"A force de mal utiliser les antibiotiques, la résistance (des bactéries) se développe", explique à l’AFP le chef du laboratoire de biotechnologie de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdallah de Fès, au centre du Maroc.
Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la résistance aux antibiotiques constitue une "des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale".
Pour la contourner, Adnane Remmal a imaginé une solution inspirée par la tradition marocaine d’utilisation médicinale des plantes.
Origan, thym, romarin: les plantes qui contiennent les composants les plus efficaces contre les microbes sont très répandues au Maroc, grâce au climat méditerranéen.
Le chercheur a ajouté aux antibiotiques des "molécules naturelles provenant d’huiles essentielles", créant un nouveau complexe moléculaire.
C’est "comme si on camouflait l’antibiotique" avec les molécules d’huiles essentielles, détaille ce biologiste de 55 ans. La bactérie peine à le reconnaître et donc à développer un mécanisme résistant. "Elle redevient sensible à cet antibiotique boosté". Et "grâce à ce nouveau médicament, on peut traiter un patient qui a un germe résistant", explique-t-il.
Sa découverte a été brevetée en 2014 par l’Office européen des brevets. Les essais cliniques ont débuté en 2016 et des tests complémentaires sont en cours. Le biologiste, qui a signé un contrat avec un laboratoire pharmaceutique marocain, espère obtenir fin 2017 l’autorisation de mise sur le marché dans le royaume.
L’aventure d’Adnane Remmal a commencé à la faculté des sciences de Fès où il s’est lancé dans des études de biologie en 1980.
"Dans ma famille, il y avait beaucoup de respect pour les +savants+, quelle que soit la discipline", se souvient le chercheur aux lunettes fines cerclées de métal. "J’ai aussi été marqué par mes cahiers d’écolier: sur la page de garde on y voyait Louis Pasteur penché sur un microscope."
Après un doctorat obtenu à Paris en pharmacologie moléculaire, Adnane Remmal revient dans la ville impériale marocaine où il supervise les travaux d’une vingtaine d’étudiants.
Dans son laboratoire, certains d’entre eux vêtus de blouses immaculées s’affairent au milieu des microscopes. Une jeune fille injecte une solution dans une orange pour empêcher les moisissures de se développer; un étudiant à la barbe bien taillée scrute des échantillons vieillis de pommes de terre et d’oignons. Ici pas d’odeur de solvants ou de gaz: le laboratoire embaume le romarin, conséquence des manipulations réalisées à partir d’huiles essentielles d’herbes aromatiques.
Grâce aux travaux effectués dans ce laboratoire, Adnane Remmal a remporté en 2015 un prix de la Fondation africaine pour l’innovation, après avoir mis au point des suppléments alimentaires pour bétail à base d’huiles essentielles.
Objectif: réduire le recours aux antibiotiques dans l’élevage intensif.
"L’origine de la résistance des bactéries vient principalement des animaux", décrypte le chercheur. "Les éleveurs ont découvert que s’ils donnaient des antibiotiques au bétail, les animaux grossissaient plus vite", souligne-t-il.
"Mais les bactéries résistantes sont transmises à l’homme par l’alimentation: donc si je voulais combattre la résistance chez l’homme, je devais trouver une alternative à ces antibiotiques" pour l’animal, explique le chercheur.
Les entreprises sollicitées n’ayant pas voulu fabriquer ces additifs, le biologiste s’est lui-même lancé dans l’industrie.
Des brevets sont en attente
Des vastes locaux de son usine dans les environs de Fès se dégagent des senteurs d’herbes aromatiques. Dans une cuve de 3.000 litres d’huiles essentielles, sont mélangés des composants solides naturels comme l’argile. Le résultat est une fine poudre beige qui sera ajoutée à la nourriture du bétail.
"Nous voulons remplacer les antibiotiques par des produits efficaces à base de substances naturelles, à moindre coût et qui ne présentent aucune toxicité pour le consommateur final", explique Mounia Okhouya, responsable recherche et développement.
Abderrahmane Eytrib, gérant d’une ferme de la région, utilise ces produits depuis deux ans. "On donnait beaucoup d’antibiotiques les années précédentes", ce n’est plus le cas cette année, se réjouit-il.
Derrière lui, des taurillons suivent leurs mères en trottinant vers l’étable. En bruit de fond, les bêlements de dizaines de moutons. Les bêtes semblent en pleine forme, le poil dense et le pied agile.
"Pour les bovins, on note une augmentation de la production laitière. Pour les ovins, on a remarqué la qualité de la viande", insiste Abderrahmane Eytrib.
Adnane Remmal et son équipe ne comptent pas s’arrêter là. Des brevets sont en attente de publication pour d’autres produits à destination agricole: biopesticides, antifongiques, antiparasitaires. Les recherches continuent aussi pour la santé humaine.