« Toucher Saddam, c’est humilier tous les Irakiens »
Le 30 décembre 2006, Saddam Hussein était exécuté par pendaison. Le lendemain, les images de sa mise à mort circulaient sur internet. Dans un livre*, son avocat irakien, Khalil al-Doulaïmi, témoin privilégié de ces événements, revient sur le processus qui a conduit à la mort du raïs.
Pourquoi avez-vous souhaité écrire ce livre?
Les Etats-Unis ont voulu cacher de nombreux événements qui ont eu lieu en Irak. Seule la vision américaine était disponible. Pendant le procès de Saddam Hussein, les audiences étaient diffusées avec un décalage de 20 minutes. Quand je rentrais chez moi et que je comparais ce que je voyais avec ce que je venais de vivre à l’audience, je me rendais compte qu’on ne diffusait que 20% de la réalité. Les droits de Saddam Hussein l’homme, et non le président, ont été violés au regard des normes nationales et internationales. C’est pourquoi j’ai souhaité écrire ce livre, pour faire connaître au monde l’autre vérité.
Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec Saddam Hussein?
Jusqu’à ce que j’assure sa défense, je ne l’avais jamais rencontré. Je l’avais vu seulement à la télé et je n’avais aucun lien avec lui. J’avais par ailleurs beaucoup de réserves et d’objections par rapport à sa politique. J’étais donc devant ce paradoxe, entre l’image d’un grand leader très puissant et un prisonnier à la merci des marines. J’ai donc souhaité regarder cette affaire d’un point de vue juridique mais aussi humaine. Certes, c’était un dictateur, mais qui avait donné le droit aux Etats-Unis d’envahir un pays, de détruire son infrastructure, d’humilier sa population et d’évincer son président?
«Je ne suis pas un adorateur de Saddam Hussein»
Au-delà de la question de la responsabilité de Saddam Hussein dans divers événements, vous souhaitiez défendre un homme?
Le facteur humain était important, mais il y avait aussi le facteur patriotique. Il s’agissait de mon président. Dans les sociétés orientales, toucher à ce symbole, c’est toucher à la dignité d’un peuple. Il est temps que l’Occident et les Américains comprennent la mentalité des pays arabes. Mais sachez que je ne suis pas un adorateur de Saddam Hussein.
Vous le qualifiez pourtant d’héros et de martyr…
C’est un homme qui a eu beaucoup de courage. Encore une fois, il faut comprendre que le président est un symbole pour tout le monde, et ce, même si on n’est pas d’accord avec lui. Toucher le président irakien, c’est humilier tous les Irakiens.
En acceptant de le défendre, vous dîtes avoir subi des pressions. Vous racontez que votre maison a été fouillée par l’armée américaine…
Pour moi, l’atmosphère était terrible. Mais c’était aussi le cas pour l’ensemble du peuple irakien qui avait l’impression d’être l’objet d’une injustice effrayante. Tout le monde se demandait: qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça? En tant qu’avocat qui faisait son devoir juridique, humain et patriotique, j’ai dénoncé ces violations de mes droits et la pseudo démocratie américaine.
«La corde, trop longue. Le noeud, trop gros»
Selon vous, l’issue du procès de Saddam Hussein était connue d’avance…
Tout à fait. Normalement, selon le droit international, quand un pays envahit un autre pays, le pays occupant n’a pas le droit de changer le système juridique et constitutionnel du pays occupé. Or, la loi irakienne interdisait la constitution de tribunaux spéciaux. Mais le gouverneur américain en Irak, Paul Bremer, a constitué un tribunal spécial. Ce tribunal avait des statuts très particuliers conçus à la taille de Saddam Hussein. Par ailleurs, il était accusé de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide. Or, ces crimes relèvent d’une juridiction internationale. Il aurait dû être jugé devant le Tribunal pénal international.
Comment Saddam Hussein a-t-il vécu l’énoncé du verdict?
Quelques jours avant le verdict, l’ambassade américaine nous avait fait comprendre que la peine serait réduite, car le cas Doujaïl** ne valait pas la peine de mort. J’ai informé le président Saddam Hussein. Mais il m’a dit qu’il craignait que la peine soit très lourde. Le jour du verdict, il avait le moral. Quand le juge a lu le verdict, il n’a pas été surpris. Il a commencé à scander "Vive l’Irak", "Vive la Palestine libre", "Nous sommes prêts" à mourir. Moi, j’ai été très surpris par la condamnation à mort. Il m’est difficile de vous décrire ce que j’ai ressenti. Six mois auparavant, les Américains me faisaient comprendre que dans ce dossier, il allait être condamné à deux ans de prison. Pourquoi a-t-il été condamné à mort? Voilà la grande énigme, le grand secret, dont je n’ai pas la clé pour le moment.
