Loi et amende pour port du niqab: que pensent les musulmans de France ?
Un sujet qui fâche. L’interdiction totale du voile intégral se précise et se heurte à des incompréhensions de la part des musulmans de France. Certains remettent en cause le principe de « liberté-égalité-fraternité » et ne cachent pas un profond sentiment d’exclusion et de malaise.
L’heure est à la prière, à la communion et à la sérénité, indispensables au discernement. Comme
chaque vendredi, l’affluence est grande dans cette mosquée de Seine Saint-Denis, en région parisienne, où la moindre parcelle de tapis est investie.
Aucune femme portant le voile intégral à l’horizon. Toutes ont le visage découvert, l’air parfois grave. "On veut juste qu’on nous oublie», confie à atlasinfo l’une de ces fidèles, lassée des thèmes récurrents sur l’Islam et les musulmans à la Une des médias ces derniers mois.
Des femmes âgées prient aux côté de jeunes filles. Si les premières semblent plus résignées sur la politique du gouvernement en matière de voile intégral, les secondes se disent scandalisées par l’imposition d’une amende de 150 euros pour port du niqab.
Djamila, trentenaire, salariée dans la fonction publique, se dit totalement opposée à cette mesure. « On dit que c’est un pays laïc, donc c’est un pays de liberté, de fraternité et d’égalité, d’où le droit de pratiquer librement sa religion comme on le souhaite, qu’on soit juif, chrétien ou musulman. Pourquoi toujours s’en prendre à l’Islam? ».
Mahera, sa collègue, déplore que « les choses en soient arrivées là. C’est malheureux, on a réussi à ternir l’image de cette religion et à déformer le sens même du message de notre foi. Le choix, ça ne devrait gêner personnes. Que dire alors des autres tenues vestimentaires religieuses ?».
Portant un foulard uniquement pour la circonstance, la jeune femme juge que l’attitude du "gouvernement est purement électoraliste ». Selon elle, « La majorité, mise à mal par le résultat des régionales met en avant des sujets qui interpellent, des sujets susceptibles d’effrayer une partie de la population dans le but d’attirer les électeurs de droite, voire du Front National ». « Et qui en fait les frais ? Les gens épris de justice, de paix et de tolérance», déplore Mahera.
Parmi les plus jeunes, Amel, âgée d’une vingtaine d’année, ne veut pas admettre ce qu’elle considère comme une nouvelle privation de liberté: « L’amende de 150 euros est une nouvelle privation de la liberté. Certaines de mes proches portent le voile intégral ».
«Elles sont consternées, choquées », selon Amel qui a tenu à assurer qu’elles « étaient des personnes comme vous et moi, des femmes qui ont les mêmes préoccupations, le même langage que celui des autres femmes. Aujourd’hui elles se demandent comment elles pourront vivre cloîtrées chez elles. Tout compte fait, elles sortiront quitte à payer cette amende».
«Moi, je ne suis pas pour le niqab ou la burqua qui enferme la femme. Je porte le hijab et je suis une bonne musulmane. Le niqab ne fait pas de moi une meilleure musulmane. Il n’apporte rien de plus et ce ne sont pas nos traditions», estime Samira, une mère de famille. « Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut taxer le port du voile intégral. Les politiques ne viennent pas nous voir. Ils se contentent de nous juger à travers le voile intégral. C’est la confusion totale », ajoute-t-elle.
« Payer et encore payer alors que la crise n’épargne personne et que c’est toujours les mêmes catégories sociales qui sont visées. Les gens qui, pour la plupar,t ne disposent pas d’emploi, les milieux les plus défavorisés », estime pour sa part Abdelkarim.
«On stigmatise de nouveau les musulmans. On nous regarde de travers. Il y a eu trop de publicité autour de la conductrice verbalisée pour port de burqua et de son mari. En tant que musulman de France, je sens un grand dérapage. Ce n’est pas bon pour le vivre ensemble », dit Rachid dont la femme porte le jilbab.
« Si demain on l’interdit aussi? Que faire!», S’insurge-t-il, jurant que « jamais de mon vivant, un politique ne pourra exiger de ma femme d’enlever son hijab". « J’irai en garde à vue s’il le faut », lance-t-il, ajoutant par ailleurs que «La burqa concerne aussi bien les femmes que les hommes parce que ces femmes sont mariées».
Les plus jeunes ont aussi leur mot à dire. Majid est persuadé qu’ «aujourd’hui en France, on doit s’attaquer aux priorités c’est à dire l’économie, le social et non pas débattre de futilités et de burqua qui ne concerne que près de 2000 femmes" .
Majid "invite vivement le gouvernement à se remettre dans la vérité », regrettant que « le gouvernement, dit d’intégration, œuvre à autant de divisions».
«Pour progresser, il faut dialoguer. Le pouvoir impose des lois sans dialoguer et ce n’est pas ça la solution. Il doit voir ce à quoi il veut que le pays ressemble, étudier les moyens de cohabiter et non pas susciter de l’animosité», soutient-il.
Pour ce jeune, la vingtaine, « c’est un effet de mode, les suisses sont rétifs aux minarets. Si un pays européen prend des mesures restrictives, l’autre fait de même. On est face à un phénomène de surenchère », estime Majid pour qui « ce n’est pas ça le progrès, ni le respect de la diversité non plus».
Leila Madani