Le chef chiite Moqtada Sadr fait monter la pression en Irak
L’impétueux dignitaire chiite Moqtada Sadr revient sur le devant de la scène en Irak en faisant descendre des milliers de partisans dans la rue pour faire pression sur le pouvoir dans la lutte anticorruption.
Davantage en retrait depuis le départ des Etats-Unis en 2011, Moqtada Sadr a repris l’initiative en lançant une série de manifestations de masse ces dernières semaines, fort du soutien dont il jouit dans les classes populaires.
Cette mobilisation a pris de l’ampleur avec la tenue depuis vendredi d’un sit-it d’une durée illimitée aux portes de la Zone verte à Bagdad, où se concentrent les hautes institutions de l’Etat et de nombreuses ambassades. Des milliers de personnes y ont planté des tentes, défiant l’interdiction de rassemblement édictée par le gouvernement.
Elles réclament que soit mis fin à la corruption, au népotisme et au clientélisme qui gangrènent toute la classe politique et ont provoqué le délabrement des services publics.
"Il est temps pour vous d’éliminer la corruption et les corrompus", a lancé à ses partisans Moqtada Sadr, issu d’une influente famille religieuse de la ville sainte de Najaf.
Le chef chiite accentue ainsi la pression sur le Premier ministre Haider al-Abadi, qui avait proposé l’an dernier la mise en place d’un gouvernement de technocrates, capable de mettre en oeuvre des réformes anticorruption. Mais M. Abadi se heurte à la farouche résistance des partis –y compris du sien–, dont les dirigeants refusent de renoncer à leurs privilèges.
Moqtada Sadr affirme soutenir les propositions du chef du gouvernement, mais sa décision d’occuper les rues de la capitale met à mal M. Abadi à qui il a lancé un ultimatum d’une semaine pour présenter des noms pour un nouveau gouvernement.
"C’est une escalade à prendre au sérieux", estime Ahmed Ali, de l’Institut des études régionales et internationales de l’université américaine d’Irak.
"Sadr a déclenché cette mobilisation et ne reculera plus maintenant. Il est déterminé à aller jusqu’au bout", affirme de son côté Issam al-Faily, professeur de sciences politiques à l’université Mustansiriya de Bagdad.
– Imprévisible –
Depuis qu’il a pris la tête du gouvernement en 2014, et en dépit du soutien de la plus haute autorité chiite du pays, l’ayatollah Ali Sistani, M. Abadi n’a jamais bénéficié d’un très fort soutien de la part de ses propres ministres.
Ainsi, toute nouvelle réforme adoptée aujourd’hui serait considérée comme une victoire pour Moqtada Sadr et ravirait encore davantage les tensions avec les leaders chiites rivaux.
"Les sadristes tentent de revenir en force dans la sphère politique chiite irakienne, fortement morcelée en ce moment", affirme M. Ali.
Les principales personnalités de la majorité chiite, dont la plupart sont alignées à l’Iran, redoutent le retour sur scène de Moqtada Sadr, considéré comme un nationaliste de moins en moins lié à Téhéran.
Le dignitaire religieux, dont la popularité semblait écorchée, prouve qu’il reste capable, contrairement à d’autres, de rassembler de larges foules.
Son combat contre la corruption souffre toutefois de la présence de responsables du mouvement sadriste au gouvernement.
Pour faire taire les critiques, l’homme religieux a pris ses distances avec ces ministres perçus comme incompétents et corrompus.
"Il est impossible de savoir où va mener" la mobilisation lancée par Moqtada Sadr, connu pour être imprévisible, indique Kirk Sowell, qui publie la lettre d’information Inside Iraqi Politics. Les manifestations pourraient l’aider à "retrouver le statut de leader populaire qu’il rêve d’être", selon lui.
Mais M. Sadr a regretté samedi "la faiblesse de la couverture médiatique des chaînes irakiennes, arabes et internationales" du sit-in, selon lui le "plus important événement en Irak".