Le voyage dans le temps des Anciens Lauréats du Lycée Tarik d’Azrou: Visite du Monastère de Toumliline

L’Association AMYAFA Pour le Développement Durable des Anciens Lauréats du Lycée Tarik Ibn Ziad d’Azrou a organisé en partenariat avec la Fondation Mémoires Pour l’Avenir une visite au Monastère de Toumliline ( دير تومليلين) , le Samedi 22 juin 2024.

Le nom Toumliline تومليلين signifie en langue amazighe « les pierres blanches » du nom d’une source calcaire située en amont de l’ancien monastère, qui se trouve à 3 kilomètres de la petite ville d’Azrou.

En octobre 1952, vingt moines bénédictins d’En-Calcat arrivèrent sur le site de Toumliline et restaurèrent puis agrandirent une ancienne école pour garçons pour y fonder un Monastère. Ces moines répondaient à l’invitation de Monseigneur Lefèvre, archevêque du diocèse de Rabat, avec l’accord du sultan Feu Mohammed Ben Youssef.

De 1952 à 1968, le Monastère de Toumliline recueillit à son internat des enfants orphelins, issus de milieux pauvres, qui bénéficieront de la nourriture et de l’éducation. La présence des moines dans un pays musulman est une expérience humaine et spirituelle. L’histoire du Monastère de Toumliline est un exemple édifiant.

Les moines gagnèrent progressivement la confiance des populations locales en travaillant de leurs mains, en apprenant l’arabe et Tamazight et en accueillant les populations, notamment pour des soins médicaux. Ils bâtirent un dispensaire, une école et un internat pour garçons et développèrent des activités agricoles.

Le Monastère disposait d’une bibliothèque importante riche en littérature, en philosophie, histoire, arts, astronomie, etc, destinée aux élèves du Lycée Tarik d’Azrou et aux étudiants de la région. Les moines donnaient des cours de langues, de philosophie et des formations professionnelles .

Par ailleurs, les moines sortent un jour de 1953 du monastère pour spontanément servir du thé et distribuer du pain à des prisonniers effectuant des travaux forcés à proximité, et ce malgré l’opposition virulente des autorités militaires françaises. Or ces prisonniers sont les leaders du mouvement nationaliste marocain emprisonnés pour leurs actions militantes en faveur du sultan du Maroc qui sauront, à l’Indépendance, s’en souvenir.

En août 1955, les camps de vacances organisés par les nationalistes marocains dans les alentours du monastère sont fermés par l’armée française, car suspectés d’activisme nationaliste. Les organisateurs des camps demandent l’hospitalité aux moines qui les accueillent. Comme il fallait occuper les jeunes, les moines, les jeunes catholiques et les leaders des jeunesses nationalistes organisent des ateliers de débat, des jeux, des tournois et des veillées musicales.

Les moines racontèrent plus tard combien les jeunes élèves et les étudiants marocains étaient désireux de comprendre leurs hôtes et d’apprendre d’eux. Des professeurs de passage prêtèrent assistance et, tous ensemble, ils organisèrent des cours, des tables-rondes, et des débats. Les internes du Lycée Tarik Ibn Zyad d’Azrou s’y associèrent, ainsi que de nombreux jeunes catholiques de passage au monastère.

Tous ces jeunes, en dépit des tensions très vives entre les communautés, fraternisèrent, débattirent avec la passion de leur âge. Ce moment de dialogue et de partage fut la première illustration de ce qu’on a appelé « l’Esprit de Toumliline », fait de soif de connaissance, de partage et de respect réciproque

Feu Le sultan Mohammed Ben Youssef, encourage le projet de Toumliline, auquel il apporte en 1956 son haut patronage. Dans le contexte de la décolonisation, le Monastère devient un lieu de conférences annuelles où sont évoquées et débattues les questions de l’avenir socio-politique et économique non seulement du Maroc, mais aussi de plus en plus de l’Afrique, prenant ainsi l’allure de congrès de réflexion, voire de « think-tank africain ».

Des sujets, précis et concrets, la Cité, l’Éducation, permettent d’aborder les enjeux politiques et économiques du Maroc, tout en recoupant des enjeux internationaux. Les rencontres sont largement ouvertes aux intellectuels de tous horizons.

Pendant deux années de suite, en 1956 et 1957, Feu le Roi Mohammed V reçoit les participants aux Rencontres internationales dans son palais de Rabat à la fin de chaque session. Les gouvernements successifs marocains participent à ces rencontres jusqu’en 1961, faisant la réputation et la renommée du monastère dans les milieux politiques internationaux.

La montée des tensions politiques, tant au niveau national qu’international, liées à l’installation de la Guerre froide et à la cristallisation de positions idéologiques et d’intérêts stratégiques opposés, fragilisera puis rendra impossibles ces Rencontres Internationales dans leur format politico-religieux.

Elles prennent progressivement une tonalité plus intellectuelle, philosophique et culturelle. À un public de politiques succède un public de jeunes étudiants et d’artistes marocains, notamment Jilali Gharbaoui qui fera plusieurs séjours au monastère et dont les œuvres réalisées à Toumliline ont été exposées au Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain.

Le Père Denis Martin part en Afrique de l’Ouest à partir de 1960 et fonde le « Monastère Sainte Marie de Bouaké » en 1960 en Côte d’Ivoire, et l’« Abbaye Saint Benoît de Koubri » en 1961 au Burkina Faso, où il détache de façon permanente des moines de Toumliline. Il organise à Bouaké en 1962 et 1963 deux sessions de débats par an appelées « Toumliline à Bouaké ».

De 1956 à 1968, le Monastère de Toumliline accueillit une série de débats et de conférences internationales. Le premier cycle de ces rencontres se tint sous l’égide du Feu Roi Mohammed V. La session de 1957, elle fût présidée par Feu Hassan II, alors Prince Héritier, en présence de la princesse Lalla Aicha.

En 1967, les tensions politiques deviennent telles que le dispensaire puis l’internat sont fermés. Les autorités marocaines proposent aux moines de Toumliline de transférer le monastère à Témara . Les moines refusent et ferment le monastère en juin 1968.
Le monastère devient un centre pour colonies de vacances puis un centre de formation professionnelle avant d’être fermé. Il est la propriété du Conseil préfectoral de la ville de Meknès.

En janvier 2016, S.M. le Roi Mohammed VI a adressé un message royal aux participants d’un congrès portant sur « Les Minorités religieuses en terre d’islam : le cadre juridique et l’appel à l’action », message dans lequel il cite l’expérience des Rencontres Internationales du Monastère de Toumliline: « Le Maroc a été un pays précurseur en matière de dialogue interreligieux.

Depuis 2015, la Fondation Mémoires pour l’Avenir, association de droit marocain fondée en 2008, travaille avec des partenaires marocains et étrangers au rassemblement des archives relatives au monastère et aux Rencontres internationales qui s’y sont tenues, ainsi qu’à la collecte de la mémoire des habitants de la région et des participants aux Rencontres.

L’objectif de ce projet, intitulé « Réinventer Toumliline », est de préserver et de transmettre aux jeunes générations, l’exemplarité de ce lieu de rencontre, de dialogue respectueux et de partage entre des personnes de religions autant que de convictions différentes.

Le projet du Monastère de Toumliline s’inscrit dans la volonté de faire revivre le site en y développant des activités durables éducatives, culturelles et économiques, articulées sur les besoins des habitants de la région et respectueuses de l’environnement.

Mouloud AIT HADDOU*
Lauréat du Lycée Tarik d’Azrou
Ingénieur de l’Énergie et des Mines
Secrétaire Général de l’Association AMYAFA PDD

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