La régionalisation à l’épreuve de la pandémie du coronavirus

Selon les dernières statistiques de l’université américaine John Hopkins, près de 4 millions de personnes ont été victimes de la pandémie du coronavirus et 277 000 personnes ont trouvé la mort à travers le monde. Les Etats-Unis ont enregistré le plus grand nombre de cas avec 1 300 000 victimes, suivis de l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la Russie.

Ces chiffres sont autant inquiétants qu’ils incitent à la réflexion, car le point commun entre tous ces pays gravement touchés est leur puissance industrielle, miliaire et leurs infrastructures solides, en plus de leur culture des droits de l’Homme, du bénévolat et de la démocratie… ces chiffres ont montré la vitesse de transmission du Covid-19 d’une part mais ont, d’autre part, découvert le rideau sur plusieurs « zones d’ombre » au niveau de la politique et de l’économie et de la gestion de la diversité politique et idéologique que soit en interne ou au niveau des alliances stratégiques mondiales.

Plusieurs observateurs se sont arrêtés sur la problématique de la régression des cas de décès malgré la hausse des nouveaux cas déclarés. Ce qui remet en question les décisions de l’acteur politique et sa gestion de la guerre contre le coronavirus.. à commencer par l’annonce de la pandémie, puis le confinement sanitaire jusqu’à la gestion de la deuxième étape et du « déconfinement » progressif et bien d’autres mesures de prévention et dispositions pour la sécurité sanitaire et alimentaire.

La plupart des pays occidentaux reposent sur des systèmes de régionalisation et des régions autonomes afin d’apporter des réponses politiques en phase avec la diversité culturelle et religieuse de leurs sociétés… ces pays ont réussi à contenir les différences grâce à la régionalisation en tant que mécanisme de la politique de la proximité du citoyen où la région est une institution constitutionnelle qui partage la gestion collective avec « le centre » et qui peut même la monopoliser dans certains cas avec ses institutions qui la représente auprès de l’autorité centrale comme les ministères par exemple, ou les comités européens des régions au sein de l’Union européenne.. considérant les régions comme mécanisme de l’exercice démocratique dans les pays occidentaux.

Les mêmes observateurs ont évoqué les problématiques juridiques et constitutionnelles liées à l’intersection des prérogatives des institutions des régions et celles du pouvoir central qui ont été déterminantes dans la circonscription ou la propagation du virus… ce qui incite à s’arrêter sur la différence des systèmes de régionalisation de ces pays, car la régionalisation en Allemagne par exemple est différente de celle en France, en Italie ou au Portugal.

Nous avons remarqué comment les lois ont permis aux régions de monopoliser la gestion de certains secteurs, dont celui de la santé.. ce qui a placé l’autorité centrale au second plan au début de la pandémie du coronavirus.. nous avons pu voir la régionalisation à l’œuvre aux Etats-Unis où les autorités fédérales ont attendu l’intervention des gouverneurs des états américains, comme ont dû faire à leur tour Angela Merkel en Allemagne, Giuseppe Conte en Italie et le chef du gouvernement espagnol.

En Espagne par exemple, il y a eu recours à l’article 116 de la Constitution, pour que le gouvernement de Pedro Sanchez puisse décréter l’étant d’urgence et appliquer toutes les mesures de prévention et le confinement sanitaire sur l’ensemble du territoire espagnol.. une gestion de crise sur un fond de conflits historiques, politiques et électoraux surtout au Pays Basque, en Catalogne et en Andalousie.. et une exploitation politique des partis de l’opposition, notamment le Parti populaire et le parti d’extrême-droite Vox…

En Italie, les décrets du premier ministre italien ont été appliqués sur la base du décret du 6 février 2020 et tous les amendements qui s’en sont suivis, sur la base du décret législatif n° 1-2018 concernant le code de protection civile… en attirant l’attention sur l’existence d’autres lois qui délèguent aux communes des prérogatives dans des marges limitées en ce qui concerne les dispositions de l’état d’urgence… quant à la Constitution italienne, elle stipule dans son article 117 de la dualité de gestion entre le pouvoir central et les régions dans les secteurs de la santé et de la protection civile, où il confère au premier de légiférer sur les dispositions générales et aux secondes de concrétiser les dispositions exécutives…

Pour cela, on remarque que le pouvoir judiciaire administratif est intervenu deux fois (les tribunaux administratifs de Calabre et de Vénétie) en faveur des autorités centrales et ce en annulant les décisions de quelques présidents de régions sur la base de l’état « d’urgence covid-19 » décrété sur le territoire italien.

