L’Université Al Akhawayn dans la tourmente

(Enquête exclusive)

C’est un véritable scandale qui secoue actuellement l’Université Al Akhawayn, fleuron de l’enseignement supérieur au Maroc qui faisait jusqu’à aujourd’hui figure de modèle quant aux conditions de vie et de bien-être, aussi bien des étudiants que du corps professoral. “Jamais”, confie un enseignant à AtlasInfo.fr, “nous n’aurions pensé qu’une telle chose puisse arriver ici”.

Il aura fallu la décision du Département d’Etat américain de suspendre la subvention du programme de partenariat “Tomorrow’s Leaders”, signé en août 2020 entre l’Université Al Akhawayn et l’organisme américain “L’Initiative de partenariat des Etats-Unis d’Amérique et du Moyen-Orient” (US-Middle East Partnership Initiative -MEPI-) pour que l’affaire éclate et que les langues se délient pour des faits qui auraient commencé en février 2020.

Sur le campus de l’institution publique d’enseignement supérieur et de recherche scientifique anglophone, créée il y a 26 ans, rien ne laissait entrevoir que des faits de harcèlements sexuels pouvaient avoir lieu, sans que la direction de l’établissement ne prenne de mesures pour les sanctionner.

Université al Akhawayne

Pourtant, l’Université engagée à former les futurs élites du Maroc et d’ailleurs adhère à des normes académiques et éthiques de haut niveau et défend des valeurs de justice, de liberté et de responsabilité qui ont forgé sa réputation depuis sa création.

Orienté vers l’international et basé sur un système éducatif d’inspiration américaine, l’établissement accueille une communauté étrangère constituée majoritairement d’américains justement, que ce soit des enseignants ou des étudiants.

La vie privée des enseignants scrutée à la loupe

Tout commence en février 2020 lorsque deux enseignants, l’un français et l’autre américain, sont révoqués par le président de l’université .

Leur tort : être homosexuel.

Dans un post publié sur le réseau social Facebook il y a quelques jours, l’enseignant américain raconte avoir été harcelé et diffamé lors de son mandat au sein de l’établissement qu’il qualifie de milieu “toxique”.

Depuis le départ contesté par le corps professoral des deux professeurs ,” l’ambiance s’est dégradée et les enseignants, aussi bien étrangers que marocains ont subi toutes sortes d’atteintes à l’exercice de leurs fonctions de la part de la présidence de l’Université”, témoigne cette encadrante marocaine, sous couvert de l’anonymat.

Suspension des activités d’une association

Un second évènement allait contribuer à rompre définitivement la confiance entre la présidence et le corps professoral et les étudiants : la suspension, également en février 2020 des activités de l’association “NOVA” (No Violence Alliance) qui s’était investie dans la lutte contre le harcèlement sexuel sur le campus. Sa présidente était très engagée pour les droits des femmes et la liberté de tout un chacun d’agir librement et de protéger sa vie privée.

La dissolution de l’association « a créé une véritable rupture avec le corps enseignant qui dénonçait les décisions unilatérales de la présidence”, ajoute notre témoin .

Le Département d’Etat gèle un financement important

Le 3 juin dernier, les membres de la communauté américaine de l’université Al Akhawayn recevait un mail du bureau des affaires consulaires au consulat général des Etats-Unis à Casablanca les avisant de la décision du Département d’Etat de suspendre jusqu’à nouvel ordre le financement prévu par le programme et dont le montant s’élève à 1,2 million de dollars sur 4 ans.

En contrepartie, l’Université Al Akhawayn s’était engagée à garantir une formation d’excellence en faveur d’une dizaine d’étudiants étranger de la région MENA en favorisant un climat d’enseignement, un hébergement et une qualité de vie universitaire exemplaires. L’université devait donc se conformer à des normes internationales, dans le respect des droits de l’Homme, l’égalité des sexes et la lutte contre toute forme de discrimination. A l’heure du #MeToo , le harcèlement sexuel tient évidemment une place importante dans les engagements du partenariat.

La “passivité” de la présidence dénoncée

Ce que pointent les enseignants et les étudiants, c’est la “passivité” de la direction de l’établissement  devant les actes de harcèlement et d’agression sexuelles qui auraient entaché la vie sur le campus, sans que cela ne suscite aucune mesure concrète.

“Un récent examen de l’Université Al Akhawayn à Ifrane a révélé des allégations de manquements dans les réponses de l’Université aux cas signalés d’agression sexuelles et de harcèlement », peut-on lire dans le mail du consulat des États-Unis adressé aux membres de la communauté américaines de l’établissement.

L’auteur de la correspondance poursuit en annonçant qu’une enquête externe a révélé que l’Université a failli à ses obligations devant ces cas de harcèlement ou d’agressions sexuelles dont auraient été victimes “des étudiants et des membres encadrants de l’université” et annonce  avoir demandé aux responsables de l’établissement de prendre “d’immédiates mesures correctrices” pour pouvoir répondre aux normes de ce partenariat.

Engagement de l’Université et du ministère de tutelle

Selon cette correspondance, l’université et le ministère de l’éducation se seraient engagés auprès du gouvernement américain à remédier rapidement à ces manquements.

Selon nos sources aux sein de l’Université Al Akhawayn, le président de l’établissement Amine Bensaid a tenu, le lendemain de ce mail du consulat des Etats-Unis, une réunion  avec les responsables des différents services de l’université pour lancer la mise en oeuvre des mesures portées par “la stratégie universitaire pour le bien-être » lancée en septembre 2020. Elle prévoit la lutte contre le harcèlement sexuel et tout un dispositif à mettre en place pour sa prévention.

La réputation d’Al Akhawayne entachée

Un communiqué à l’issue de cette réunion indique qu’en dépit de la décision américaine de geler la subvention et en attendant qu’elle puisse être relancée, les équipes de l’université Al Akhawayn et “MEPI” continueront de travailler ensemble sur le projet.

Le président de l’université réitère donc l’engagement de l’établissement dont il a la charge à se conformer aux normes internationales en matière de sécurité, bien-être et lutte contre toute forme de violences pouvant mettre en danger les étudiants et le personnel encadrant de l’établissement.

Ces mesures suffiront-elles à rétablir la confiance et surtout à remettre l’établissement sur le chemin des valeurs qui ont prévalues à sa création ?

L’avenir nous le dira.

En attendant, la réputation d’ Al Akhawayn se trouve entachée par cette crise et peut-être pour un long moment.

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