Terrorisme: comment la coopération sécuritaire entre le Maroc et la France a failli être compromise
Avec le Sri Lanka, l’Inde, les Etats-Unis, l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne ou encore la France, le Maroc a été d’un apport considérable dans l’anticipation sur de nombreux attentats, l’identification de réseaux terroristes tout comme il est intervenu sur le théâtre des opérations, lorsque cela s’est avéré nécessaire. Reste que cette collaboration est conditionnée par des relations de confiance qui ont pu faire défaut ou être parasitées dans certaines séquences récentes du terrorisme européen sur lesquelles le Maroc a pu être amené à intervenir, comme les attentats de Paris en 2015.
Un épisode avec la France interpelle sur l’honnêteté et la transparence dans les relations entre les services, pas toujours en phase avec la qualité des relations politiques entre les deux pays « amis ». Récit.
Le rôle joué par les équipes de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST) dans la neutralisation des auteurs des attentats de Paris en novembre 2015 a été décisif.
Il tient essentiellement de l’identification du repère du belgo-marocain Abdelhamid Abaaoud, organisateur présumé des actes terroristes qui ont endeuillé la France. C’est un renseignement marocain qui a en effet mis les enquêteurs français sur la piste du terroriste retranché dans une cache à Saint-Denis, en banlieue parisienne, où il sera tué au cours de l’assaut des forces de sécurité françaises alors qu’une information fournie par la Turquie à la France situait, au même moment, ce même Abdelhamid Abaaoud en Grèce.
Renseignements déterminants sur Abdelhamid Abaaoud, mais également sur sa cousine Hasnaa Aït Boulahcen.
De sorte à prendre part aux enquêtes sur le terrain, des officiers du renseignement marocain avaient été déployés dans les capitales française et belge, au lendemain des actes terroristes du 13 novembre.
Compte tenu des ramifications en Belgique de ces attaques, Bruxelles avait été placée en état d’alerte, « une menace sérieuse et imminente » pesant alors sur des emplacements stratégiques de la capitale belge. Les établissements scolaires et les transports en commun avaient été fermés et l’armée mobilisée pour patrouiller dans les rues.
Tous les détails de la collaboration des services marocains ne sont pas connus à ce jour, mais ils ont été suffisamment significatifs pour que le président François Hollande remercie le 20 novembre le Roi Mohammed VI pour l’« assistance efficace du Maroc » et que trois jours plus tard, le Roi Philippe de Belgique lui demande « une collaboration étroite poussée en matière de renseignement et de sécurité ».
Deux mois après, Le Maroc neutralisait à Mohammedia (20 kms au Nord de Casablanca) un Belge d’origine marocaine lié aux auteurs des attentats de Paris, de même que ses services prêtaient à nouveau main forte à leurs homologues belges en fournissant des données opérationnelles sur les extrémistes impliqués ou liés aux attaques suicides de l’aéroport de Zaventem et du métro de Bruxelles le 22 mars 2016. Elles avaient provoqué la mort de 32 personnes et blessé 340 autres.
Les renseignements marocains collaborent avec la France, malgré des « fractures »
Au moment des attentats de Paris, les relations entre le Maroc et la France n’étaient pas au beau fixe, à peine remises sur les rails quelques mois plus tôt, après un épisode inédit dans la diplomatie internationale.
Mais face à la nature asymétrique des menaces actuelles, l’engagement commun est une nécessité pour la sécurité des deux pays. Il l’emporte sur les considérations politiques, quelles que soient les « fractures » qui ont pu illustrer les rapports de « domination » que certains milieux politiques et sécuritaires français persistent, aujourd’hui encore, à vouloir entretenir avec le Maroc.
Il est un fait que le terrorisme a rendu les pays de plus en plus interdépendants et le renseignement occupe un rôle capital dans les stratégies de défense des deux états aux nombreux intérêts communs. Cela a vu naître de nouvelles pratiques, de nouveaux systèmes d’alliances entre les services français et marocains, particulièrement ces deux dernières décennies.
C’est ainsi qu’immédiatement après que le premier commando terroriste soit entré en action près du stade de France dans la soirée du 13 novembre 2015, Les services antiterroristes marocains ont mis en place une cellule de crise et activé un dispositif destiné à regrouper et transmettre à leurs homologues français toutes les informations en leur possession, en relation avec les personnes ayant organisé et perpétré les attentats de Paris.
