Si on exclue le risque d’une déflagration générale que cette guerre entre l’Ukraine et la Russie fait peser sur le monde, cette crise est en train rebattre les cartes des alliances régionales et de réécrire de nouvelles équations. Chaque pays se détermine en fonction de ses intérêts, bouleversant parfois les solidarités traditionnelles et inventant de nouvelles dynamiques.
Dernier exemple de cette nouvelle physionomie des rapports entre alliés, les informations publiées par la presse qui indiquent que les deux leadership de deux puissances du Golfe, l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis auraient refusé de prendre le président américain au téléphone pour ne pas avoir à subir ses pressions de les voir mobiliser leurs ressources pour participer au grand bras de fer entre russes et américains. Cette réticence inédite témoigne d’une nouvelle époque où Washington n’impose plus de façon aussi évidente sa puissance et son agenda.
Comme elle semble vouloir ouvrir une nouvelle page avec le Venezuela pour pouvoir faire bon usage de son pétrole, l’administration Biden se trouve aussi dans l’obligation de revoir ses calculs avec un mastodonte pétrolier du monde arabe comme l’Arabie saoudite.
Entre Washington et Ryad, le passif avait gelé la communication et installé de la friture sur la ligne . Si les américains veulent voir une solidarité agissante avec les saoudiens , ils doivent , selon l’optique saoudienne, revoir leurs positions sur deux sujets politiquement vivaces. Le premier est de faire disparaître la fixation américaine sur l’affaire du journaliste saoudien tué en Turquie et dont la responsabilité est mise sur le dos du prince héritier Mohammed Ben Salman. Le second est plus vaste et général et concerne la menace suspendue sur la tête du régime saoudien par le biais de la loi JASTA( the Justice against sponsors of act) qui implique la responsabilité du royaume dans les attentats du 11 septembre.
Autre rééquilibrage régional que cette crise entre l’Ukraine et la Russie va réécrire est celui des relations entre la Turquie et Israël. Il est vrai que bien avant le début de la guerre, les deux pays ont entamé un rapprochement qui tendait à réchauffer leurs relations. Le président Turc Tayeb Erdogan, ayant besoin, pour sa réélection en 2023 d’améliorer la situation économique de son pays, s’est ouvert sur les pays du Golfe et Israël dans une démarche de réconciliation et de normalisation.
La crise ukrainienne dans laquelle la Turquie déroule une médiation a de fortes chances d’accélérer la création de nouvelles ententes entre les deux pays sur la production, commerciale et la distribution du gaz vers l’Europe pour l’aider à se débarrasser de sa dépendance de l’égard du Gaz russe.
Une autre région où les relations guerrières entre Moscou et Kiev ont de fortes chances de provoquer des contorsions, c’est la région du Magreb. Dans une démarche incompréhensible, Alger avait décidé de supprimer le gazoduc qui transportait le gaz algérien vers l’Europe à travers le territoire marocain. Cela faisait partie d’une palette de décisions algériennes accompagnant la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc.
Aujourd’hui, alors que l’Union européenne cherche à échapper à l’addiction au gaz russe, le besoin européen de gaz se fait urgemment sentir. L’Algérie, avec le Qatar et l’Arabie saoudite, est parmi les pays arabes cités régulièrement pour former les compostantes de cette alternative.
Or le régime algérien se trouve dans une double impasse politique. Comment renforcer ses capacités à livrer son gaz à l’Europe sans repasser par le Maroc avec toutes les contorsions et autres reniements nécessaires à cette douloureuse révision ? Une Algérie qui voudrait pleinement jouer son rôle de fournisseur de gaz à l’Europe ne peut avoir matériellement d’autres choix que de remettre en marche le gazoduc Maghreb, frappé par la malédiction algérienne.
Par ailleurs, comment se rapprocher de l’Europe dont l’appui est plus nécessaire que jamais pour des raisons géographiques et historiques , tout en conservant son alliance et sa fidélité avec le régime russe ? Alger a toujours été dans l’aire d’influence d’abord de l’Union soviétique puis de la fédération de Russie. Cette crise ukrainienne impose au régime algérien une grande clarification de ses alliances et de ses fidélités impossibles à éviter sous peine de sombrer dans la schizophrénie.