Agenda Femmes, Paix et Sécurité au Maroc : des efforts à consolider pour promouvoir le leadership des femmes

Par Fatima Lahnait* – Senior Associate Fellow Timbuktu Institute

Les Nations Unies s’apprêtent à commémorer le vingtième anniversaire de la Résolution du Conseil de Sécurité 1325 relative à l’Agenda Femmes, Paix et Sécurité adoptée le 31 Octobre 2000.

Cette résolution marque une étape décisive dans l’histoire des relations internationales en faveur de la promotion du leadership des femmes dans les domaines de la paix et la sécurité. Le Royaume du Maroc a-t-il mis en place les mesures qui s’imposent dans le cadre de cet Agenda ? Eclairage.

Des avancées fragiles

Depuis 2005, les États membres de l’ONU ont mis en œuvre les principes de la résolution 1325 en élaborant des plans d’action nationaux (PAN), d’une durée de trois ou cinq ans. Ils œuvrent à promouvoir et consolider les efforts réalisés dans la promotion du leadership féminin dans les domaines de la paix et de la sécurité en les mettant en valeur dans les contextes national et international.

Ce processus de PAN aide les pays à identifier leurs priorités en la matière, à définir les plans d’action et les ressources nécessaires.

Les autorités marocaines ont lancé et participent, depuis plusieurs années, à de nombreuses initiatives, notamment au travers du réseau de points focaux sur la thématique ‘Femmes, Paix et Sécurité’, et la formation de leaders religieux (prédicatrices et prédicateurs, imams) originaires de pays africains, européens. Le Maroc est d’ailleurs parmi les rares pays arabes, avec la Jordanie, à former des femmes prédicatrices afin que ces dernières puissent expliquer la parole religieuse à d’autres femmes, qui pourront à leur tour s’exprimer de façon éclairée sur les thématiques religieuses auprès de leurs enfants et de leurs familles. Il s’agit là d’une excellente initiative pour lutter contre l’obscurantisme qui va de pair avec l’ignorance.

Conscient de l’importance d’intégrer la dimension genrée comme une composante des initiatives de paix, le Maroc s’est officiellement engagé le 26 juin 2019, au siège du Ministère des Affaires Etrangères (MAEC), à lancer le processus d’élaboration de son –premier- Plan d’Action National 2020-2022 sur la thématique ‘Femmes, Paix et Sécurité’ (FPS), pour la mise en œuvre de la résolution 1325[1].

Un Comité de Pilotage interministériel a été établi, sous la supervision du MAEC. Les travaux de ce comité ont été répartis entre une ‘task-force’ chargée de rédiger le PAN et un groupe de réflexion dans lequel est intégré la société civile.

La conception de ce plan devait être réalisée en collaboration avec les départements ministériels concernés par cette thématique, des agences de l’ONU et des organisations de la société civiles qui luttent contre les violences domestiques et les normes patriarcales et militent en faveur de l’égalité.

Il s’agit en effet pour le Maroc de consolider les efforts entrepris pour promouvoir le leadership féminin (la parité est consacrée par la Constitution) dans les domaines de la paix et de la sécurité, en soutenant leur visibilité aux échelles nationale et internationale, et de conforter l’autonomisation des femmes et des filles (meilleure manière de garantir l’égalité des droits).

La présentation de ce plan d’action national, en 2020, devait  coïncider avec la célébration du 75ème anniversaire de l’Organisation des Nations Unies et, surtout, avec la commémoration du 20ème anniversaire de la résolution 1325, en octobre 2020. Ce PAN marocain se fait malheureusement encore attendre, même s’il y a lieu de signaler que le Maroc n’a pas attendu de se doter d’un pareil plan pour mener de nombreuses actions de terrain.

Ce n’est pas le seul : au 31 août 2020, seuls 86  États membres des Nations Unies  disposent de plans d’action nationaux 1325 du CSNU[2]. La mise en œuvre de l’agenda de la résolution 1325 repose en effet sur le volontariat, ce qui ne peut finalement qu’être déploré.

Près de 50% des Etats de l’Union Africaine ont adopté des PAN afin, notamment, d’intégrer les femmes dans les processus de paix, l’Afrique de l’Ouest se distinguant avec treize de ses quinze Etats membres ayant adopté un PAN.

Agenda Femmes, Paix et Sécurité : de quoi s’agit-il au juste ?

La résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies ‘Femmes, paix et sécurité’, adoptée le 31 Octobre 2000, est la première à reconnaitre et vouloir renforcer le rôle primordial des femmes dans la construction de la paix.  Elle souligne « le lien entre l’inégalité des sexes et la fragilité, ainsi qu’entre la sécurité des femmes et la sécurité internationale ».

Le Conseil de Sécurité y a dressé les constats suivants :

–           L’inégalité entre les sexes contribue à l’instabilité, l’insécurité et à l’extrémisme violent

–           Une paix durable et viable exige la participation de tous les membres de la société, en ce compris les femmes.

Fort de ce constat, le Conseil de Sécurité a défini trois objectifs principaux dans son agenda FPS (parfois labélisé ‘programme’) qui encourage la prise en compte et la mise en œuvre d’une approche genrée dans l’élaboration de toute politique :

  • la Protection des femmes contre la violence des conflits,
  • promouvoir et assurer la participation des femmes à la prévention et à la résolution des conflits
  • œuvrer pour la Consolidation de la paix et le redressement (de la société).

La participation des femmes aux prises de décision, y compris politique, ne saurait être interprétée comme une faveur qui leur serait concédée. Cette participation doit devenir une norme, car c’est une condition essentielle pour parachever l’égalité ‘de pouvoir’, la cohésion sociale,  une paix et une sécurité durables.

Neuf autres résolutions, entre 2000 et 2019, sont venues renforcer la RCS1325, notamment pour rappeler que le corps des femmes n’est ni un champ de bataille, ni un objet sexuel, ni un punching ball !

Quels sont les obstacles à franchir et défis à relever ?

Il faut reconnaitre que les revers politiques, le manque d’investissements dans les organisations de droit des femmes et, comme l’a rappelé Antonio Guterres –Secrétaire Général des Nations Unies- le 8 octobre 2020, ‘les mentalités bien ancrées et la domination des hommes’ ralentissent les progrès dans ce domaine[3].

 En Afrique du Nord, il y a un manque de sensibilisation à l’agenda FPS, la Tunisie étant le premier -et seul- pays de la région à avoir adopté, en août 2018, un PAN sur la résolution 1325 (point d’orgue de sa politique pour atteindre l’Objectif du Développement Durable 5 : l’égalité des sexes). Le Maroc doit formaliser dans un PAN la stratégie et le plan d’actions qu’il mène d’ores et déjà sur le terrain.

Dès janvier 2019, le Conseil de sécurité de l’ONU, préoccupé par le manque de progrès de l’agenda FPS au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, avait organisé une réunion du Conseil de sécurité intitulée « Prochaines étapes pour les femmes, la paix et la sécurité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : le potentiel des plans d’action nationaux ».

Cette réunion visait à encourager les Etats membres à développer des stratégies pour intégrer le programme FPS dans leurs plans de sécurité et de développement.

 Dans certains pays, les obstacles résident dans l’absence d’une véritable volonté politique et le peu d’intérêt porté par les dirigeants aux droits des femmes pour en faire une priorité et concrétiser le PAN de la résolution 1325. Au Maroc, le Roi Mohammed VI a placé la cause de la femme parmi les priorités des réformes institutionnelles.

La mise en oeuvre des PAN requiert cependant des budgets conséquents dont ne disposent pas la plupart des Etats. Sur les 84 PAN enregistrés au 31 décembre 2019, seuls 28 (33%) comprennent un  budget alloué à la mise en œuvre[4]. Face à des projets à l’arrêt par manque de ressources et d’intérêt, il revient à la société civile de se mobiliser pour les mettre/remettre à l’ordre du jour et en faire un combat.

Au Maroc comme ailleurs, tant que les femmes seront la cible de violences et d’harcèlement, elles ne pourront participer pleinement à la vie civile et politique. Il faut dès lors renforcer les capacités des femmes (nombreuses sont celles qui les ont déjà et ne demandent qu’à les exploiter !), investir dans l’éducation, faire évoluer les normes dans la société, sensibiliser la population et…surtout impliquer davantage les hommes ! Ce n’est qu’à cette condition que l’égalité homme-femme consacrée dans la Constitution marocaine se concrétisera pleinement.

*Fatima Lahnait, auteur de l’ouvrage Pasionarias qui dresse le portrait de militantes politiques armées.

[1] https://www.un.org/press/fr/2019/cs14012.doc.htm

[2] https://www.un.org/en/member-states/

[3] https://news.un.org/

[4] https://undocs.org

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