Quand 7 policiers frappent à la porte d’un Ambassadeur
L’exemplarité de la coopération du Maroc dans la neutralisation des auteurs des attentats de Paris a, d’une certaine manière, contribué à sceller la réconciliation entre le Maroc et la France après une longue période de mésentente dont les tenants pèsent encore sur la relation entre les deux pays.
Tout commence le 20 février 2014 lorsque 7 policiers français se rendent, aux alentours de 16h, à la résidence de l’Ambassadeur du Maroc à Paris pour remettre à Abdellatif Hammouchi, Directeur Général de la sûreté intérieure marocaine, la convocation d’un juge.
Jamais dans l’histoire des relations entre deux pays, de surcroit « amis », un tel comportement n’aurait pu être envisagé, ni au regard de la convention de Vienne, ni au regard de la pratique diplomatique entre les deux Etats.
S’il avait été envisagé, dans le cadre d’une approche « sincère » et transparente de faire parvenir une convocation, elle aurait dû emprunter un circuit diplomatique, à travers le ministère des Affaires étrangères à Rabat.
Cette démarche était d’autant plus grave que les policiers se sont présentés non pas à la chancellerie, comme cela aurait pu se concevoir pour la remise d’un courrier, mais à la résidence de l’Ambassadeur du Maroc.
Violation inadmissible des règles et usages diplomatiques
Voilà la police française qui vient en force frapper à la porte du représentant officiel d’un pays ce qui, dans les usages diplomatiques est juste inacceptable. Cela constitue « une violation des règles et usages diplomatiques universels et le non-respect des conventions entre les deux pays », avait alors estimé le Maroc qualifiant d’« inadmissible » cet acte, de surcroit pour une notification adressée au patron de la Sûreté nationale . Abdellatif Hammouchi ne se trouvait d’ailleurs pas à Paris ce jour-là mais bien à Rabat, dans son bureau.
Alors, une question mérite d’être posée : amateurisme de la police française, erreur « simulée » ou provocation ? Quelle que soit la réponse, ce fût là un véritable affront fait au Maroc.
D’aucuns ne peuvent envisager que dans cette affaire, une validation politique ou sécuritaire de haut niveau n’ait pas été sollicitée.
« Ils ont agi avec beaucoup de légèreté et en termes diplomatiques, le moins que l’on puisse dire est que le mot légèreté est très lourd ». Cette phrase de Feu Hassan II à propos de la réaction de l’Egypte à la guerre des sables, sied à cette « erreur » de la France. Le Maroc y a répondu par une interruption immédiate de sa coopération judiciaire, tout comme Rabat a réduit au strict minimum sa collaboration sécuritaire avec Paris pendant une année.
Comment les choses ont-elles pu en arriver là ?
A la base de ce coup de froid entre les deux pays : les suites données par la justice française à une plainte de l’ex-champion de kickboxing Zakaria Moumni et qui visait directement le chef des renseignements marocains, Abdellatif Hammouchi.
Le 12 février 2014, il dépose une plainte en France dans laquelle il affirme avoir été torturé durant quatre jours, sous la supervision directe du chef de la Sûreté nationale. Malgré les nombreuses contradictions contenues dans la plainte de l’ex-boxeur et l’absence de preuves tangibles, la machine judiciaire française se met en marche avec des zones d’obscurité gênantes, si l’on considère le rôle joué ou attribué à certaines parties dans cette affaire.
Comment un Zakaria Moumni, dont les pratiques sont décrites comme s’apparentant à celles d’un « voyou » qui a par la suite été appréhendé pour violences conjugales et fait l’objet d’une plainte déposée par la police française pour « menaces de mort, outrage à fonctionnaires de police dans l’exercice de leurs fonctions », a pu ébranler la relation entre Paris et Rabat ?
