La pression monte autour des experts du climat
Je veux dire aux sceptiques, qui me voient comme le visage et la voix de la science du changement climatique, que je ne suis pas disposé à les satisfaire. Je resterai président du GIEC jusqu’au terme de mon mandat. » Dans un entretien accordé lundi 25 janvier à la BBC, Rajendra Pachauri, président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a exclu toute démission.
La divulgation frauduleuse de cette correspondance exhibe des discussions houleuses, des écarts de langage, une volonté de ne pas partager des données, une franche hostilité à l’égard des climato-sceptiques… Elle n’a cependant pas conduit à la remise en cause de résultats scientifiques.
L’American Geophysical Union (AGU) – qui rassemble quelque 50 000 chercheurs en géosciences – a estimé que "rien, dans ces courriels, ne remet en cause le fait scientifique que le réchauffement est réel et que les activités humaines en sont presque certainement la cause". La revue Nature a, quant à elle, qualifié l’affaire de "risible".
Le Climategate n’en a cependant pas fini de ternir l’image de la climatologie. Vendredi 22 janvier, la commission des sciences et technologies du Parlement britannique a lancé une enquête parlementaire sur l’affaire. Conclusions attendues en mars.
"Pachaurigate". Le 20 décembre 2009, The Sunday Telegraph accuse Rajendra Pachauri de profiter de sa position à la tête du GIEC pour accumuler, à son bénéfice personnel, des contrats avec des entreprises intéressées par les politiques liées au changement climatique.
Le centre de recherche à but non lucratif, TERI (The Energy and Resources Institute), que dirige par ailleurs M. Pachauri, a répondu que "par principe, en ce qui concerne les honoraires ou autres rémunérations reçus pour des conseils donnés à des organisations ou pour des conférences, M. Pachauri a scrupuleusement insisté pour que les paiements soient faits à TERI". Et non à son bénéfice personnel.
"Glaciergate". Le 17 janvier, The Sunday Times publie un article attirant l’attention sur une polémique en cours dans la communauté scientifique. Le dernier rapport du GIEC (2007) donne dans un paragraphe une estimation erronée de la date de disparition des glaciers de l’Himalaya – châteaux d’eau de l’Asie (Le Monde du 26 novembre 2009). Le deuxième volet du rapport ("Impacts, adaptation et vulnérabilités") fait en effet état, à la page 493, d’une disparition de ces glaces d’altitude en 2035. Le chiffre, erroné, n’est pas issu de travaux scientifiques. Il provient d’un rapport de 2005 d’une ONG de protection de la nature – le WWF – qui lui-même s’inspirait d’un article de presse publié en 1999 par l’hebdomadaire New Scientist. Le GIEC a reconnu son erreur, faisant toutefois valoir que celle-ci ne figurait pas dans le "Résumé à l’intention des décideurs", le document d’une vingtaine de pages adressé aux politiques et qui résume les points clés du rapport.
"Il faut être clair, il y a eu une faute à propos de l’Himalaya, admet le climatologue Hervé Le Treut (Institut Pierre-Simon-Laplace), membre du GIEC. Mais la manière dont cette erreur est mise en avant est suspecte : il y a une campagne manifestement organisée." Une semaine plus tard, le 24 janvier, The Sunday Times poursuit l’offensive. Dans un nouvel article, le journal britannique fait un lien entre l’erreur commise par le GIEC sur les glaciers himalayens et les levées de fonds du TERI. L’institut de M. Pachauri aurait ainsi mis en avant une affirmation catastrophiste et fausse – la disparition des glaces himalayennes en 2035 – pour susciter une dotation de la Carnegie Corporation de New York, et une autre de l’Union européenne (UE) dans le cadre du projet High Noon.
Interrogé par Le Monde, le glaciologue Syed Hasnain, chercheur au TERI, assure que son institut "n’a jamais approché la Carnegie Corporation (pour obtenir des fonds) dans le cadre de son programme sur les glaciers".
George Soule, responsable de la communication de la Carnegie Corporation, confirme que celle-ci "a approuvé un financement unique de 500 000 dollars au Global Center, un centre de recherche à but non lucratif basé en Islande". Ce n’est qu’ensuite, ajoute en substance M. Hasnain, que le Global Center a proposé une association avec le TERI, pour former des glaciologues indiens. Quant au projet européen High Noon, "TERI en est en effet un partenaire, mais pas pour l’observation des glaciers", précise Eddy Moors (université de Wageningen, Pays-Bas), l’un des responsables du projet. "TERI est impliqué dans des travaux d’études sociales et économiques dans les vallées", précise M. Moors.
"Cyclonegate". Le 24 janvier, The Sunday Times ajoute une nouvelle suspicion au tableau. Le quotidien dominical croit savoir qu’une autre erreur s’est glissée dans le dernier rapport du GIEC. Cette fois-ci, celui-ci se serait appuyé sur une étude non publiée, menée par Robert Muir-Wood, pour affirmer que le changement climatique favorise les phénomènes extrêmes – tempêtes, cyclones, etc.
"Cette fois-ci, c’est l’erreur du Sunday Times, pas celle du GIEC, déclare son vice-président, Jean-Pascal van Ypersele. Le journal confond deux choses très différentes que sont le lien possible entre réchauffement et pertes économiques dues aux phénomènes extrêmes (objet des travaux de M. Muir-Wood) et le lien possible entre le réchauffement et les phénomènes extrêmes eux-mêmes…" Interrogé par Le Monde, M. Muir-Wood, assure en outre que le premier volet de son étude était "publié dans des actes de colloque" lorsqu’il a été cité par le GIEC. "Il n’y a pas de biais dans la procédure", ajoute-t-il.
Stéphane Foucart et Hervé Kempf