Pandémie: les propositions chocs de Dominique Strauss-Khan

Sous le titre « L’être, l’avoir et le pouvoir dans la crise », Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Économie et des Finances et ancien directeur-général du Fonds Monétaire International, aujourd’hui à la tête d’un cabinet de conseil, consacre une analyse percutante sur l’ampleur du choc économique, politique et social consécutif à la pandémie du Covid-19. L’analyse a beaucoup agité le landerneau macroniste.

Dans cette longue analyse publiée dans la revue Politique internationale, observe tout d’abord que la pandémie du Covid-19 est de nature foncièrement différente que les grandes crises sanitaires que le monde a connu comme la grande peste noire de 1348 ou la grippe espagnole en 1918-1919. La vitesse de propagation a provoqué un basculement de l’épidémie à la pandémie, entraînant la décision de confiner près de la moitié de la population du globe (soit le double de la population mondiale lors de l’épisode de la grippe espagnole) trois mois seulement après le déclenchement de la crise sanitaire. Si la mondialisation est au cœur du processus de propagation, les défauts de prévoyance, le manque d’équipements de protection et de production ont montré les faiblesses des systèmes de santé occidentaux. Ceux-ci ont fait preuve d’un manque de capacité d’anticipation et d’une inadéquation de leur organisation à faire face à une crise sanitaire de grande ampleur. La mauvaise appréciation de la gravité de la crise et l’oubli de la précarité de l’être dans l’inconscient collectif sont révélateurs d’une crise de l’avoir et d’une crise du pouvoir.

La récession économique que nous connaissons ne ressemble pas aux crises économiques passées, car elle agglomère un choc sur l’offre et un autre sur la demande. Le confinement entraîne mécaniquement une chute de la production. Des entreprises réduiront leurs effectifs tandis que d’autres fermeront et l’État ne pourra pas sauver toutes les entreprises et les emplois. Ce qui entraînera un choc sur la demande, par une baisse de la consommation, du fait du confinement et des pertes de revenus, entraînant un cycle récessif. Les actifs financiers seront gravement impactés, les épargnants n’étant pas en mesure d’attendre un retour à la normale.

Selon le FMI, : « Nous n’avons jamais vu l’économie mondiale s’arrêter net. C’est bien pire que la crise de 2008 ». Près de 10 millions d’américains se sont inscrits comme demandeurs d’emploi en l’espace de quinze jours. En Europe, les conséquences sont aussi terribles, avec 900 000 chômeurs supplémentaires en Espagne et un impact négatif de 3 points de PIB par mois en France. Plus qu’une situation de guerre, il faut redouter une évaporation des savoirs et un délitement des chaînes d’approvisionnement.

Contrer l’ampleur du choc

La pandémie s’annonce aussi catastrophique pour le reste du monde. Les pays exportateurs de matières premières, en particulier les pays producteurs de pétrole, disposant d’un niveau de réserves en devises insuffisant. La chute des prix du pétrole, comme du cuivre, du cacao ou de l’huile de palme frappe de plein fouet ces pays exportateurs. Les fonds transférés depuis l’étranger, le quasi-arrêt du tourisme auront de lourdes conséquences sur « la classe moyenne émergente », provoquant plus de pauvreté. Avec des conséquences dramatiques sur la santé des populations (développement des infections), sur l’accès rendu encore plus difficiles à l’eau et aux denrées, sur l’éducation et la scolarité…

DSK se demande si l’on peut éviter les effets cumulatifs de la récession tout en combattant l’affaissement de la courbe de demande globale ? Les banques centrales ont eu une réaction plus rapide et coordonnée contrairement à la crise de 2008. Les taux de la Fed sont tombés à zéro, des facilités ont été étendues à des pays émergents confrontés à l’évaporation du dollar. Encore faut-il que ces pays disposent d’une banque centrale susceptible de remplir leur rôle. Pour contrer la crise financière mondiale, il apparaît nécessaire de réactiver massivement les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du FMI avec pour corollaire allègement des dettes des pays à bas revenus. C’est un enjeu majeur pour l’Europe qui peine déjà à gérer l’afflux de quelques centaines de milliers de migrants et pourrait se trouver confrontée par l’afflux de millions de migrants chassés par l’effondrement économique.

Mais les mécanismes monétaires, de soutiens budgétaires ou les mesures contre le chômage sont insuffisants pour contrer l’ampleur du choc. Même les mesures annoncées par la Chine, représentant environ 1,2% du PIB, semblent modestes. DSK gage qu’une partie de ce soutien se traduira par des hausses de prix, ce qui permettra d’enrayer une spirale déflationniste.

