Et subitement la lune de miel entre Alger et Tunis s’est transformée en un orage à la fois glacial et électrique. Fini le temps où le président algérien Abdelmajid Tebboune lustrait son homologue Kaïs Saïed, avec de gigantesques promesses d’aides économiques et des compliments dégoulinants . Aujourd’hui le temps est aux défiances, presque aux ruptures entre les deux pays.
Cette brusque accélération est d’autant plus étonnante qu’elle n’a pas été annoncée par de solides indicateurs. Les relations entre les deux pays sont passées dans un laps de temps record de l’amitié obligée, du voisinage incontournable aux rejets critiques et aux échanges d’amabilité fort peu diplomatiques.
Le président algérien n’est-il pas allé dans son panégyrique sur la Tunisie jusqu’à la considérer comme le seul pays réellement ami de l’Algérie dans la région. Ce fut la scène surréaliste du président algérien devant le Secrétaire du Département d’Etat Antony Blinken au cours de sa fameuse logorrhée verbale qui continue de provoquer les sarcasmes de toutes les chancelleries.
La stratégie algérienne de cette époque visait à noyer les autorités tunisiennes sous un flot de compliments et de promesses d’aides économiques pour pouvoir limiter sa marge de manœuvre et ses prises de positions régionales. La Tunisie ne s’est-elle pas abstenue, à la grande surprise générale, lors du vote des nations unies sur la dernière résolution sur le Sahara marocain prolongeant la mission de la Minurso?
Par les promesses d’aides économiques, par une logique de chantage sécuritaire, Alger influençait le positionnement tunisien sur de nombreuses crises régionales, notamment l’affaire du Sahara marocain.
Aujourd’hui la grande interrogation qui anime ces relations est la suivante: que s’est-il passé pour que le discours algérien sur la Tunisie se transforme de cette manière au point où le président Tebboune, depuis l’Italie, dénonce l’impasse auquel les dernières décisions du président tunisien Kaïs Saïed ont conduit la Tunisie. Ironie de l’histoire, le président algérien dont le pays une antinomie démocratique appelle La Tunisie à reprendre le chemin de la démocratie.
Ces déclarations de Tebboune, anachroniques sur la démocratie tunisienne, ont révélé au grand jour les fractures politiques entre Alger et Tunisie.
Et comme la démocratie en Tunisie est le dernier souci des autorités algériennes, certains influenceurs des réseaux sociaux, bons connaisseurs du sérail algérien, invitent les observateurs à chercher « le Maroc » dans cette brusque brouille entre l’Algérie et la Tunisie.
Sur ce point les hypothèses évoquées ont une relation avec une possible clarification à venir de la position tunisienne sur la souveraineté du Maroc sur son Sahara. La Tunisie a longtemps cultivé une ambiguïté sur son approche. Quand le chef du Parti islamiste Annhada, Rached Ghannouchi, très connu pour son tropisme algérien prononcé, avait formulé la proposition de constituer un Maghreb arabe à format réduit sans le Maroc , c’était une entreprise ouvertement courtisane à l’encontre du régime militaire algérien. Il était au pouvoir et pouvait dicter la pluie et le beau temps que les équilibres régionaux. Rached Ghannouchi était un admirateur assumé de l’ancien président algérien Bouteflika et est toujours un fervent aficionado de l’armée algérienne.
Aujourd’hui Ghannouchi et ses partisans traversent une mauvaise séquence où leurs responsabilités dans des affaires de terrorisme et de complicités avec des organisations terroristes est publiquement interrogé par les nouveaux choix de l’actuel président tunisien, Kaïs Saïed actuellement dans l’œil de cyclone algérien.
Une autre explication de cette rupture entre Alger et Tunis concerne les relations très fortes que les autorités tunisiennes menées par Kaïs Saïed entretiennent actuellement avec les Emirats arabes unies. Cette proximité entre Tunis et Abou Dhabi pourrait être à l’origine du nouveau réalisme des autorités tunisiennes à l’égard de nombreuses questions internationales et régionales.
Anticipant sans doute ce changement de la part de Kais Saïed, ses amis algériens ont préféré prendre de l’avance pour l’empêcher de le réaliser quitte à recourir à la menace, au chantage et au dénigrement. Il n’empêche que cette séquence inédite de tension entre l’Algerie et la Tunisie est de nature à plonger toute la région dans l’expectative. Mais c’est aussi la preuve que pour que les lignes bougent, notamment sur cette crise structure qu’est l’affaire du Sahara marocain, certains grincements douloureux et certaines vérités politiques sont inévitables.