Un ex-boxeur voyou, une juge zélée et une association acquise au Polisario
Sans jeter l’opprobre sur la justice française, rares sont les personnes suffisamment naïves pour croire en une action « indépendante » de la juge, sur la base d’une démarche de l’ONG Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture. L’ACAT qui ne fait pas de son soutien politique inconditionnel au Polisario, un secret. Au contraire, ses animateurs ont épousé le guide argumentaire des séparatistes et de l’Algérie, au point que pour Hélène Legeay responsable Maghreb et Moyen-Orient de l’ONG « le Maroc occupe illégalement le territoire en violation du droit international »* et qu’il y « mène une intense politique de colonisation, de « marocanisation » de la société sahraouie et de pillage des ressources, misant sur une politique du point de non-retour ».*
Voilà donc le profil d’un « plaignant » à la crédibilité douteuse, une association politiquement alignée sur des adversaires du Maroc, une juge zélée et des pratiques policières qui ne peuvent pas ne pas avoir reçu un « feu vert » à un niveau élevé.
L’ex-boxeur avoue avoir rencontré Hicham Alaoui
Dans les éléments de ce scénario embarrassant, on ne peut raisonnablement exclure une information dérangeante confirmée par Zakaria Moumni lui-même sur son compte Facebook le 7 octobre 2014 et révélée par la presse. *
L’ex-boxeur y parle de sa rencontre le 26 juin 2014 avec Hicham Alaoui* et sa femme au Fouquet’s à Paris. Dans un paragraphe, il justifie maladroitement cette rencontre par… le hasard.
Comment y croire devant l’action organisée de l’universitaire Hicham Alaoui pour porter atteinte aux valeurs morales du règne du Roi Mohammed VI depuis plus de 20 ans ?
En anglais cela s’appelle du « sapping ». Il s’agit d’œuvrer à affaiblir ou détruire graduellement la force ou le pouvoir d’une personne. Pour tenter d’y parvenir, Hicham Alaoui s’appuie sur trois catégories d’individus : des journalistes, des universitaires et des « créatures » au profil trouble comme Zakaria Moumni ou Mustapha Adib qui avait d’ailleurs ouvertement fait état de ses relations avec Hicham Alaoui*.
Il avait dénoncé dans une lettre rendue publique en 2008, ses promesses d’aide financière non tenues, même si l’ex-capitaine avoue avoir reçu de Hicham Alaoui 25% de la somme prévue. Toutes ces personnes ont en commun le même ressentiment lié à des attentes ou des demandes non satisfaites par « Rabat », pour ne pas dire le Roi.
Mais c’est là un autre récit auquel nous consacrerons un prochain article.
Mustapha Adib, « collaborateur » des services français
Cependant, dans l’architecture marécageuse des cercles dans lesquels ces « créatures » sont récupérées et encadrées dans l’objectif de discréditer le Maroc, le cas de l’ex-capitaine Adib nous interpelle sur les pratiques des services de la sécurité intérieure française, en l’occurrence la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), devenue depuis la Direction Générale de la Sécurité intérieure (DGSI). Dans un long post publié sur sa page Facebook depuis les Etats-Unis où il s’est installé, Mustapha Adib nous apprend en février 2019 qu’il a travaillé pour les services français, en 2014, c’est-à-dire en pleine crise entre le Maroc et la France.
A en croire l’ancien officier de l’armée de l’air marocaine, cette « coopération » devait être « entourée avec le maximum de secret ». Parmi ses « missions », des passages sur la chaine d’information en continu « France 24 » au sein de laquelle les services français semblent pouvoir ouvrir toutes les portes : « mon passage sur France 24 était dans le cadre d’une transaction avec les services secrets français et au plus haut niveau », écrit Mustapha Adib. On ne sait pas si le fait de qualifier le Maroc de « dictature » sur le plateau de la chaine chapeautée par le Quai d’Orsay faisait partie du « brief » reçu pas ses officiers traitants de la DCRI.
Ce que l’on croit savoir en revanche, c’est que lorsque l’on rend visite à un malade à l’hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce (fermé depuis), il faut montrer patte blanche.
Or, lorsque Mustapha Adib s’y rend le 18 juin 2014 pour tourmenter la famille du Général Abdelaziz Bennani qui y était hospitalisé, il n’a aucun mal ni à y entrer, ni à trouver la chambre du général marocain mourant. Comment ? Par quels moyens ?
La réponse à ces questions se trouve peut-être dans un second post Facebook dans lequel l’ex-militaire affirme avoir également travaillé pour le compte du renseignement militaire français.
Depuis, les deux posts ont été supprimés du compte de Mustapha Adib.
