Rachid Bouchareb, on répond: "Ces gens n’ont pas vu le film. Seuls quelques historiens ont été conviés à une projection." Pascal Blanchard en faisait partie.

Se trouve-t-on face à une mauvaise polémique?

Lionnel Luca n’est pas n’importe quel député. Il a une histoire personnelle liée à l’Algérie. Il s’investit dans une guerre de mémoire depuis une dizaine d’années. Car il doit créer en juin avec Hubert Falco une fondation pour la guerre d’Algérie décriée par les historiens!

Dans le film y a-t-il matière à critique historique?

Pas plus que si on me demandait de voir si Coppola est précis sur la guerre du Vietnam dans Apocalypse Now! Donc, en tant qu’historien, je peux avoir quelques réserves parce que c’est mon métier. Le réalisateur, lui, montre en quelques minutes quinze jours de massacre et ne prétend pas refléter l’exacte réalité. Il n’y a ni tromperie ni mensonge. Hors-la-loi est une oeuvre de fiction, pas un documentaire. D’ailleurs, Rachid Bouchareb en a produit un sur le même sujet, nourri de témoignages, qui sera diffusé par France Télévisions en septembre. Je peux vous assurer qu’il n’a pas trahi l’Histoire. Lionnel Luca aurait aussi pu se demander pourquoi on ne voit pas les canonnières françaises bombarder les populations civiles et jeter les victimes dans des puits, recouvertes de chaux, avant l’arrivée d’une mission d’enquête envoyée par de Gaulle. Bouchareb a ouvert la boîte de Pandore.

On serait face à une manipulation?

Que doit-on penser en effet quand quelqu’un dénonce une oeuvre sans l’avoir vue, l’accuse de tous les maux, veut la faire interdire en la rendant illégitime? On est dans la censure! Je me demande pourquoi, depuis plusieurs jours, Frédéric Mitterrand, notre ministre de la Culture, lui-même réalisateur, homme de création et de liberté, n’a pas dit un mot. Le rapport du service historique de la Défense est instrumentalisé. On verra à Cannes que Hors-la-loi est un film important. Il va étonner les jeunes générations. Il dérange certains mais ne plaira pas non plus au régime algérien.

* Ruptures post-coloniales, ouvrage collectif, La Découverte, à paraître le 25 mai.

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