Bombardement de Bouaké : la réaction des ministres français soumise à l’avis de la CJR

Faut-il poursuivre des ministres pour leur inaction présumée après le bombardement du camp militaire français de Bouaké (Côte d’Ivoire) en 2004 ? La Cour de justice de la République a été saisie pour avis sur la nécessité d’ouvrir une enquête, a-t-on appris mardi de source judiciaire.

La question, posée par la juge d’instruction qui menait l’enquête, était en suspens depuis trois ans. La Cour de justice de la République (CJR) est seule habilitée à juger les ministres pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Sollicité par l’AFP, le nouveau procureur général de la Cour de cassation a fait savoir qu’il estimait que "les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient pas là". Toutefois, "par souci d’impartialité", il a décidé de saisir la commission des requêtes de cette haute cour pour qu’elle se prononce à son tour.

Le procureur François Molins, qui agit en tant que ministère public de la CJR, lui demande de se prononcer sur les soupçons d’entrave à la saisine de la justice qui pèsent sur Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin et Michel Barnier, respectivement ministres de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires étrangères à l’époque des faits, selon cette source.

Le bombardement du camp de Bouaké par les forces loyales au président ivoirien d’alors, Laurent Gbagbo, qui avait causé la mort de neuf militaires français, d’un civil américain et blessé 38 soldats, avait inauguré l’un des épisodes les plus dramatiques de la longue crise ivoirienne. Immédiatement après cette attaque, menée le 6 novembre 2004, l’armée française avait détruit l’aviation ivoirienne, provoquant une vague de manifestations antifrançaises.

Le 7 janvier, la juge d’instruction a ordonné le renvoi devant les assises d’un ex-mercenaire bélarusse, Iouri Souchkine, et de deux officiers ivoiriens, Patrice Ouei et Ange Magloire Ganduillet Attualy. Mais ces trois hommes, visés par un mandat d’arrêt, n’ont jamais été remis à la justice française.

Au cours des 14 ans d’enquête, la magistrate s’était interrogée sur le rôle des trois ministres dans des dysfonctionnements qui avaient permis la libération de mercenaires ayant servi à l’aéroport d’Abidjan.

Peu après l’attaque, quinze mercenaires russes, bélarusses et ukrainiens avaient en effet été arrêtés à Abidjan par l’armée française, mais relâchés quatre jours plus tard. Puis, le 16 novembre 2004, huit Bélarusses avaient été arrêtés au Togo, parmi lesquels deux pilotes des avions Sukhoï-25 qui avaient bombardé le camp. Gardés à la disposition des autorités françaises, ils avaient pourtant été libérés.

La juge avait demandé en février 2016 cette saisine de la commission des requêtes de la CJR. Mais le procureur général d’alors, Jean-Claude Marin, s’était abstenu.

"J’ai bien pris note de la saisine de la commission des requêtes et de l’avis de François Molins", a réagi Jean Balan, avocat de soldats blessés et de familles de militaires décédés.

"Incompréhension est le mot le plus poli: ou le procureur général ne connaît rien du dossier Bouaké, ou il protège des intérêts particuliers", a-t-il poursuivi, estimant qu’il y avait "un conflit d’intérêt", M. Molins ayant été directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie au ministère de la Justice.

En 2013, la CJR avait déjà classé sans suite deux plaintes déposées par des proches de victimes accusant Mme Alliot-Marie de "complicité d’assassinats" et de "faux témoignage".

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