Roland-Garros – Djokovic, un champion à la conquête des coeurs

Couvert de presque tous les trophées que convoite un joueur de tennis, Novak Djokovic a peiné à conquérir les coeurs, mais les vivats des spectateurs au vainqueur de Roland-Garros dimanche semblent annoncer que cette bataille-là, l’orgueilleux champion peut aussi la gagner.

Il a tout pour être l’idole: affable, respectueux, disponible, drôle, bel homme et bon père de famille, patriote et ouvert sur le monde, intelligent, cultivé, polyglotte… On cherche des raisons objectives qui expliqueraient le désamour de la foule, celle de l’US Open 2015 ou de Madrid 2016 par exemple. Trop mécanique? Trop prévisible? Trop défensif? Peut-être trop fort, tout simplement.

Il y en avait pourtant une, éternelle: elle en préférait un autre, Roger Federer, toujours sur un fil tendu à cause de son jeu à haut risque, et même un deuxième, Rafael Nadal, dont le corps tout cassé a fini par émouvoir.

Djokovic, à 29 ans, est en pleine forme, surtout depuis qu’il s’astreint à un régime sans gluten qui l’a rendu, dit-il, plus résistant. Un comble car son père était propriétaire d’une pizzeria!

Sur le court, il semble invulnérable. Tout rebondit sur son corps élastique. En force ou en finesse, les tentatives semblent vouées à l’échec. Il a cette tendance à attendre la faute adverse qui déplaît à presque tous.

Pourtant à Roland-Garros, le Serbe semble avoir refait une partie de son retard. Au moins deux raisons à cela: il y avait de l’autre côté du filet un plus mal aimé que lui, Andy Murray, et Paris lui était d’emblée plus favorable, parce qu’il n’y avait jamais gagné.

Pendant la quinzaine, il n’a pas ménagé ses efforts pour entretenir la flamme née l’an passé de sa défaite inattendue en finale contre Stan Wawrinka. Le public, debout, lui avait fait une émouvante ovation.

S’exprimant dans un Français chaque année meilleur, il a plaisanté avec les spectateurs, signé des quantités d’autographes, posé pour la photo avec des enfants… Au risque d’être accusé d’en faire trop.

Après la balle de match, il a poussé son avantage en traçant un coeur sur la terre battue, comme "Guga" Kuerten, le chouchou de Paris, lauréat en 1997, 2000 et 2001.

Djokovic sera patient, car la vie lui a appris que tout s’obtenait par l’obstination dans le travail. En toutes circonstances, il se fait un devoir d’"avoir un regard positif sur la vie et de garder le sourire".

Son ambition ne date pas d’hier, c’est le moins qu’on puisse en dire. A l’âge de sept ans, il affirmait déjà son objectif à la télévision serbe: devenir N.1 mondial.

S’il est aujourd’hui le détenteur du record des gains sur le circuit avec plus de 100 millions de dollars, la pitance ne lui est pas toujours tombée directement dans le bec.

Djokovic est né à Belgrade en 1987 et a passé son enfance entre la capitale serbe et la petite station de ski de Kopaonik, où son père tenait le restaurant familial, non loin d’un court de tennis. C’est là qu’il a été repéré par Jelena Gencic, disparue en 2013, une inspiratrice à laquelle il est resté très attaché jusqu’au bout. Ce mentor ne s’est pas occupé seulement de lui apprendre les fondements du tennis. Soucieux d’enrichir la personnalité de son protégé, il l’a initié à la musique classique et à la poésie de Pouchkine.

Lorsque les structures du Partizan Belgrade n’ont plus suffi, la famille Djokovic a fait de gros efforts financiers pour envoyer le prodige dans une école de tennis en Allemagne. "Nole" y est resté trois ans avant de passer professionnel.

Entretemps, le jeune garçon avait été profondément marqué par l’expérience de la guerre du Kosovo, qui a touché sa ville en 1999 alors qu’il avait douze ans. Pour échapper aux bombardements de l’OTAN, il a passé pendant deux mois et demi ses nuits dans des abris antiaériens et ses journées… sur un court de tennis, car l’école était fermée.

Très patriote, mais pas au point de résider dans son pays de naissance puisqu’il vit à Monaco, Djokovic a toujours soutenu la cause serbe en se donnant pour tâche de corriger la mauvaise image donnée à son pays par le régime de Milosevic. Celle-là n’est d’ailleurs pas pour rien dans les réticences que le joueur suscite.

Sur le circuit aussi, l’ascension a été longue. Son talent sautait aux yeux depuis son arrivée chez les professionnels en 2003, mais il a mis longtemps à devenir unique. Début 2011, il avait déjà un palmarès enviable – 18 titres, dont l’Open d’Australie 2008, un Masters la même année – mais rien n’annonçait la razzia qui allait suivre.

C’est sa victoire en Coupe Davis en 2010 – "sa plus grande émotion sur un court de tennis" – qui a servi de déclic. En quatre saisons et demie, il a fait bondir son total de titres majeurs de un à douze. Les "Petits Chelems" de 2011 et 2015 (Open d’Australie, Wimbledon, US Open) sont pour l’instant ses deux chefs-d’oeuvre, en attendant de voir ce que 2016 réserve encore.

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