Comment les Le Pen, père et fille, ont remis le FN en course
Dimanche 14 mars, 19 heures. Marine Le Pen traverse au pas de course la petite permanence qu’elle tient à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). « Le Front est de retour », lance-t-elle aux quelques journalistes présents. De retour, Jean-Marie LePen, déclaré mort politiquement il y a peu, l’est incontestablement.
Les Le Pen, père et fille, sont revenus, ensemble, au premier plan de la scène politique. Plus que jamais, le FN est une affaire de famille. De patronyme d’abord. Sur sa seule force, il permet à une formation financièrement exsangue, qui a perdu en quelques années l’essentiel de ses militants et de ses cadres, qui a disparu du paysage dans des départements entiers, de narguer le sort qui lui était promis.
"Ces scores prouvent que Le Pen est une bonne marque", s’amusait, dimanche soir, le président du FN, se disant "assez satisfait" des résultats de son parti. Avec un score global de 11,74 %, le FN réalise une sérieuse remontée par rapport aux européennes de juin 2009 (6,34 %) et aux législatives de 2007 (4,29 %), sans toutefois égaler les 14,7 % enregistrés lors des régionales de 2004.
Le père, meilleur des candidats frontistes, suivi par la fille. Dimanche, une sorte de privilège de l’ancienneté a été respectée. Formellement du moins. Pour Marine Le Pen, 41 ans, le leadership médiatique et politique qu’elle a pris au FN est confirmé. Et pour cause : elle est la seule à avoir amélioré le score régional de son parti par rapport à 2004.
En réalité, croit pouvoir en déduire Bruno Larebière, rédacteur en chef de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute et fin connaisseur du FN, "la marque FN est morte, et Marine Le Pen a réussi à transformer la marque Le Pen en marque Marine. C’est pour cela que l’idée d’un changement de nom du parti lui trotte dans la tête".
Il est vrai que la vice-présidente du FN a profité de ce scrutin pour poser son empreinte. Commençant sa campagne très tôt, dès le mois d’octobre, Mme Le Pen a pris le contre-pied de son père, dans la méthode et sur le fond. Si le président du FN s’est contenté, notamment en raison de son âge, de dîners et de déjeuners avec les militants de PACA, de préférence les week-ends, sa fille a décidé d’opter pour une campagne de "terrain".
Centrant son discours sur la crise économique et l’électorat populaire, elle est allée sur tous les marchés de la région. Elle n’a négligé aucune circonscription. Elle a multiplié les "sorties d’usine". Et a appliqué, méthodiquement, à l’échelle d’une région, la recette qui a fait son succès à Hénin-Beaumont, la ville qui est devenue sa base arrière et son laboratoire politique, où la liste FN a raté de peu l’élection lors d’une municipale partielle en 2009.
Dimanche soir, elle réalisait encore quelque 40 % des voix dans cette commune et distançait l’UMP dans le Pas-de-Calais, et plus largement encore dans le bassin minier.
Son père, lui aussi, a appliqué des méthodes éprouvées. PACA est une région où le FN a prospéré sur le vote des rapatriés d’Algérie ? Jean-Marie Le Pen a déposé une gerbe aux "martyrs de l’Algérie française" à Toulon, et fait siffler de Gaulle lors de la diffusion d’images d’archives.
PACA compte nombre d’habitants d’origine maghrébine ? Le FNJ, le mouvement de jeunesse du FN, a collé des affiches représentant une femme en voile intégral avec, en arrière-plan, un Hexagone aux couleurs de l’Algérie hérissé de minarets.
A elle le discours social sur "l’Etat-providence". A lui les sorties sur "l’invasion migratoire". "Il y a eu un partage des rôles entre le père et la fille qui a pu paraître calculé, mais le FN a essayé de s’adapter aux réalités du terrain, estime pour sa part Louis Aliot, secrétaire général. En PACA, il y a un gros problème d’immigration et d’insécurité alors que dans le Nord-Pas-de-Calais, les problèmes sont d’ordre économique et social."
Car, dès ce soir de premier tour, c’est bel et bien l’après-Jean-Marie Le Pen qui se dessine. Père et fille ont beau le nier, la succession à la tête du FN est dans tous les esprits. Bruno Gollnisch, autre vice-président du FN et prétendant potentiel, recueille 14,01 % des voix en Rhône-Alpes, alors que l’ensemble des sondages le donnait aux environs de 8 %.
Un "bon" score qui semble insuffisant pour disputer à Marine Le Pen la position de favorite dans la course à la succession. "Rien ne disqualifie personne", s’empresse-t-elle pour autant de préciser. Quant à celui qui est encore président du Front, la question de sa succession "n’est pas le problème ce soir. L’élection n’est pas encore terminée".
La date du congrès, qui verra Jean-Marie Le Pen quitter la tête du parti – il deviendrait "président d’honneur" –, n’est pas encore arrêtée. La fille pousse pour que ce soit le plus tôt possible, à l’automne 2010. Le père, lui, voudrait rester en place jusqu’au printemps 2011.
En privé, Marine Le Pen se dit confiante que son père respectera son engagement. Elle sait aussi qu’il conservera tous ses mandats et continuera à peser sur la vie du Front. Il pourrait d’ailleurs, fort de son score, y être encore davantage incité. En matière de succession, aussi, c’est une affaire de famille.