La tension que viennent de vivre les relations entre le Maroc et l’Espagne ont mis à rude épreuve le principe de solidarité européenne conjugué aux intérêts nationaux de chacun des pays membres.
Quand le bras de fer entre Rabat et Madrid était arrivé à une dangereuse impasse, Madrid n’avait pas répondu à cette crise bilatérale de manière à trouver une solution dans un cadre restreint. Les autorités espagnoles, espérant faire pression sur le Maroc, ont tenté de transformer ce bras de fer politique en un dossier de crise avec l’Europe sur fond d’angoisses migratoires. Cette volonté d’européaniser une crise bilatérale fait partie de l’arsenal de guerre espagnole contre le Maroc.
Durant toute la crise sur l’affaire scandaleuse de Brahim Ghali, chef des séparatistes du Polisario, l’Europe est restée silencieuse. La France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait tenté une timide médiation. Même l’Allemagne, dont les rapports avec le Maroc traversent une mauvaise période, avait observé une attitude prudente.
Il faut rappeler qu’à la suite de la crise de confiance entre l’Allemagne et le Maroc, les autorités allemandes ont pris quelques initiatives afin d’apaiser les tensions et adresser des messages positifs à Rabat.
À commencer par leur refus d’accueillir le chef du Polisario, Brahim Ghali, même pour des soins alors que c’était, selon toute vraisemblance sa destination initiale. Les allemands ont joué une autre carte d’apaisement avec Rabat à travers leur dernière invitation lancée au Maroc pour assister à la conférence internationale sur la Libye, «Berlin 2» prévue le 23 juin 2021.
Dans ce cadre il faut rappeler qu’une des raisons de l’ire marocaine contre les Allemands était leur volonté manifeste d’exclure le Maroc des pourparlers sur la Libye lors de la première conférence de Berlin le 19 janvier 2020.
L’Europe n’est vraiment sortie de sa réserve que lorsque le gouvernement de Pedro Sanchez a fait jouer la carte du cauchemar migratoire. Une certaine presse espagnole, excitée par la démolition de l’image du Maroc, motivée par des règlements de compte historique aux relents xénophobes, a même tenté de faire passer le Maroc pour la Turquie dans son jeu trouble de chantage aux réfugiés.
L’Espagne a donc joué à fond la carte de la peur migratoire pour faire condamner le Maroc et lui faire porter tous les torts de cette crise. Son objectif était moins de militer pour une protection européenne commune contre les réseaux de l’immigration clandestine que construire un camouflage politique et médiatique afin de cacher les faillites de sa gestion de l’affaire Brahim Ghali qui ont fait tomber les masques de sa duplicité à l’égard du Maroc.
Cette crise a d’ailleurs provoqué de nombreux grincements de dents au sein même de la classe politique espagnole dont certaines voix influentes ont demandé la démission de la ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez Laya, pour cause d’incapacité politique et diplomatique et de faillite à gérer cette tension avec un pays voisin aussi important comme le Maroc.
Face à cette crise, certains pays européens étaient manifestement tiraillés entre leur solidarité organique avec l’Espagne dont ils partagent l’appartenance à l’Union européenne (UE) et leurs relations stratégiques et particulières avec le Maroc.
Il est vrai que de cette épreuve, les relations entre le Maroc et l’UE risquent de sortir détériorées, ne serait-ce que sur le plan de la symbolique diplomatique.
Les pays européens, par solidarité avec l’Espagne, ont été obligés de durcir le ton avec le Maroc, comme en témoigne le projet de résolution du Parlement européen élaboré à la suite de cette séquence houleuse entre deux pays voisins.
Mais la vraie interpellation qui suscite le débat est la suivante : comment se fait-il que l’ensemble de l’espace européen puisse mettre dans la balance la vitalité de ses rapports avec le Maroc simplement parce qu’une partie du pouvoir espagnol, minime et agissante, activiste et militante, a jugé utile d’appuyer sur la pédale de son antagonisme avec le Maroc ?
Les agendas, les intérêts espagnols ne coïncident pas forcément avec ceux des Français, des Italiens, des Belges ou des Norvégiens. Et pourtant, au nom de la solidarité européenne, tous ces pays sont sommés de s’aligner sur la température des relations voulues par l’Espagne.
La grande contradiction que vont désormais vivre certains diplomates européens réside dans le fait d’aligner une synthèse intelligente entre la position de Bruxelles et de Strasbourg, qui froncent les sourcils à l’égard du Maroc pour avoir temporairement fermé les yeux sur ses frontières avec les villes espagnoles occupées en territoire marocain, et leurs relations bilatérales dont certaines ont atteint un partenariat d’exception, tant sur le plan économique, sécuritaire et politique.
D’ailleurs il serait hasardeux, voire dangereux, pour ces pays européens de se laisser entraîner dans cette tourmente entre le Maroc et l’Espagne.
Mais cette crise peut aussi aider à générer un exercice de clarification. Malgré les apparences, malgré les multiples artifices utilisés par le gouvernent Espagnol pour détourner l’attention, les pays de l’UE savent que le fond de la crise entre Rabat et Madrid n’a rien avoir avec les problématiques de l’immigration mais plutôt avec la question du Sahara.
Le Maroc voudrait que ses alliés européens s’alignent sur la position américaine pour clore définitivement cette dispute territoriale voulue par Alger. Or, il constate non seulement une grande hésitation que rien, officiellement, ne justifie, mais aussi un dangereux double jeu de la part de certains qui ambitionnent de miser et de gagner sur tous les tableaux.