Quant à l’Allemagne, son système de régionalisation est des plus flexibles, permettant plus de marges de manœuvre aux autorités fédérales et aux présidents des régions où les dispositions du confinement sanitaire sont différentes d’une région à une autre… mais il faut noter que le point de force de l’Allemagne dans sa lutte contre le coronavirus émane de la force de son système de santé qui a pu éviter l’encombrement des hôpitaux et l’épuisement des professionnels de la santé… car l’Allemagne dispose de près de 1942 hôpitaux, 497.000 lits et un système de sécurité sociale moderne et développé qui a été lancé en 1883 déjà du temps du chancelier Bismarck, d’où l’appellation aujourd’hui du modèle bismarckien.

À l’ombre de toutes ces interactions politiques entre les régions et les autorités centrales, et notamment les dispositions de l’état d’urgence covid-19.. et à l’ombre des provocations de l’extrême-droite en Italie, en Espagne et en Hongrie.. sur la programmation de la levée du confinement et la réclamation de constituer un gouvernement national sous le prétexte de protéger l’économie nationale.. les autorités nationales on tenté d’absorber ces provocations en constituant des comités scientifiques ou parlementaires mixtes en Espagne comme modèle, afin de fournir une vision prospective du pays, y compris concernant sa place au sein de l’UE.

Car à l’ombre de tous ces chiffres et tous ces conflits politiques, le modèle portugais s’est distingué comme un point de lumière dans le traitement des pays européens de cette pandémie.. malgré le taux de vieillissement élevé et la faiblesse de l’infrastructure sanitaire portugaise comparée à celles d’autres pays de l’UE.

La première remarque à soulever est que la régionalisation au Portugal est différente de ses semblables de l’UE et que le système administratif est plus dominé par le pouvoir central que par les régions, surtout dans la gestion du secteur de la santé.. c’est ce qui justifie la rapidité de la prise de décisions et l’application des dispositions de l’état d’urgence le 18 mars alors que le pays n’enregistrait que 448 cas de contamination au coronavirus, tandis que l’Espagne par exemple n’avait décrété l’état d’urgence sanitaire qu’après avoir enregistré des milliers de cas… au sens où le Portugal a pu tirer profit du retard de l’avènement du virus sur son territoire après l’Italie et l’Espagne.

L’esprit collectif a également constitué un élément important du cas portugais, où 45% des citoyens du pays sont sortis une fois par semaine pendant le confinement sanitaire.. du point de vue politique, la déclaration du leader de l’opposition Rui Rio de vouloir être solidaire et coopératif avec le chef du gouvernement Antonio Costa car la situation dans le pays a plus besoin de coopération que d’opposition a fait cas d’école…

Ceci a fait éviter au Portugal la gestion des tractations politiques et idéologiques comme celles provoquées en Italie ou en Espagne aux aspirations séparatistes.. et facilité la prise de décisions politiques importantes en ce temps de pandémie comme l’état d’urgence, la levée progressive du confinement sanitaire, la libération des prisonniers pour soulager l’encombrement dans les prisons et éviter les contaminations puis la régularisation de la situation des immigrés clandestins et des réfugiés au Portugal.

De tout cela, on peut conclure que l’institution de la régionalisation est le résultat de cumuls politiques, intellectuels et idéologiques.. dont l’objectif principal est l’application de la politique de proximité et apporter des réponses politiques à toutes les attentes des citoyens/électeurs.

Mais la pandémie du coronavirus a-t-elle été un véritable test pour l’efficacité des institutions des régions par rapport à l’autorité centrale?

Est-ce que ces différences entre les institutions des régions dans les pays européens est un facteur important dans la lutte contre le coronavirus ou une cause de sa propagation?

Et comment la régionalisation peut se transformer d’un mécanisme de la politique de proximité à otage des idéologies politiques européennes pendant cette pandémie?

Abdellah Boussouf*,

Historien, Secrétaire général du CCME

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