A moyen et long terme, nous assisterons à une redistribution des cartes. La division internationale du travail sera remise en question et la crise entraînera probablement des formes de relocalisation de la production, régionales sinon nationales, qui auront un coût. Mais la crise pourrait aussi solutionner l’impasse dans laquelle sont engagées les grandes économies occidentales : un équilibre de sous-emploi conditionné par des taux d’intérêt faibles associé à une inflation quasi inexistante alors que le prix des actifs financiers affiche une hausse sensible ! L’épargne surabondante ralentit la croissance économique faute d’un investissement public significatif bridé par des ratios dette/PIB contraignants voire excessifs.

Une augmentation des inégalités entre individus, à l’image de celle observée après la crise des subprimes, mais aussi entre économies développées et économies de nombres de pays à bas revenus est également à attendre ; les relocalisations se feront sans doute à leur dépens.

La Chine, « l’usine du monde »

L’ancien patron du FMI constate que l’l’Union européenne a, jusqu’à présent, fait plutôt preuve de mollesse que d’ambition, alors qu’il est nécessaire et impératif qu’elle apporte une réponse budgétaire mutualisée afin de ne pas mettre en péril la soutenabilité de la dette des pays les plus fragiles. Cette réponse passe par des plans massifs de soutien de la demande, une coordination des politiques budgétaires avec les actions menées par la BCE, l’émission de coronabonds en complément de la réponse budgétaire, une solidarité internationale accrue, notamment envers l’Afrique, ainsi qu’un plan de relance massif une fois la crise sanitaire surmontée.

Mais cette crise traduit a fortiori une crise du pouvoir, de son exercice, de la légitimité des autorités. Elle met en évidence une dépendance technologique ignorée ou sous-estimée, dans le domaine sanitaire et technologique. La Chine devenue « l’usine du monde » fournit une très grande partie des médicaments, l’indépendance nationale ou européenne est mise à mal. Pour autant, il ne faut pas céder aux vieilles pulsions nationalistes et souverainistes et leur apporter des réponses construites et argumentées et non simplistes.

Le populisme remet en cause la légitimité des régimes démocratiques en prenant exemple sur les régimes autocratiques qui ont imposé des réponses fortes, rapides et unitaires à la crise. Selon DSK, l’identité et la solidarité européennes doivent se réaffirmer pour que la confiance dans la représentation démocratique soit restaurée. Le consentement/acceptation dans les mesures de confinement, parfois coercitives, appelées à durer ou se renouveler prises par les gouvernements élus démocratiquement est à ce prix. Les gouvernements doivent être attentifs à la sauvegarde des droits fondamentaux des citoyens

Au lendemain de la crise, les questions politiques seront donc nombreuses. Quels régimes seront perçus comme ayant bien gérés la crise ? Quelle transition mettre en œuvre pour revenir des mesures d’exception à la vie normale ? S’ils n’ont pas réussi à agir à l’unisson pendant la crise sanitaire, quelle crédibilité auront les régimes démocratiques pour gérer d’autres crises comme le défi climatique ou la question migratoire ?

Une fois la crise sanitaire jugulée, dans quelle direction nous orienterons-nous, s’interroge DSK. Depuis près de deux siècles se sont succédé des phases organiques au cours desquelles un mode d’organisation de l’économie et de la société a dominé et des phases critiques pendant lesquelles ces régulations se sont essoufflées puis se sont évanouies, pour céder la place à d’autres. La dernière grande régulation collective aura été celle de l’État providence qui a survécu à la crise des subprimes.

DSK encourage à sculpter aujourd’hui une nouvelle charpente. La régulation s’avère plus que jamais nécessaire, d’abord évidemment, dans le domaine sanitaire. Une meilleure coordination de l’OMS et de l’OMC parait judicieuse. La lutte contre le changement climatique, la préservation de l’environnement et de la biodiversité doivent trouver un nouvel élan.

L’espoir d’un renouveau de la coopération au niveau mondial et européen, d’un nouvel équilibre géopolitique est manifeste. Mais gare aux retours des conflits, pour l’instant mis en sourdine. La tentation existe pour certains états d’accroître leur influence régionale. Quid des États-Unis ou de la Chine exercera le leadership mondial ? La sensibilité collective mondiale prendra-t-elle en compte la permanence d’un risque pandémique infectieux ?

Pour DSK, nous entrons dans un monde aléatoire où il nous faudra corriger nos carences, donner une réalité au principe de précaution et cultiver l’approche préventive. Nous ne pouvons nous exonérer d’une approche stratégique systématisée des différents pans prioritaires de la vie des populations. Ce virus et cette pandémie ne connaissent aucune frontière, ni sociale, ni politique. Les pouvoirs publics doivent se garder de l’émergence d’une société de défiance généralisée. Ils doivent jouer un rôle actif pour asseoir une confiance et un pacte citoyen renouvelé.

*Didier Lacaze, analyste financier (SFAF), ancien banquier

Lire aussi: Les Droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI, une solution financière pour l’Afrique ?

 

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