"Parmi les choses qu’il a défendues avec véhémence, sa vie durant, l’Amitié et l’Amour, mais il tient aussi à défendre sa Liberté au risque de déplaire à certains", relève-t-on dans un documentaire prémonitoire de Driss Chouika (80 min, 2015), curieusement intitulé "Larbi Yacoubi, L’amour de l’art et de la vie".
Au crépuscule de sa vie, sa vue l’ayant lâché, Si Larbi, comme le surnommaient affectueusement les Tangérois, ne disait-il pas que "Quand tu as un cœur qui aime, laisse-le aimer"? Avant de reprendre : "Malheureusement, les esprits changent, mais ne changent que dans le mensonge!"
Au fait qui est ce Larbi Yacoubi ? "On me doit, on me doit, Et je ne dois qu’un tout petit peu !", dira, résigné, sans rancune, ni surenchère, ce même Larbi qui, du haut de ses 86 ans, sans rente, sans retraite, ne regrette pas d’avoir donné sans compter, servi sans s’attendre, aimé sans attendre.
Né un 31 mars 1930 à Tanger dans une famille comblée d’amour et de tendresse, le petit Larbi a, très tôt, instinctivement pris goût au théâtre, en posant devant un miroir géant, dans l’alcôve des voisins. "Tantôt, en guerrier roman, tantôt en turban géant, je me voyais déjà barbu, grand, énorme, interpréter Salaheddine ou Antara Ibn Cheddad", dira-t-il.
C’était le début d’une passion à 12 ans, avant que le petit ne soit poussé par son père à faire des études au Collège Moulay Youssef de Rabat, là justement où il allait apprendre la pantomime, avant de se produire, en trio, lors d’une soirée artistique à Rabat à l’occasion du retour d’exil de feu SM Mohammed V.
"C’est le maître Abdessamad Kenfaoui qui m’a amené, par la suite, à la troupe de Mâamoura où, en 1952 sous la direction d’André Voisin, j’étais obligé de rafistoler des costumes, en l’occurrence ceux de la pièce Hamlet", dira-t-il.
En artiste-né, Larbi a incarné des rôles dans Hamlet et Othello, entre autres. Sans trahir sa passion de comédien, il a succombé aux charmes distraits et expressifs des costumes, alternant des touches de costumier ou d’acteur dans plusieurs pièces.
On citera "Bonhomme Misère" d’André Voisin, "Hamlet", "Les gens de la caverne" de Taoufiq El Hakim, "Le Médecin malgré lui" de Molière, "La jalousie du Barbier" de Molière.
En 1957, tout en participant à la pièce "La volonté de la vie", Larbi Yacoubi intègre le ministère de la Jeunesse et des sports comme chargé de la Production théâtrale. Il propose, en 1958, l’idée des maisons des jeunes au Maroc et devient, en 1959, le premier directeur de la Maison des jeunes de Tanger pendant une année.
Les années 60, "la belle époque", le feu au ventre, le comédien décroche pour le cinéma. Conseiller artistique de la production d’une série de films sur le séjour d’Eugène Delacroix au Maroc, il collabore, en 1960, avec Luigi Di Marqi sur le tournage de "Maria Magdalena". En 1961, il est aux côtés de Phillis Dolton pour "Laurence d’Arabie", super production de David Lynn.
On ne comptera plus ses apparitions dans des films nationaux et étrangers, comme "Wechma" de Hamid Bennani (1970), "Le retour de l’étalon noir" de Francis Ford Coppola (1974), "Le Messager" de Mustapha Akkad (1976), "Omar Mokhtar" de Mustapha Akkad (1977), "La brèche dans le mur" de Jilali Ferhati (1978), "Le Grand voyage" de Mohamed Abderrahman Tazi (1981), "La dernière tentation du Christ" de Martin Scorsese (1984), "La plage des enfants perdus" de J. Ferhati (1991), "A la recherche du mari de ma femme" de M. A. Tazi (1993), "Tanger, Légende d’une ville" de Peter Goedel (1995), "Les chevaux de fortune" de J. Ferhati (1995), "Lalla Hoby" de M. A. Tazi (1996), "Les Fantômes de Tanger" d’Edgardo Cozarinski (1996), "Ruses de femmes" de Farida Ben Lyazid (1997), "Les aveux d’un père" de J. Ferhati (2003), "Le Gosse de Tanger" de Moumen Smihi (2004), "Le Bateau de papier", "Le Taxi blanc", "Le cadeau" trois courts métrages de Jamal Souissi (2004).
De ce parcours dense et merveilleux, parsemé de divers prix, invitations et distinctions, Larbi est resté égal à lui-même, ouvert à toutes les sollicitations. En témoignent ses participations à nombre de manifestations régionales ou locales. D’ailleurs, il n’avait qu’un reproche à faire au cinéma marocain qu’il aime tant: "Pourquoi les jeunes n’admettent-ils pas les chevronnés et vice-versa ?".
Demain, les ruelles de Marchane, son quartier natal, les vendeurs de tabac, les cafés et places publiques mythiques de Tanger s’accommoderont de l’absence de Si Larbi. Mais rares savent combien il aimait cuisiner, et très rares encore savent que le défunt, emporté par les effluves des épices, a ouvert un restaurant à Marrakech dans le années 70/80.
De toute évidence, tout Tanger se rappellera de l’allure agile d’un homme qui, à cheval sur ses principes, a constamment soigné sa tenue : Un beau costume, agrémenté d’une écharpe ou d’un foulard en soie, des chaussures en blanc ou en noir bien cirées, une barbe bien taillée, des moustaches à la shakespearienne bien tirées, un beau chapeau, une canne anglaise bien ciselée, et le zeste d’un parfum d’une odeur vivifiante.