On le pensait estomaqué par la décision des Français de le priver d’une majorité absolue. On le retrouve plus sûr de lui, plus dominateur que jamais. Contrairement à ce qui était attendu et prévu par la galaxie des commentateurs, Emmanuel Macron n’a ni posé un genou à terre ni levé le drapeau blanc.
Et pour cause. Sa stratégie semble dire aux Français qu’ils l’ont élu en avril sur un projet politique bien déterminé et que son parti demeure la première force politique et parlementaire du pays. Mais cette situation explique-t-elle à elle seule l’excès de confiance dont le président fait preuve au point de donner cette impression anachronique de fixer un ultimatum de deux jours à l’opposition pour dire ce qu’elle a choisi comme attitude : une coalition durable ou une alliance sur projet.
Autour de cette démarche présidentielle règne une atmosphère surréaliste. L’opposition de gauche et d’extrême-droite fait une entrée tonitruante au parlement, et c’est-elle qui est presque sommée de trouver une issue à ce qui s’apparente déjà à une impasse politique et institutionnelle.
La réponse de l’opposition ne s’est pas faite attendre. Incrédules devant autant d’assurance, ses chefs dénoncent le déni de réalité dans lequel le locataire de l’Élysée semble s’enfermer et promet par la même occasion une impitoyable guérilla parlementaire.
Emmanuel Macron semble miser sur trois facteurs de réussite. Le premier est sa capacité, pour cause de cousinage politique, à séduire une grande partie des Républicains même si leurs chefs refusent pour le moment la main tendue et s’enferrent dans leur statut d’opposants. En second lieu, Macron est convaincu aussi qu’une partie de la nouvelle alliance de gauche, notamment dans sa version socialiste et communiste, ne restera pas insensible à ses arguments de séduction.
Le troisième levier qui peut pousser une partie de l’opposition à mettre de l’eau dans son vin est l’épée de Damoclès de la dissolution auquel le président peut faire appel à n’importe quel moment. Il n’est pas dans l’intérêt immédiat ni de l’extrême droite ni de la gauche de revenir sitôt devant les électeurs. Mais la dissolution est à la fois une arme à double tranchant et un gigantesque coup de poker pour Macron. Ou il ramasse la mise et récupère sa majorité absolue ou il perd tout et entame le tortueux chemin de la cohabitation.
Dans cette atmosphère politique incertaine, il y a le sort de la Première ministre Elisabeth Borne. L’opposition avait déjà demandé son sacrifice comme un signal que Macron avait compris le message des urnes législatives. François Bayrou, patron du Modem , un soutien proche de Macron, a tiré à boulet rouge sur Elisabeth Borne , lui reprochant de ne pas avoir le profil politique qu’exige les circonstances du moment, invitant presque ouvertement Macron à la remplacer.
Devant tant d’insistance pour dégager la première ministre, Emmanuel Macron a refusé sa démission. Pour certains c’était déjà là preuve irréfutable qu’elle était en sursis et peut être remplacée à n’importe quel moment. Si le président Macron tenait réellement à Elisabeth Borne, il aurait accepté sa démission et l’aurait renommé dans la foulée pour un bail plus long et plus certain.
Sans doute, Emmanuel Macron est-il convaincu que sa cheffe de gouvernement, de par son profil technocratique, de par son manque de charisme politique, n’est pas la personnalité idéale pour gérer les affaires de la France en temps de tempêtes et d’incertitudes. L’équipe d’Élisabeth Borne tente en ce moment de vendre une autre image de la Première ministre , un femme aguerrie avec une expérience des compromis politiques et parlementaires. Il est difficile de dire si cette opération de remodelage de réputation a atteint ses objectifs.
C’est une nouvelle séquence que s’apprête à vivre Emmanuel Macron. Sa réussie dépend largement de sa capacité à se muer d’une présidence Jupitérienne à une présidence de compromis permanents. D’une posture de pouvoir verticale où le président impose à une agora d’alliances renouvelées avec souvent des larmes et de douloureuses concessions. Mais ce qui est certain c’est que la France entre ainsi dans une zone de turbulences et d’incertitudes à un point tel que la visibilité de l’avenir politique devient un pari presque impossible à atteindre.