Le procureur en charge du dossier a ordonné «la destruction complète de l’ensemble des copies». L’arrêt du tribunal précise que «ceux qui en détiennent une copie et refusent de la livrer aux autorités seront poursuivis pour avoir aidé à l’organisation terroriste Ergenekon». Une triste première dans un pays où pourtant n’ont pas manqué dans le passé les atteintes à la liberté d’expression. «Ce qui se passe dépasse largement tout ce qui est légitime d’un point de vue juridique», s’indigne Me Fikret Ilkiz, avocat de Sik. Le choc est d’autant plus fort qu’avec la libéralisation menée par l’AKP après son arrivée au pouvoir en 2002 puis l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’UE, la Turquie semblait avoir tourné la page sur de telles pratiques. Mais, avec l’Armée de l’imam, Sik touche à un nouveau tabou. Selon ses collègues et avocats qui ont lu le texte, il dissèque dans ce livre-enquête les réseaux d’influence de la communauté politico-religieuse dirigée par Fethullah Gulen, ancien imam, qui vit depuis une dizaine d’années aux Etats-Unis. Cette toute-puissante confrérie islamiste gère des banques, des sociétés commerciales, des écoles, des universités privées et des médias. Un pouvoir occulte qui a infiltré l’appareil d’Etat, notamment la police et une partie de la justice. Deux anciens directeurs de la sûreté, ex-compagnons de Gulen, auraient fourni des renseignements à Sik, qui a été arrêté puis inculpé mi-mars.
L’enquête sur Ergenekon avec ses milliers de pages d’instruction et ses 200 inculpés, dont des militaires de haut rang, sert pour la confrérie et le gouvernement de l’AKP qui lui est proche à intimider des opposants du camp laïc. L’ensemble des médias, à l’exception des quotidiens et chaînes de télé appartenant à la confrérie, s’indignent. Au sein même de l’AKP, certains sont embarrassés. Mais le Premier ministre Erdogan s’abrite derrière «l’indépendance» de la justice tout en laissant entendre que le parquet n’agit pas sans raison.