DSK : quand Marcela Iacub poignarde Anne Sinclair dans le dos en marge de son livre
« Belle et bête », c’est le livre de l’essayiste Marcela Iacub consacré à sa relation avec Dominique Strauss-Kahn. En marge de cette irruption de l’intime dans le champ politique, l’essayiste s’en prend aussi à Anne Sinclair, au risque de la déloyauté. La ligne jaune est-elle franchie ? Déryptage avec notre chroniqueur Bruno Roger-Petit.
A quoi bon ce livre ?
A quoi bon ce récit ?
A quoi bon s’en prendre encore au corps privé d’un roi qui n’a jamais été roi et ne le sera jamais ?
Le concept d’intimité enterré
Le chroniqueur n’a pas de réponses à ces questions. Il ne connait pas Marcela Iacub. Il la lit dans "Libération", tous les samedis, la voit, de temps à autre, dans l’émission de Frédéric Taddéi, "Ce soir ou jamais", sur France 3, et jusqu’à aujourd’hui, il la jugeait suffisamment iconoclaste, dérangeante et piquante pour en apprécier et la lecture et les interventions télévisées.
D’ailleurs, personne ne connait Marcela Iacub. Le fait que le "Nouvel Observateur" ait considéré que ce livre constitue une première dans le genre, cela va lui valoir une notoriété fulgurante, de celle que l’on finit par payer cher, et dont on peut ne jamais se remettre.
Si l’on dit ici que l’on ne connait pas Marcela Iacub, c’est aussi pour signifier que ce qu’elle rapporte de DSK, d’une intimité, nous interdit de commenter le sujet même de son ouvrage. C’est en cela, du reste, que le livre est terrible et dérangeant, monstrueux et atterrant, parce qu’il met à bas le concept même d’Intimité (et l’article 9 du Code civil avec), parce qu’on ne peut le discuter, le commenter et même le condamner.
Ce récit nous livre une part inaccessible de la vie d’autrui sans qu’on puisse s’en défendre, il s’impose et dispose de nous. Il n’est pas possible d’accepter l’entrée de l’intime dans le champ politique. Ce livre nous est infligé, et le choc est d’autant plus rude que la plume de Marcela Iacub ne répugne pas à user d’effets stylistiques redoutables, jouant de tous les contrastes.
Je n’ai jamais ressenti ce que Marcela Iacub rapporte
Mais si la révélation d’une intimité laisse pantois et nous expédie de facto dans la sphère de l’indicible, il en va tout autrement dès lors que son auteur délivre des jugements sur le caractère politique et éthique d’une personnalité publique. De ce point de vue, ce qu’elle déclare au "Nouvel Observateur", en marge de la publication des extraits de son livre, au sujet d’Anne Sinclair mérite, lui, d’être discuté.
Marcela Iacub raconte une entrevue avec Anne Sinclair, entrevue qu’elle reconnait avoir sollicité de manière déloyale, et la rapporte en ces termes :
"Elle a été très gentille, mais j’ai compris à quel point elle est convaincue qu’elle et son mari – car je rappelle qu’ils n’ont toujours pas divorcé – appartiennent à la caste des maîtres du monde. Elle m’a dit la phrase que je rapporte dans le livre : "Il n’y a aucun mal à se faire sucer par une femme de ménage." J’ai failli lui répondre que sucer, ce n’est pas le travail d’une femme de ménage comme passer l’aspirateur, qu’il faut demander ce genre de choses à une pute, etc. Mais, pour elle, le monde est séparé entre les maîtres et les serviteurs, entre les dominants et les dominés et c’est normal. Cela m’a un peu effrayée. Comme si on vivait dans la société de l’Ancien Régime."
Que l’on pardonne au chroniqueur, un instant, de livrer à son tour un sentiment tout aussi personnel que celui de Marcela Iacub.
J’ai eu l’occasion, ces deux dernières années, de croiser quelques fois le chemin d’Anne Sinclair, de m’entretenir avec elle, et pas seulement des sujets qui l’avaient contrainte à une surexposition médiatique sans équivalent dans l’Histoire politique de ce pays. Je n’ai jamais ressenti ce que Marcela Iacub rapporte.
Au risque de provoquer l’exaspération de ceux qui ont décrété, décrètent et décréteront toujours qu’Anne Sinclair est nécessairement coupable de quelque chose parce qu’elle est Anne Sinclair, je n’ai jamais eu le sentiment de me trouver face à une personnalité se considérant, par droit divin, comme un avatar de la noblesse d’Ancien régime.