Affaire des journalistes Graciet/Laurent: « délit de chantage caractérisé » sur le Royaume du Maroc

A l’issue d’une longue audience qui a duré plus de 10 heures, la procureure de la République, Audrey Durrieux, a requis un an de prison avec sursis et 15.000 Euros d’amende contre les deux journalistes français Catherine Graciet, 48 ans, et Eric Laurent, 75 ans, pour « délit de chantage caractérisé » sur le Royaume du Maroc. Le jugement a été mis en délibéré au 14 mars.

Ce lundi 16 janvier 2023 au tribunal correctionnel de Paris, le président de la 10e chambre, Edmond Brunaud, et les juges assesseurs poussent les deux journalistes dans leurs retranchements et leurs contradictions, démontrant preuves à l’appui (enregistrements validées par la Cour de Cassation) qu’Eric Laurent et Catherine Graciet ont entrepris une « démarche commune pour négocier une somme d’argent conséquente » en contrepartie de la non publication d’un livre qu’ils disent « néfaste » pour le Royaume du Maroc.

Les deux journalistes ont vainement tenté de semer le doute notamment sur le premier enregistrement dans lequel Eric Laurent propose une transaction financière à 3 millions d’euros et de soutenir que le deal émanait de l’avocat Hicham Naciri, mandaté par le Maroc.

« Rien ne démontre que le premier enregistrement ait été modifié », souligne d’emblée la procureure de la République Audrey Durrieux dans son réquisitoire, balayant aussi d’un revers de main la thèse d’un piège tendu par l’avocat Naciri.

Délit de chantage caractérisé

Pour la magistrate,  il s’agit bel et bien d’un « délit de chantage parfaitement caractérisé » dans cette affaire qui remonte au 23 juillet 2015, le jour où Eric Laurent contacte le secrétariat particulier du Roi Mohammed VI pour évoquer des informations de « la plus haute importance » qu’il détiendrait avec sa consœur Catherine Graciet. S’ensuit alors un premier rendez-vous le 11 août dans un palace parisien avec Me Hicham Naciri au cours duquel Eric Laurent avance le chiffre 3 griffonné sur un bout de papier.

Le 20 août, le Maroc dépose plainte auprès du parquet de Paris qui ouvre une enquête. Deux autres rendez-vous vont suivre, les 21 et 27 août. Mais cette fois sous surveillance policière. Le troisième entretien se déroule avec la présence effective de Catherine Graciet qui affirme détenir des documents bruts de la DGSE et propose alors un montage financier pour passer outre le fisc français. Mais ce que les deux journalistes ne savaient pas, c’est que l’avocat Hicham Naciri a enregistré les trois rendez-vous sur son Iphone.

Des enregistrements qui ont été authentifiés et validées par la Cour de Cassation à l’issue d’une longue bataille judiciaire.

« Déontologie largement bafouée »

« Devant la gravité des faits, je requiers contre 12 mois avec sursis et 15.000 euros d’amende chacun », recommande la procureure dans son réquisitoire.

Pour la magistrate, « la déontologie journalistique a été largement bafouée. La confiance dans les médias ne s’en sortira pas grandie. Ce qui a pour conséquence malheureuse d’affaiblir la démocratie ».

Catherine Graciet, bravache, et Eric Laurent, visiblement très affaibli, continuent campent toujours sur leurs positions et nient toute tentative de chantage. Ce à quoi, la procureure oppose la déclaration qu’Eric Laurent devant la police dans laquelle le journaliste reconnait être à l’origine du deal financier.

« J’ai suggéré une somme de 3 millions d’euros en contrepartie de la non-parution du livre… Par lassitude, fatigue de faire ce genre de livre… Je reconnais avoir sollicité cette transaction, en accord avec Mme Graciet », avait déclaré Eric Laurent dans sa déposition devant la police.

