Chantage comme ligne éditoriale, les masques sont tombés

La décision de porter plainte devant la justice française, quand cette sombre affaire de chantage contre le Roi du Maroc a débuté, est un coup de génie dont on ne mesure pas assez les conséquences. L’analyse à chaud impose régulièrement une forme de myopie. Cette initiative judiciaire et la nouvelle séquence dans laquelle elle plonge la relation médiatique – et indirectement politique – entre la France et le Maroc est à la fois inédite et prometteuse.

Par Mustapha Tossa

Inédite parce qu’elle met fin de manière spectaculaire à un magistère moral exercé depuis Paris sur des questions cruciales du nouveau Maroc en cours de construction, comme la liberté d’expression, les droits de l’homme ou la moralisation de la vie politique. Proximité historique et francophilie oblige, les médias français exerçaient une sorte de fascination sur l’opinion marocaine qui en admiraient l’objectivité et l’élégance et sur l’élite marocaine qui en consommait "le jus idéologique" jusqu’à la lie. Ces médias et ces journalistes étaient porteurs d’un bel esprit, l’essence même de la vieille tradition démocratique française.

Avec le temps, l’affaire Eric Laurent /Catherine Graciet apparaîtra pour ce qu’elle est : une tentative de chantage et d’extorsion de fonds de la part de deux journalistes français. Mais au delà de ses péripéties judiciaires, elle a d’ores et déjà l’effet d’une bombe dans les médias français. Il n’y a qu’à voir la nature des Breaking news montés à la hâte sur le sujet, l’épaisseur des interrogations incrédules formulées dans l’urgence pour saisir l’importance de la secousse qu’une telle affaire a pu provoquer. Pourtant, alors que les principaux acteurs de cette sombre affaire – avocats, autorités judiciaires, sources policières françaises -, confirment preuves à l’appui (l’argent remis, le contrat signé, le chantage enregistré généreusement en son et en image) l’incontestable opération de chantage à laquelle se sont livrés Eric Laurent et Catherine Graciet, certains médias ou journalistes tentent quasiment de faire passer deux maîtres chanteurs pris les doigts dans la confiture, pour deux victimes presque accusées à tort. Leurs proches montent aussi au créneau et dénoncent un "traquenard" du Maroc, ce qui revient à dire que police et justice française sont des ingénus naïfs qu’on peut manipuler à sa guise !

Cette affaire de chantage qui intervient alors que les relations entre Paris et Rabat ont repris leur traditionnel rythme de croisière est un véritable coup de pied dans la fourmilière de certains journalistes écrivains qui ont fait du Maroc une spécialité éditoriale pour les uns et un fond de commerce juteux pour les autres. Dans le marché de l’édition et de la production d’informations, le Maroc est un pays qui fait vendre, suscite beaucoup d’intérêt et de curiosité. Il faut plus s’en féliciter que s’en plaindre. Une des principales conséquences de cette affaire sera qu’on fera dorénavant le tri entre les articles relevant d’une surenchère inutile et intéressée ou d’une offre de service courtisane et les écrits de qualité – et ils existent heureusement.

Une fois apaisée, voire rationalisée, cette relation médiatique participera sans aucun doute à ce que la relation politique entre les deux pays, que la géographie, l’histoire, l’économie ont inévitablement rendu intime, atteindra un niveau de maturité bénéfique pour son essor et sa prospérité. La prochaine visite du président français François Hollande au Maroc, à Tanger précisément les 19 et 20 septembre prochain, sera une occasion supplémentaire et prestigieuse d’illustrer ce retour à la normale après le long épisode glacial de la suspension de la coopération judiciaire.

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