Tel que formulé, le texte menace l’existence de plus de 24 mille organisations de la société civile actuellement enregistrées auprès des autorités tunisiennes. S’il sera adopté, sous sa forme actuelle, le projet de loi accordera un pouvoir discrétionnaire à l’administration de contrôle et de surveillance étendus sur la création, les activités, les opérations et le financement des organisations indépendantes, considérées, après l’étiolement du rôle des partis politiques, comme l’un des derniers contrepoids du régime.
Après la mise en veilleuse de plusieurs structures indépendantes, à l’instar de l’Instance nationale de lutte contre la corruption et le Conseil supérieur de la magistrature et les pressions exercées sur les médias, certains observateurs pensent que le tour est venu pour les organisations de la société civile, récalcitrantes notamment.
Cette évolution inquiétante n’a pas beaucoup surpris. Au nom de la « souveraineté nationale », slogan répété à satiété, les attaques ont été multipliées contre une société civile accusées de servir des intérêts étrangers ou de soutenir l’opposition. Depuis février 2022, le président tunisien a annoncé sa volonté d’apporter des amendements au décret-loi portant organisation des associations, pour ainsi mettre un terme aux financements étrangers que perçoivent les associations.
En effet, si le texte prétend maintenir un système de déclaration pour la création de nouvelles associations, il introduit en réalité un système d’enregistrement à peine voilé et accorde à un département relevant de la présidence du gouvernement le pouvoir de refuser à une organisation le droit d’opérer dans un délai d’un mois après son enregistrement. À tout moment et sans être tenu de fournir de motifs, le gouvernement pourrait également requérir du pouvoir judiciaire l’annulation de l’enregistrement d’une association.
Plus inquiétant, les nouvelles organisations ne seraient pas autorisées à opérer jusqu’à ce la Direction Générale des associations publie un avis au Journal Officiel, maintenant ainsi une possibilité de refuser l’enregistrement d’une organisation.
Conformément à cette même logique, le projet de loi place les organisations nationales sous la supervision et le contrôle du ministère compétent dans leur domaine principal de travail et les organisations internationales sous la supervision du Premier ministère.
L’autre disposition controversée concerne les organisations internationales qui seraient tenues d’obtenir une autorisation préalable du ministère des Affaires étrangères pour s’enregistrer. D’ailleurs, le texte habilite le ministère à délivrer des autorisations temporaires, à les révoquer et à les suspendre à sa seule discrétion.
Ce tour de vis à l’activité des associations a fini par susciter une vive inquiétude voire un rejet de la société civile qui considère ce projet de loi comme un moyen pour barrer la route devant toute expression libre et indépendante dans le pays et pour consacrer une nette détérioration des droits humains.
Dans ce sillage, huit organisations de défense des droits humains ont appelé au rejet du projet de loi sur les associations. Elles soulignent que ce texte, s’il était adopté, remplacerait le décret-loi 2011-88 relatif aux associations qui a permis l’émergence d’une société civile diversifiée au lendemain de la révolution tunisienne de 2011. Pour elles, les autorités de Tunis devraient s’abstenir d’adopter le projet de loi en question et s’engager plutôt à sauvegarder le droit à la liberté d’association.
En attendant l’entame de l’examen de ce projet de loi par le parlement, un sentiment d’inquiétude hante l’esprit des acteurs de la société civile qui voient l’avenir de leur action sérieusement compromis.