Tribune-Les MRE de/en France et le Covid19 la Task force diplomatique sous tension

La quasi-totalité des pays dans le monde ont été pris de cours par la propagation fulgurante, exponentielle et mortifère du Covid-19 de par son impact déstabilisant sur les infrastructures sanitaires, et, plus globalement au regard de ses effets collatéraux. La résilience des Etats est soumise à rude épreuve, y compris dans les pays les plus avancés et ceux dotés d’infrastructures les plus proportionnées à contenir une telle catastrophe sanitaire. Face à cette urgence, les pays ont pris une série de mesures inédites, brutales, voire attentatoires aux libertés. La mesure la plus partagée par les Etats est celle du confinement progressif de la population et la fermeture totale des frontières terrestres, maritimes et aériennes. Des dizaines de milliers de personnes se sont trouvées dans l’incapacité de retourner chez elles.

Chaque pays, selon ses moyens logistiques, diplomatiques ou militaires, tente de rapatrier ses ressortissants ou de négocier avec les Etats tiers des protocoles de gestion, in situ, de la crise. A titre d’exemple, près de 180.000 citoyens français, il y a quinze jours, ont été dans l’incapacité de rentrer en France faute de vols en provenance de leurs lieux de vacance ou de travail. La fermeture du trafic aérien fut décrétée par 121 pays à la mi-mars immobilisant près de 95% de la flotte des compagnies aériennes. Une tragédie peu médiatisée et reléguée au second plan dans la hiérarchie des priorités. Des milliers de personnes lancent des appels de détresse à leurs gouvernements en vue de leur venir en aide pour les soustraire de l’isolement, à la précarité et au sentiment d’abandon.

Les Marocains n’ont pas échappé à cette nouvelle facette de la crise du Covid-19. Selon les dernières statistiques officielles, publiées par le ministère des Affaires étrangères du royaume, ils sont plus de 16 800 Marocaines et Marocains à être « piégés » par cette double peine : Confinement et rétention du fait et non de droit de partir de la zone géographique où ils y sont et l’impossibilité, à court terme, de regagner le Maroc même par leurs propres moyens. La France vient en tête avec près de 4500 citoyens bloqués dans l’Hexagone, soit 26,4%, suivi de la Turquie avec 1859 personnes, soit 11%, vient en troisième position l’Espagne avec 1400 Marocains, soit 8,3%. La Belgique vient en quatrième position avec 800 personnes, soit 4,7% de nos concitoyens et enfin, les Emirats Arabes Unies où sont bloqués 715 Marocains, soit 4,2% du total. Ainsi, sur les 16 812 citoyens marocains bloqués à l’étranger, les mêmes sources ministérielles évoquent le chiffre de 2600 personnes vivant dans une situation vulnérable et sans ressources, soit 15,4% des Marocains recensés par les autorités consulaires et ayant formulés des demandes d’assistance précises et explicites.

Nous avons privilégié de centrer les investigations sur la situation de nos compatriotes en France du fait de leur nombre et à travers le maillage territorial de la France avec la présence de 16 Consulats, et plus particulièrement, à l’hétérogénéité des statuts juridiques des marocains de/en France (binationaux, résidents légaux, touristes et personnes en situation irrégulière). Pour ce faire, plusieurs capteurs d’informations ont été sollicités pour évaluer cette situation majeure inédite, recouper les informations et restituer les réponses concrètes pour accompagner nos compatriotes dans cette épreuve traumatisante. L’ensemble des acteurs impliqués dans la gestion de la crise (Ambassade, Consulats, Associations, médecins marocains travaillant dans les hôpitaux d’Ile-de-France, témoignages de victimes du blocage ou de ceux ou celles ayant des proches atteints ou non par le Covid 19…). L’objectif est de modéliser la crise dans ses dimensions humaines, sanitaires, logistiques et typologiques, formulées en demandes tendancielles en suivant la chronologie et la courbe de la demande en assistance.