Une plainte classée mais une affaire qui n’a pas livré tous ses secrets
Pour revenir à Zakaria Moumni, la justice française a classé sa plainte sans suite le 19 juillet 2016.Un protocole additionnel à la convention judiciaire liant les deux pays a été adopté par l’Assemblée Nationale pour que les procédures engagées en France par un ressortissant marocain contre un autre ressortissant marocain sur des faits commis au Maroc soient traitées à Rabat. Malgré cela et les conclusions du rapport d’enquête transmis à la justice française et selon lequel les actes de torture dont Moumni prétend être victime « ne reposent sur aucun fondement, ni de fait ni de droit (…) », la pilule ne passe toujours pas à Rabat.
Au delà du caractère insultant de la démarche, il est évident aux yeux de plusieurs hauts responsables marocains que les ressorts de cette affaire ne sont pas encore tous connus.
Si à deux reprises, Abdellatif Hammouchi s’est rendu en Espagne pour se voir décerner en 2014 et 2019 les plus hautes distinctions du royaume voisin, il n’a jamais voulu recevoir la légion d’honneur française. Une source au sein de l’ambassade de France à Rabat nous confirme que la prestigieuse décoration « n’a en effet jamais pu être remise » au patron de la DGST.
Le patron de la sécurité intérieure ne veut pas de la légion d’honneur
Elle avait pourtant été annoncée à grand renfort de caméras de télévision par Bernard Cazeneuve alors ministre de l’intérieur de François Hollande. Il s’était rendu à Rabat le 14 février 2015 pour aplanir les derniers « malentendus », louer « l’efficacité » des services de sécurité marocains et signifier l’estime et la considération de son pays au Maroc, un « partenaire clé » qui s’était tenu aux côtés de la France dans la terrible épreuve des attentats de Paris.
Le pensionnaire de la place Beauvau avait demandé à ce qu’Abdellatif Hammouchi soit présent au déjeuner organisé par son homologue Mohamed Hassad, mais le patron de la sûreté nationale marocaine, « ne s’y est pas rendu », nous affirme notre source de l’ambassade de France qui a insisté pour garder l’anonymat.
Quelques mois plus tard, lors d’une visite officielle à Tanger les 18 et 19 septembre 2015, le président François Hollande lui-même revient à la charge pour l’attribution de la légion d’honneur au patron de la DGST, qu’il s’agissait en réalité d’élever au grade d’officier puisque Abdellatif Hammouchi avait été fait chevalier de la légion d’honneur en 2011 par le président Sarkozy.
Le Directeur Général de la DGST et de la DGSN n’a jamais donné suite, à ce jour, ni à la première ni à la seconde proposition de décoration. Elles avaient été formalisées dans des écrits dont AtlasInfo.fr s’est procuré une copie.
Maitriser le renseignement, c’est contrôler les décisions
Cet épisode de la résidence du Maroc à Paris illustre combien les questions de sécurité et de renseignement s’inscrivent au cœur des enjeux des relations internationales en devenant les principaux ressorts du changement qui caractérise les différents rapports de force entre Etats.
« La date du 11 septembre 2001 n’est pas seulement le repère symbolique d’un changement d’ère, elle est aussi l’expression d’une dimension inédite de la guerre, celle qui se mène par l’information », écrivent Didier Lucas et Christian Harbulot dans « La Guerre Cognitive » *.
Par le passé, la dissuasion nucléaire ou la guerre économique pouvaient suffire « à tenir un Etat ». Aujourd’hui la production du renseignement a bousculé ces paradigmes. Elle confère à ceux qui la maitrisent une part importante du contrôle de la décision, qu’elle soit régionale ou mondiale.
Aucun état, aucun service au monde ne peut prétendre aujourd’hui être en situation d’« autosuffisance » en matière de renseignement lui permettant de revendiquer ou d’occuper une position de domination absolue.
Pour sa part, le Maroc peut prétendre à une légitimité durable. C’est ce qui en a fait une cible mais c’est également ce qui le rend aujourd’hui si essentiel.
*Interview de Hélène Legeay à « Algérie Patriotique », 28 juin 2017.
*Interview à « La Croix », 26 janvier 2018.
* Jeune Afrique.com, 3 octobre 2014.
*Hicham Alaoui est le fils ainé de Feu Moulay Abdellah, frère de Feu le Roi Hassan II.
*Sous la direction de Christian Harbulot et Didier Lucas, « La guerre cognitive, l’arme de la connaissance ». Lavauzelle-Graphic Editions, 2004.