La France perd son triple A, et après?
Standard and Poor’s a dégradé la note de la dette tricolore, de « AAA » à « AA+ ». Avant même que cette décision ne soit prise, Nicolas Sarkozy avait tenté de minimiser l’impact de cette décision. Mais concrètement, ça va changer quoi? Nos réponses.
La réaction des marchés
Le triple A est un sésame qui permet d’emprunter à bas coût sur les marchés financiers. Le perdre devrait en théorie entraîner une hausse des taux d’intérêt auxquels la France finance sa dette. Sauf que depuis deux mois déjà, le spread entre la France et l’Allemagne – la différence de niveau entre les taux d’intérêt sur les obligations des emprunteurs – a déjà atteint un niveau historiquement élevé depuis la création de la zone euro. L’écart de taux d’intérêt entre l’OAT française et le Bund allemand – les titres à dix ans – est aujourd’hui de 130 points de base, contre 30 points en moyenne de long terme ces dix dernières années. Concrètement: quand l’Allemagne emprunte aujourd’hui à 1,75%, la France, elle, doit payer 3,10%. "Les marchés ont déjà pris acte de la dégradation de la France. D’ailleurs, depuis l’annonce que l’annonce de la dégradation de la France est devenue une certitude, cet après-midi, les taux de l’OAT française se sont stabilisés", estime Patrick Jacq, stratégiste chez BNP Paribas. Le taux de l’obligation française à dix ans a clôturé vendredi à 18 heures à 3,065% contre 3,032% jeudi à la clôture.
Les taux pourraient cependant bientôt repartir à la hausse. Car Moody’s pourrait à son tour retirer à la France son triple A d’ici la fin du mois de janvier. Dès lors, la France ne serait alors plus officiellement triple A – il faut le satisfecit d’au moins deux des trois grandes agences de notation pour faire partie de ce club. Cela entraînerait des ventes forcées sur les obligations souveraines françaises – certains indices ne sont composés que de dettes notées "AAA". De la même façon, la perte du triple A va renchérir le coût du "CDS" de la France – ces assurances que souscrivent les créanciers pour se protéger contre le risque de défaut. Nombre d’investisseurs seront donc tentés d’alléger leurs bilans en obligations françaises. Ce qui mécaniquement va entrainer une hausse des intérêts d’emprunt de la France. D’autant que la ise sous perspective négative de la note laisse craindre une nouvelle dégradation. Néanmoins, "les taux ne devraient pas dépasser à moyen terme 3,70%, estime Cyril Régnat, stratégiste chez Natixis, un niveau cohérent avec la situation économique de la France".
Ce que cela va coûter à la France
La perte du triple A n’aura pratiquement aucun effet sur les emprunts souscrits antérieurement, car ils sont à taux fixes pour 90% d’entre eux, le reste étant indexé sur l’inflation. Seuls les nouveaux emprunts à souscrire pour rembourser ceux arrivés à échéance et financer le déficit, soit environ 180 milliards d’euros en 2012, seront affectés par une hausse des taux. Selon les calculs de Jean-Christophe Caffet, économiste chez Natixis, une hausse d’un point de pourcentage du taux d’emprunt alourdira le fardeau de la dette d’environ deux milliards d’euros la première année et 15 milliards sur sept ans (durée moyenne de maturité de la dette tricolore). Deux milliards d’euros, ce n’est que 0,08 point de PIB. En outre, la loi de finances 2012 repose sur un scénario de coût moyen d’emprunt de 3,70%. Donc l’effet sur les finances publiques pourrait être neute cette année. "Sauf à ce que les taux explosent à 6 ou 7%, la dette française reste donc largement soutenable", estime Cyril Régnat. D’autant que si l’Etat respecte sa trajectoire de réduction du déficit public – 4,5% en 2012 et 3% en 2013 -, la France devrait commencer à se désendetter à compter de 2014.
L’inévitable effet domino
Le retrait du triple A va néanmoins provoquer des dégradations en cascade des notes de tous les organismes publics dits "subsouverains": collectivités territoriales, entreprises ayant l’Etat à leur capital et entreprises bénéficiant de la garantie implicite de l’Etat. Les grands émetteurs de dettes sur les marchés que sont la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), la région Ile-de-France et la ville de Paris, l’Unedic, tous notés "AAA", vont être dégradées dans la foulée de l’Etat. Ce sera également le cas de La Poste et de la Caisse des dépôts et consignations. Pour tous, le coût de la dette va donc s’alourdir. Les banques françaises aussi sont menacées. Car elles détiennent 120 milliards de dette publique tricolore. La qualité de leurs actifs va donc être revue à la baisse et leurs besoins en recapitalisation pour renforcer leurs fonds propres s’accroître.
Les conséquences sur l’économie réelle
La première conséquence sera l’inévitable durcissement des conditions d’accès au crédit pour les entreprises et les particuliers. La dégradation de la dette de la France va en effet faire monter tous les taux d’intérêts qui sont indexés sur les taux d’intérêt obligataires du pays. Concrètement, les banques vont être contraintes d’emprunter plus cher. Donc elles prêteront plus cher, ou moins. "Le véritable risque qui pèse sur l’économie française après la perte du triple A est celui du credit crunch", estime Jean-Christophe Caffet. Privées du crédit bancaire, dont elles sont très dépendantes, les entreprises françaises vont réduire leurs investissements. Elles seront aussi tentées de restaurer leurs marges en rognant sur les salaires et sur l’emploi. Ce qui pèsera sur le pouvoir d’achat des ménages, donc sur la consommation. Privée de ses deux principaux moteurs, l’activité pourrait se contracter plus fortement que prévu. Une récession sévère de type de celle de 2008-2009 n’est donc pas à exclure.
La facture pour les Français
Outre une baisse de leur pouvoir d’achat consécutive à la hausse du chômage et au gel des salaires, les Français pourraient subir une forte hausse des prélèvements obligatoire. Pour tenir ses engagements de réduction de déficit, alors que la croissance est plus faible qu’attendue, le gouvernement n’aura d’autre choix que d’adopter un troisième plan de rigueur. Et là, il pourrait bien annoncer une hausse généralisée des impôts (CSG, impôt sur le revenu, TVA). Ou des coupes franches dans les dépenses sociales (salaires des fonctionnaires, retraites, prestations, etc.). Les collectivités locales, confrontées à un alourdissement du coût de leur dette, pourraient elle aussi être tentées d’augmenter les impôts locaux.
(L’Expansion)