Etait-ce, selon vous, davantage une pression intérieure, notamment des Chiites, ou extérieure, des Etats-Unis?
Il y avait toutes sortes de pressions: chiite, kurde, iranienne et autre. Pour moi, il s’agit en fait d’une transaction entre ceux-ci et les Américains.
Vous racontez que le jour de l’exécution, la corde de pendaison était trop longue. Saddam Hussein serait alors tombé à terre, vivant, et roué de coups à mort par les personnes présentes. Vous n’étiez vous-même pas présent ce jour-là, comment pouvez-vous affirmer qu’il a été battu à mort?
Des personnes, des chiites, qui étaient présentes ce jour-là, nous ont raconté les événements. Ces personnes souhaitaient que la mise à mort se déroule selon les procédures et que le président soit exécuté d’une façon correcte. Ces personnes ont vraiment été choquées par le déroulement de la mise à mort. Elles avaient la haine contre ceux qui ont fait ça. Elles nous ont donc informé, à la fois pour soulager leur conscience et aussi par refus de ce qui s’est passé. Nous avons confiance dans leur témoignage, elles nous ont par le passé donné d’autres informations qui se sont vérifiées.
Selon vous, la photo même de la pendaison montre que le système avait été saboté.
Oui, sur cette photo, on voit très clairement ce qu’il s’est passé. La corde, qui devrait être proportionnelle à la taille de la personne, est trop longue. Le nœud devrait avoir la taille d’un poing mais celui-ci est énorme. Enfin, la corde est trop épaisse. Elle est en chanvre et non en soie. On se demande par ailleurs qui sont ces hommes cagoulés. Une mafia? Un gang? George W. Bush? Tony Blair? Pourquoi sont-ils cagoulés? Comment peut-on exécuter quelqu’un de cette façon, surtout quand il s’agit d’un président?
Selon vous, l’imam chiite radical Moqtada al-Sadr, grand rival de Saddam Hussein, était présent le jour de l’exécution. Il lui aurait lancé: "Comment vas-tu tyran?". A-t-il participé à la scène que vous décrivez?
Il a participé à la mise à mort mais n’a pas donné de coups de pied. C’est le conseiller pour la sécurité nationale qui a commencé à frapper Saddam Hussein, suivi par la conseillère du Premier ministre. Toutes ces personnes ont insulté le président.
«La religion est pour Dieu, la patrie est pour tout le monde»
Que pensez-vous de la situation actuelle en Irak?
Je pense que les Américains ne vont pas se retirer entièrement du pays. Ils vont conserver des bases. Les Etats-Unis ne vont pas lâcher ce pays. Mais ce qui nous attriste le plus, c’est cette intervention iranienne dans le pays. L’Iran a créé en Irak le climat actuel de communautarisme et de confessionnalisme. L’Iran tente de diviser le pays. Il est très important que l’Occident réagisse. Si les Américains laissent le champ libre aux Iraniens en Irak, la situation se terminera tragiquement. L’Iran aura alors la mainmise sur une région riche en pétrole, ce qui touchera les intérêts américains et européens et déstabilisera la scène internationale. D’où la nécessité d’éloigner les partis religieux du gouvernement. La religion est pour Dieu et la patrie est pour tout le monde. Nous refusons que l’Irak soit gouverné par des extrémistes. Le pays est une mosaïque de religions, de communautés et d’ethnies et ne peut être gouverné que laïquement.
Dans votre livre, vous évoquez l’amitié qui lie l’Irak à la France. Saddam Hussein vous aurait notamment confié son souhait de remercier Jacques Chirac pour ne pas avoir participé à la guerre en 2003. Ce lien entre les deux pays semble aujourd’hui distendu…
La France a une très bonne image dans le monde arabe. Nous sommes fiers des positions françaises, sympathisantes de la cause arabe. Tout le monde se souvient de cette scène quand Jacques Chirac, en visite en Israël, a engueulé le garde de sécurité qui empêchait un Arabe de venir le saluer. Cette image est toujours dans nos têtes. Nous espérons que cela va continuer. Mais la France doit être à la hauteur de cet amour.
*Saddam, les secrets d’une mise à mort, par Khalil al-Doulaïmi, aux éditions Sand, 283 pages, 13,30 euros.