Le débat sur l’intégration des musulmans en Allemagne
Bonn – La relation entre le peuple allemand et les musulmans résidant en Allemagne est un des sujets dont on parle le plus en ce moment dans les débats publics, qui finissent souvent en disputes.
La réalité est naturellement plus complexe, et on se doit de parler de cette complexité et d’en tenir compte.
Cette prise en compte consiste en partie à mettre en lumière le contexte malgré lequel les exigences d’intégration doivent être satisfaites. Historiquement, l’identité allemande a été façonnée non seulement par la langue et la culture allemandes mais aussi par le christianisme. Longtemps, celui dont la culture ne correspondait pas à ces paramètres était perçu comme un étranger. Le groupe qui a subi le plus douloureusement les conséquences de cette tendance à l’exclusion, ce sont les juifs. Le sort tragique des juifs qui ont essayé de se faire accepter par les Allemands n’est que trop connu.
Or l’Allemagne d’aujourd’hui est une démocratie libérale. Tout parallélisme entre l’Holocauste et la xénophobie que subissent les musulmans vivant dans ce pays à l’heure actuelle est, par conséquent, non seulement une insulte aux victimes du génocide nazi mais aussi la preuve d’une grande ignorance des changements que la République fédérale d’Allemagne a réussi à instaurer depuis 1945.
Cependant, la société allemande continue à garder d’elle-même une image, ancrée dans l’histoire, qui constitue un fardeau en matière d’intégration des émigrés et de leurs enfants. Il ne s’agit pas là d’un reproche – car il est impossible d’imposer une identité nationale supra-ethnique depuis le haut, en Allemagne comme dans tout autre pays – mais plutôt d’une façon de tirer la sonnette d’alarme quant à l’urgence pour nous Allemands de trouver un meilleur modèle de coexistence.
Pour la majorité allemande, la tâche principale serait de faire connaître l’islam et d’inculquer de manière cohérente les notions de respect et de tolérance envers les autres. Il faut dire que la plupart des Allemands n’ont aucune connaissance élémentaire de l’islam et de la culture musulmane.
Pour donner un exemple, dans les débats sur la religion musulmane, on se réfère à Dieu généralement en utilisant le mot arabe « Allah » – d’où l’impression d’une divinité différente, ou pour ainsi dire à part, qui serait plus sévère et inflexible que le « dieu d’amour » chrétien. Or très peu d’Allemands savent quoi que ce soit sur les doctrines sociales, la jurisprudence, ou encore le devoir de charité en islam.
D’où l’urgence de doter la grande majorité de la population allemande d’une vision plus équilibrée de la religion et de la civilisation musulmanes. Aussi longtemps qu’on tarde à le faire, ou qu’on ne le fait pas assez, les préjugés gagneront du terrain.
La tâche n’est pas facile. Il faudra créer le matériel d’enseignement pour les écoles et autres institutions ; les enseignants auront besoin de formation ; il faudra également y consacrer beaucoup de temps et bien sûr des fonds – qui semblent toujours insuffisants- sans oublier le fait que ce genre de mesures ne sont pas toujours très appréciées politiquement – car les gens n’aiment pas renoncer à leurs vieux préjugés et évitent d’aborder des thèmes qui les mettent mal à l’aise.
Pourtant, sans un effort complet de clarification au niveau du gouvernement fédéral, des Länder et des municipalités, « l’islamophobie » et l’hostilité envers les musulmans continueront à progresser. Ce qui est regrettable, d’autant plus que cela encourage la division et renforce la tendance de certaines couches de la communauté musulmane à créer des sociétés parallèles.
Par ailleurs, nous ne devons pas accepter les exigences de certains groupes musulmans extrémistes selon lesquels pour parvenir à une intégration réussie, il nous faudrait faire des compromis par rapport aux principes libéraux et démocratiques allemands.
Nous devons également refuser d’approuver l’idée de remplacer le code pénal allemand par la loi islamique lorsqu’il s’agit de musulmans.
Naturellement, toute forme de violence motivée par la religion – qu’elle soit dirigée contre d’autres musulmans ou des non-musulmans – doit être combattue. Dans la lutte contre cette violence, les musulmans allemands, en majorité respectueux de la loi et des principes démocratiques, doivent être solidaires de la majorité respectueuse de la loi et des principes démocratiques dans notre pays.
Dans une société libre, les démocrates ont le devoir de prendre leurs distances non pas par rapport aux musulmans, aux chrétiens ou aux juifs – mais vis-à-vis des antidémocrates. C’est pourquoi, les grandes figures de la communauté musulmane – hommes politiques, chefs religieux, militants, écrivains et autres – sont maintenant, comme précédemment, appelées à se distancier complètement des extrémistes. Plus ils y mettront de la volonté, mieux ils contribueront à l’intégration des musulmans.
Cependant, ce devoir incombe non seulement aux figures importantes de la majorité et de la minorité mais à tout simple citoyen. Nous devons tous non seulement défendre le respect des autres en théorie mais aussi vivre notre vie quotidienne selon ce précepte.
Nous devons appliquer ce principe dans notre tête, mais aussi dans notre cœur, conformément au Troisième Commandement (Lévitique 19-18) : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». C’est la seule façon d’assurer un avenir commun, pour le bien de notre pays.
*Stephan J. Kramer est le secrétaire général du Conseil central des juifs d’Allemagne. Article distribué par le Service de Presse de Common Ground (CGNews), avec l’autorisation de Qantara.de.
Source: Qantara.de, 19 février 2010, www.qantara.de
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