En dépit d’un léger retard à l’allumage après la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre le Maroc et la France, les autorités consulaires ont déployé progressivement une stratégie d’assistance au fur et à mesure de la modélisation de la demande. Une stratégie qui a atteint sa vitesse de croisière à partir du 20 Mars, axée sur les points suivants :

  • Mise en ligne des numéros téléphoniques de 16 Consulats et de l’ambassade en phase opérationnelle 24/24 et 7j/7 pour recueillir les demandes, faire le tri, réorienter les appelants impactés vers les services ad ‘hoc et servir d’interfaces avec les autorités françaises préfectorales et communales. Ainsi, depuis le 15 Mars jusqu’à nos jours, près de 10.000 appels ont été enregistrés.
  • Une cellule d’écoute de proximité fut mise en place conjointement par le Consulat d’Orly, qui a servi de terminal logistique et le collectif des Associations des Marocains du département de l’Essonne, faisant partie de la circonscription Consulaire d’Orly en région parisienne.
  • Prise de contact directe, par audioconférence, du Président du Conseil du Culte Musulman de France, M. Mohammed Moussaoui, et le Président de la République, E. Macron en vue de parvenir à un accord garantissant l’enterrement des musulmans dans des carrés dédiés dans des cimentiers et coupants courts ainsi la rumeur macabre des   crémations. Dans la même audioconférence, M. Moussaoui a demandé au président la possibilité de mobiliser des parcelles foncières non urbanisées pour servir de carrés musulmans provisoires dans l’attente d’une éventuelle opération d’exhumation des cercueils et leur rapatriement vers leurs pays d’origine, notamment au Maroc, dans le strict respect de la volonté des familles des personnes décédées suite à leur maladie liée au Covid-19 ou pour d’autres raisons.
  • Le Président du Conseil Français du Culte Musulman a sollicité, par courrier officiel, François Baroin, en sa qualité de  Président de l’Association des Maires de France (AMF) et du Président de l’Association des Maires d’Ile-de-France d’autoriser la création de carrés musulmans supplémentaires pour palier à la saturation. In fine, prendre des mesures exceptionnelles face à une situation exceptionnelle.
  • Intervention des autorités consulaires pour coordonner une réquisition de chambres d’hôtels, près d’Orly, en faveur de 114 marocains et marocaines bloqués en France et n’ayant aucun réseau de solidarité local et soumis aux mesures drastiques du confinement décrétés par la France. Les autorités diplomatiques ont pris en charge l’intégralité des frais de séjours en hôtels, de nourritures et des médicaments. En parallèle, ce sont les autorités des deux pays ont pris la décision de proroger les visas pour les ressortissants marocains non résidents jusqu’à la date du déconfinement et la reprise du trafic aérien entre le Maroc et la France. De l’autre côté de la Méditerranée, les établissements bancaires marocaines, via l’Office de Changes, ont répondu favorablement à la demande de rallonger, à titre dérogatoire, leurs dotations annuelles touristiques en devises.
  • De son côté, le ministère des Affaires étrangères, en charge des MRE, s’est engagé à prendre en charge les frais d’obsèques des défunts démunis ou ceux ne disposant pas d’une assurance obsèques souscrites auprès des banques marocaines.

Les Marocains en/de France et le Covid-19

Des sources hospitalières nous ont avancé des chiffres mais à prendre avec beaucoup de précaution. Nous avons tenté de recouper ces chiffres avec les sources officielles des consulats, mais nous n’avons pas pu obtenir des réponses confirmées. Des sources officielles évoquent 50 marocains décédés recensés depuis le début de la pandémie et jusqu’à la date du 10 Avril. Ce chiffre ne prend pas en compte les binationaux. Des médecins urgentistes et des personnels soignants évoquent le chiffre de 316 Marocains hospitalisés pour avoir contracté le Covid 19. Chiffre impossible à vérifier.

Les trois communes du département de la Seine-Saint-Denis ont délivré des permis d’inhumation pour 360 musulmans d’origine maghrébine, dont il est difficile de quantifier les personnes décédées de nationalité marocaine. Deux communes de département de l’Oise, au Nord de Paris, notamment la commune- Cluster à côté de la ville de Creil (Crépy-en-Valois) a délivré 14 permis d’inhumation, dont 6 pour des familles marocaines. Dans la première zone de pandémie à l’Est de la France, des responsables religieux évoquent le chiffre de 68 musulmans d’origine maghrébine qui ont été inhumés à Mulhouse sans toutefois préciser leur nationalité.

Ainsi, en l’état actuel et compte tenu des réticences et des lenteurs des familles à déclarer leurs proches décédées aux services de l’état civil des consulats d’un côté, et de l’absence de données officielles des autorités françaises, de l’autre côté, il est très difficile de répondre aux six questions brûlantes et sensibles.

Combien de Marocains sont décédés suite au Covid-19 ?

Combien de Marocains sont hospitalisés en soins intensifs en rapport au covid-19 ?

Combien de Marocains testés positifs au Covid-19 et qui sont confinés chez eux ?

Combien de Marocains bloqués sont contaminés du covid-19 ?

