Affaire Omar Radi: Quand les journalistes de Forbidden Stories font du remplissage

Dans le jargon journalistique, cela s’appelle « pisser de la copie ». Tous les bons rédacteurs en chef connaissent cela et passent la moitié de leur temps à sabrer des papiers de plusieurs feuilles noircies sur un sujet qui ne mériterait que quelques lignes.

L’article consacré aux péripéties du journaliste Omar Radi publié hier, mardi 7 juillet par l’association Forbidden Stories sur son site, est de ceux-là. Sous le titre glaçant « journaliste surveillé au Maroc: la descente aux enfers  d’Omar Radi », Phinéas Rueckert et Cécile Schilis-Gallego donnent à lire ce qu’il y a de pire pour les journalistes professionnels : un papier « remplissage ».

Les deux journalistes « tartinent », tirent à la ligne avec un mal fou à boucler ce qu’ils qualifient eux même de « dernier épisode en date » dans l’« affaire Omar Radi ».

Il s’agit de « faire monter la sauce » dans une démarche d’apparence généreuse pour le journaliste marocain mais tellement préjudiciable pour la profession, particulièrement pour les journalistes de Forbidden Stories justement, mais s’en rendent-ils seulement compte ?

A lire leur bio sur le site de l’ONG, ils ont tous le curriculum vitae long comme un bras et le qualificatif de journaliste d’investigation figure en bonne place pour les présenter.

Cécile Schilis-Gallego

Prenons pour exemple celui de Cécile Schilis-Gallego, celle-là même qui avait avec Phineas Rueckert co-signé le papier sur le rapport d’Amnesty International le 23 juin dernier. Enquêtrice pour Forbidden Stories donc, elle a travaillé pour l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), participant à plusieurs enquêtes d’envergure comme celles dites des Panama Papers ou encore celle des Implant files et Paradise Papers.

Du haut de sa réputation ainsi faite de journaliste d’investigation professionnelle, la voilà en chute libre pour se compromettre et se perdre dans les bas étages des « pisseurs » de copie en apposant sa signature dans un article rapportant…. une altercation devant un bar.

Il n’est pas sûr qu’elle l’ait fait avec plaisir, encore moins par conviction.
Car il n’y a aucune gloire pour un journaliste à faire du « réchauffé » pour continuer à faire exister une histoire, à la base déjà totalement en contradiction avec la mission de l’organisation.

Laurent Richard

En effet, ni le profil d’Omar Radi, ni son parcours, ne correspondent à la mission que s’était assignée Forbidden Stories au moment de sa création.

Son fondateur, Laurent Richard présentait les objectifs de la manière suivante à nos confrères de Télérama le 25 mai 2017 : « pouvoir poursuivre une enquête interrompue parce qu’un journaliste a été arrêté, emprisonné, enlevé ou assassiné », disait-il à Olivier Tesquet qui recueillait ces propos.

Omar Radi, avec tout le respect que l’on doit avoir pour le travail d’un confrère, ne présente aucun de ces critères : il n’est ni en prison, ni enlevé, ni assassiné. Par ailleurs, il n’est pas journaliste d’investigation dont le travail aurait été interrompu, pour une raison ou une autre.

« Keep Stories Alive », peut-on lire sur le site de l’ONG qui se présente en précisant « nous sommes un réseau de journalistes dont la mission et de poursuivre et publier le travail d’autres journalistes qui sont menacés, emprisonnés ou ont été assassinés ».

Là-dessus, Forbidden Stories était dans son rôle lorsque la journaliste maltaise Daphné Caruana Galizia avait été assassinée le 16 octobre 2017 alors qu’elle enquêtait sur la corruption. 45 journalistes de 18 pays avaient travaillé 5 mois pour terminer son enquête.

De même pour le Projet Muroslava Breach Velducea, une journaliste mexicaine assassinée le 23 mars 2017 alors qu’elle travaillait sur les liens entre les cartels mafieux et la classe politique dans son pays.
Mais pour ce qui concerne Omar Radi, quels sont les critères, aussi bien sur le fond que sur la forme ?

La question doit être posée et l’article publié hier ne fait que troubler davantage la lecture que n’importe lequel des observateurs peut faire de « l’intérêt » pour le moins suspect de Forbidden Stories pour le profil de Omar Radi.

Le 23 juin dernier, l’organisation coordonnait la diffusion médiatique d’un rapport de Amnesty International « en exclusivité », précisent les deux auteurs de l’article mis en ligne hier. Amnesty International y assurait que Omar Radi avait fait l’objet d’un espionnage sophistiqué de son téléphone portable, grâce à la technologie d’une société israélienne qui compterait le Maroc comme client avec 44 autres pays.

Rien de nouveau par rapport au précédent article du 23 juin. Les deux auteurs se contentent d’une bonne dose de redites sur le « durcissement du ton contre les journalistes » au Maroc, ajoutant un zeste de Maati Mounjib par ci et une pointe de Souleiman Raissouni par là.

Dans cet article à charge pour les autorités marocaines, il fallait un peu de « presse aux ordres » évidemment, car il en faut bien pour justifier une bonne partie du corps de l’article et accompagner les propos de Ali Amar, le directeur du Desk, pour lequel « Chouf TV travaille main dans la main avec la police ».

Enfin, Phineas Rueckert et Cécile Schilis-Gallego font monter la mayonnaise avec une cascade de mots et des expressions clés aussi sensationnalistes qu’effroyables: cyberattaques, espionnage, descente aux enfers, lynché, emballement médiatique, acharnement, guet-apens, etc.

Une surabondance verbale nécessaire aux deux journalistes de Forbidden Stories pour accompagner les propos d’Omar Radi diffusés sur sa page Facebook et qui parle de « la haine que certains acteurs de l’état nourrissent à l’égard de toute opinion différente ».

Il ne fait aucun doute qu’un emprisonnement de Omar Radi aurait donné un semblant de crédibilité à l’ONG et mis un peu d’eau moins trouble à son moulin. Mais le fait est que Omar Radi, qui a été interrogé par la police, n’est pas en prison et que les journalistes marocains seraient les premiers à monter au créneau s’il venait à y être enfermé.

En réalité, un seul fait « nouveau » figure dans ce « papier » : l’altercation devant un bar d’Omar Radi accompagné d’un autre journaliste, Imad Stitou. Cette prise de bec avec un cameraman de Chouf TV présente un seul intérêt pour Forbidden Stories : montrer que Omar Radi n’est pas le seul journaliste à être « inquiété » au Maroc.

Ne pas le laisser seul « sur la photo » car l’inconsistance de son « cas » est en contradiction avec la mission de Forbidden Stories et jette le discrédit sur toutes ses actions antérieures pour la protection des journalistes. Rien en effet ne saurait justifier que l’ONG s’intéresse à un journaliste dont le seul fait d’arme se résume à …un tweet.

 

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