Face à la posture de déni adoptée par les deux journalistes,  l’un des juges assesseurs interroge: « vous n’avez pas pensé appeler l’avocat de votre éditeur pour l’en informer ». Eric Laurent et Catherine Graciet se recroquevillent et marmonnent un « non » inaudible. Pour justifier leur acceptation du deal, les deux journalistes évoquent une « lassitude de leur métier et une envie de changer de vie ».

Un autre juge assesseur feint de s’étonner: « Je veux être sûr de bien comprendre. Selon vous, c’est donc M. Naciri qui vous a proposé la somme de 3 millions d’euros ? ». « Oui, tout à fait », acquiesce Eric Laurent. « Mais alors pourquoi baisse-t-il ensuite à 2 millions ? Si c’est lui qui vous a proposé trois pourquoi baisse-t-il ? ». Pour toute réponse, le journaliste, accablé, s’agrippe fortement à sa canne.

« Salir le Royaume du Maroc »

Dans sa plaidoirie, l’un des avocats du Maroc, Ralph Boussier, relève que « le grand sport de la défense est de salir le Royaume du Maroc pour essayer de jeter un trouble sur ce dossier ». « Il faut revenir aux fondamentaux », lance-t-il, dénonçant des journalistes qui « ne parlent plus du livre (…). Ils voulaient changer de vie, ils ont tenté le coup ».

« Aucune ébauche du livre, aucun brouillant n’a été retrouvé au cours des perquisitions », corrobore de son côté la procureure.

Pour la magistrate, « ce qui ressort du premier enregistrement, c’ est que non seulement Eric Laurent dirige la conversation mais il fait monter savamment la pression sur la nature des informations qu’il dit détenir avec Catherine Graciet et la pression sur la somme d’argent exigée (3 millions d’euros). A la 40e minute de cette conversation qui va durer 1 heure et 9 minutes, M. Naciri sait qu’il a trois mois pour payer 3 millions d’euros ».

« A aucun moment, Eric Laurent ne fait autre chose que négocier la somme d’argent .Jamais il ne laisse le choix à son interlocuteur, Me Naciri », pointe encore la procureure.

Et de poursuivre : « contrairement à ce qui a été dit, on n’est pas dans le cadre d’un accord libre et éclairé. Rien dans le dossier ne va dans ce sens. Que ce soit le vocabulaire employé par les deux journalistes, la tournure des discussions sur la somme folle exigée, tout est mis en place pour que le Royaume du Maroc n’ait d’autre choix que de payer. Ils sont allés jusqu’à proposer un montage financier à Hongkong ou Singapour ».

Quant à Catherine Graciet, qui « conteste et se positionne en second plan, caché derrière Eric Laurent et se dit victime du Royaume du Maroc, contrairement à ce qu’elle essaie de nous expliquer, elle est loin d’être passive, loin de se laisser guider par son confrère. Le duo est complémentaire. Ils sont soudés et unis », note-t-elle.

Catherine Graciet à la manoeuvre

« Au cœur de cette affaire, souligne encore la magistrate, il y a les enregistrements dans lesquels Catherine Graciet déclare détenir des documents bruts émanant de la DGSE et c’est encore elle qui parle du montage financier pour récupérer les fonds afin de se soustraire à l’administration fiscale française », note la procureure, indiquant que lors du rendez-vous du 27 août, Catherine Graciet « exerce une pression morale incontestable sur Me Naciri » et use « de propos explicites et d’une menace de révéler des informations qui auraient un effet apocalyptique » sur le Royaume.

Face à une avalanche de preuves irréfutables, les avocats en défense, Eric Moutet et Serge Portelli, ont demandé la relaxe, continuant de nier tout chantage.

Il est 22:07 quand le président de la 10ème chambre annonce que le jugement a été mis en délibéré au 14 mars.

Eric Laurent et Catherine Graciet ont été arrêtés en flagrant délit le 27 août 2015 à la sortie d’un palace parisien, en possession de 80 000 euros en espèces. Devant l’avocat Hichan Naciri, ils ont signé un « contrat manuscrit » dans lequel ils s’engageaient à ne plus enquêter sur le Maroc en échange de cet acompte et du versement d’une somme globale de 2 millions d’euros.

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