Beaucoup de question sont et seront sans réponses durant les semaines à venir en attendant le débriefing général post-crise. Egalement, d’autres questions subsidiaires sont en attente d’une réflexion et d’une stratégie post pandémie comme:

Pour combien de temps, nos compatriotes resteront bloqués en France ou ailleurs ?

Les autorités diplomatiques et consulaires qui travaillent en flux tendus, depuis bientôt un mois, vont-elles tenir humainement et financièrement face à une situation dont personne n’a été préparé ou formé pour la gérer ?

Quels rôles jouent, à l’instant « T », les assurances marocaines, les banques historiques dans la gestion de cette crise ? Quelles solidarités sont-elles en capacité de proposer aux Marocains de France ?

Quelles implications concrètes des Fondations ou Institutions dédiées aux MRE pendant la pandémie du covid-19 ?

Quelle communication réactive pour contrecarrer la rumeur dévastatrice sur les MRE responsables de l’introduction du virus Covid-19 au Maroc ?

Comment se profile la grande transhumance humaine des MRE vers leur pays pour les « vacances prochaines » dans des conditions de sécurité sanitaires, si toutefois le mot vacance a un sens par les temps qui courent et compte tenue de la fermeture de l’espace Schengen jusqu’à nouvel ordre et la décision entérinée par les 27 pays de l’Union européenne ?

Quels protocoles anticipés de sécurité sanitaire aux frontières du Maroc pour préserver notre pays une fois le retour à la normale, sachant que le tourisme est une source économique stratégique pour le Maroc ?

S’il est avéré aujourd’hui que le Maroc est parmi les pays qui ont construit une des stratégies les plus efficaces attestée par l’OMS, face à la pandémie du Covid- 19, grâce à sa doctrine (anticipation-réactivité-transparence-solidarité), il est impératif que cette même stratégie puisse inclure les MRE, particulièrement ceux qui sont démunis, endeuillés et en attente de davantage d’assistance spécifique à la hauteur de cette pandémie mortifère et anxiogène.

L’ambassade à Paris, les autorités consulaires, les associations, les acteurs associatifs sont en premières lignes. Elles sont soumises à une pression sans précédant.

A ce titre, des hommes comme M. Saad Bendouro, chef de mission-adjoint près de l’ambassade du Maroc en France,  et des femmes du consulat d’Orly, N. Bekkali, ont été à la hauteur du défi pour mettre en œuvre les directives de Sa Majesté le Roi Mohamed VI et venir au chevet des marocains déboussolés par cette crise inédite. Des journalistes, dont H .Daoudi, des universitaires, des médecins et des anonymes ont contribué chacun dans le cadre de ses compétences, à la cohésion de notre communauté installée en France.

Ainsi, par cette contribution synthétique sur le Covid 19 et les Marocains en/de France, nous incitons nos compatriotes expatriés dans le monde à s’inspirer de cette démarche pour la dupliquer dans chaque pays où se trouvent nos compatriotes, afin de mesurer l’impact du Covid 19 au-delà des frontières du Maroc. Nous sommes tous en phase de gestion de crise et nous avons besoin davantage de solidarité et de cohésion, comme nous réfutons aussi les polémiques stériles ou les controverses (dixit le rôle du CCME qui n’est qu’une instance consultative et non exécutive), même si le temps de la réédition des comptes se profile inéluctablement à la sortie de la pandémie pour lancer les réformes nécessaires, en matière de santé publique au niveau mondiale et la nécessité d’en tirer toutes les conclusions comme tout le monde semble le dire : il y aura un avant et un après pandémie du Covid-19.

Une catastrophe qui a impacté plus d’un million d’habitants dans le monde et faisant plus de 100 000 morts dans la planète où l’Europe a payé une lourde facture au sens propre comme au sens figuré.

Nous sommes fières de la capacité de résilience de notre pays à gérer cette pandémie qui a chamboulé l’ordre mondial et qui a mis à nu les carences et les choix désastreux des grands pays qualifiés de modèles en matière de santé publique. Nous sommes fières du choix du Maroc qui a privilégié l’homme et non l’économie.

En attendant des jours meilleurs, protégeons notre pays, restons unis et solidaires, respectons les consignes du confinement, les gestes barrières, évitons les interactions physiques ou sociales, luttons contre les fake news et évitons à nos enfants scolarisés la rupture cognitive.

Restons ce que nous sommes toujours : DES MAROCAINS SOLIDAIRES !

 

*Par Dr Youssef Chiheb*, Professeur Université Paris Sorbonne; Géostratégie et Développement International; Directeur de Recherche au CF2R; Analyste politique à France 24

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