La livre sterling a chuté de 0,6% face à l’euro et au dollar après cette nouvelle qui a renforcé l’hypothèse d’un "no deal", faisant craindre des pénuries et le rétablissement de droits de douane.
Des milliers de personnes ont manifesté à Londres, Manchester, Edimbourg et d’autres grandes villes mercredi soir, et une pétition sur internet contre la décision, qualifiée par les opposants de "coup d’Etat", rassemblait près d’un million de signatures.
Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant le Parlement en scandant "Arrêtez le coup d’Etat" et en brandissant le drapeau européen, puis à Downing Street où est installé le Premier ministre, a constaté un journaliste de l’AFP.
– "Docile" avec Trump –
Si le Parlement britannique est habituellement suspendu en septembre en raison des congrès annuels des partis, l’extension de cette suspension jusqu’au 14 octobre a été qualifiée de "scandale constitutionnel" par le président de la Chambre basse, John Bercow.
"C’est un scandale et une menace pour notre démocratie", a aussi réagi Jeremy Corbyn, le chef du Labour, principal parti d’opposition. M. Corbyn a écrit à la reine pour lui demander un entretien, selon une source au sein du Labour. Il espère obtenir le soutien des députés pour déposer une motion de censure contre le gouvernement, mais devra désormais y parvenir avant la suspension.
"Ca va être très compliqué pour Jeremy Corbyn (…) d’obtenir un vote de défiance (…) d’autant plus que Boris est exactement ce que le Royaume-Uni cherchait", s’est réjoui sur Twitter le président américain Donald Trump qui a, à plusieurs reprises, fait miroiter un accord de libre-échange ambitieux avec le Royaume-Uni après le Brexit.
"Je pense que ce que le président américain veut dire, c’est que Boris Johnson est exactement ce que lui recherchait, un Premier ministre docile qui remettra les services publics britanniques aux mains des entreprises américaines", a rétorqué Jeremy Corbyn sur Twitter.
– Agitation chez les Tories –
Dans les rangs conservateurs modérés, la suspension a aussi été dénoncée.
L’ex-ministre des Finances Philip Hammond, opposé à un "no deal", l’a qualifiée de "scandale constitutionnel".
Et selon plusieurs médias, la populaire cheffe du parti conservateur écossais, Ruth Davidson, devrait démissionner jeudi. Avec sa personnalité charismatique, la quarantenaire avait pourtant réussi à redonner un nouveau souffle au Parti conservateur en Ecosse, dont la Première ministre Nicola Sturgeon a accusé M. Johnson de se conduire en "dictature de pacotille".
Boris Johnson s’est défendu en affirmant sur la chaîne Sky News que le calendrier fixé "laissera amplement le temps aux députés de débattre de l’UE et du Brexit".
Des recours en justice ont déjà été annoncés, par plus de 70 parlementaires écossais devant la plus haute instance civile d’Ecosse d’un côté, et de l’autre par Gina Miller, une femme d’affaires et militante anti-Brexit, devant la justice anglaise.
Pour Maddy Thimont Jack, analyste au groupe de réflexion Institute for Government, si cette suspension n’est pas "inhabituelle", c’est "le timing" qui pose problème, en limitant les possibilités des députés de bloquer un "no deal". "Mais il est encore temps pour les députés de présenter un texte de loi la semaine prochaine et de l’adopter avant la suspension".
– Montrer un front "uni" à l’UE –
Boris Johnson a demandé à la reine Elizabeth II, qui a accepté, de suspendre le Parlement après les débats du 9 septembre et jusqu’au 14 octobre. La session reprendra avec le traditionnel discours de la reine, dans lequel elle expose le programme du gouvernement.
"Les semaines précédant le Conseil européen (17 et 18 octobre) sont vitales pour mes négociations avec l’UE", a-t-il souligné, ajoutant : "En montrant unité et détermination, nous avons une chance de décrocher un nouvel accord qui puisse être adopté par le Parlement".
La date du retour a été choisie le 14 octobre pour que le Parlement siège avant le Conseil européen et puisse, en cas d’un nouvel accord avec l’UE, adopter la loi nécessaire à sa ratification avant le 31 octobre, date à laquelle le Royaume-Uni doit quitter l’UE, selon un communiqué gouvernemental.
Les députés ont déjà rejeté trois fois l’accord de sortie de l’UE conclu avec le gouvernement précédent de Theresa May. Mais ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la forme que doit prendre le Brexit, voté en juin 2016 par 52% des Britanniques.
Londres et l’UE s’opposent en particulier sur le sort de la future frontière irlandaise, qui séparera le Royaume-Uni du marché unique européen. Mercredi, le négociateur en chef de la Commission européenne, Michel Barnier, s’est dit "toujours prêt à étudier" les propositions britanniques.