Le voile d’une étudiante à l’Assemblée nationale ravive les querelles sur les signes religieux
Le départ de députés LR et d’une élue LREM pour protester ombrageusement contre la présence d’une étudiante voilée pour une audition à l’Assemblée nationale, perçue comme « une provocation » communautariste, a allumé une énième querelle sur la place des signes religieux dans la vie publique.
L’incident n’a duré que quelques minutes jeudi matin, mais son retentissement a dépassé les murs du Palais Bourbon. Nouvel écho d’un débat qui divise la société française depuis l’affaire des « foulards de Creil » en 1989, ceux de trois adolescentes exclues d’un collège, première polémique sur le voile islamique.
Lors de l’audition de représentants de syndicats étudiants dans le cadre de la nouvelle commission d’enquête sur « les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse », une poignée de députés ont quitté la salle pour protester contre le « hijab » porté par la vice-présidente de l’Unef, Maryam Pougetoux.
Le président du Conseil français du culte musulman, Mohammed Moussaoui, a affirmé vendredi que « la neutralité s’applique uniquement aux fonctionnaires de l’Etat », et l’étudiante voilée n’a donc pas enfreint le principe de laïcité.
Ainsi, « l’attitude des députés pourrait être qualifiée de discrimination à l’égard d’une personne en raison de sa confession ou de ses opinions », a dénoncé le responsable auprès de l’AFP, jugeant cet épisode « contre-productif » dans la lutte contre le radicalisme.
Pierre-Henri Dumont (LR), l’un des députés concernés, estime qu’il s’agit d’un « acte communautariste délibéré » enfreignant « le principe de laïcité », Anne-Christine Lang (LREM) relevant une « marque de soumission » inacceptable dans « le coeur battant de la démocratie ».
Le règlement de l’Assemblée nationale n’interdit pas le port de signes religieux pour les personnes auditionnées, ce dont ne disconvient pas Mme Lang.
Mais la députée de Paris a émis l’idée « que l’on soit débarrassé de tout signe religieux lorsque l’on vient s’adresser à la représentation nationale » avec, à la clef, un changement du règlement.
Une position partagée à droite, où plusieurs élus plaident pour un durcissement des règles sur le port de signes religieux dans l’espace parlementaire.
« L’Assemblée nationale n’a pas à être le théâtre du militantisme islamiste. En dehors de l’audition de responsables religieux, il faut interdire les signes religieux à l’Assemblée » nationale, a fustigé sur Twitter le député LR des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti.
« Il faut changer le règlement afin que tous les espaces parlementaires soient neutres sur le plan de la religion », fait valoir le vice-président des LR et maire de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Gilles Platret.
« Les mêmes qui se sont insurgés contre @JulienOdoul dans l’affaire de la femme voilée au Conseil régional de Bourgogne Franche-Comté commencent à comprendre. On progresse, lentement, mais on progresse », a ironisé Nicolas Meizonnet, député (RN) du Gard, sur Twitter.
En octobre 2019, le conseiller régional Julien Odoul (RN) avait fait polémique en s’en prenant longuement à une accompagnatrice voilée, lors d’une visite scolaire du Conseil régional.
A gauche, où la question du port du voile divise, entre droits des femmes et refus de stigmatiser les musulmans, l’eurodéputé EELV Yannick Jadot estime que cette polémique est « une rupture complète avec les principes de la laïcité ».
« Cette Assemblée nationale a fait venir en son temps l’abbé Pierre qui a même été député », a-t-il rappelé. Le célèbre religieux fut député de la Meurthe-et-Moselle de 1946 à 1951.
Le port de tout signe religieux ostensible comme de tout uniforme a été interdit dans l’hémicycle en 2018, mais pour les seuls députés.
Signe de divergences à gauche, l’ex-candidate socialiste à l’élection présidentielle, Ségolène Royal, a admis sur RMC/BFMTV qu’elle aurait elle aussi quitté la salle.
Du côté des marcheurs et de l’exécutif, on se serait volontiers passé de cette polémique sur le voile alors qu’est attendu le projet de loi sur les « séparatismes », qui pourrait mettre à mal l’unité déjà fragile du groupe majoritaire.
« Il faut respecter la loi, toute la loi, rien que la loi et la loi n’interdit pas à un usager du service public, à un citoyen, de porter un signe religieux », plaide le délégué général du parti LREM, Stanislas Guerini.
« Evitons d’hystériser le débat », a fait valoir la ministre du Travail, Elisabeth Borne. « Il faut éviter de créer de la crispation inutile sur ces sujets ».