Ceci n’est pas un nouveau Saïgon. Tel est le message entonné par les responsables de l’administration Biden depuis l’annonce, en avril, du retrait des troupes américaines d’Afghanistan.
Devant être complétée avant le 20ème anniversaire des attaques du 11 septembre 2001, la sortie chaotique de l’armée américaine d’Afghanistan a, cependant, toutes les allures d’un mauvais remake du scénario vietnamien, selon j8 des commentateurs à Washington.
Pourtant, la décision du président Joe Biden de maintenir le départ des troupes américaines d’Afghanistan, théâtre de la plus longue guerre de l’histoire des Etats-Unis, semblait, au début en tout cas, sage et prudente. Après tout, la majorité des Américains sondés en avril (73%) soutenaient un départ de leurs troupes du pays d’Asie centrale, qui a coûté la vie à 2.400 soldats US.
Mais depuis, les choses ont bien changé sur le terrain. Les villes jadis sous contrôle du gouvernement afghan tombent désormais les unes après les autres devant la ruée des insurgés talibans. Selon des informations glanées par le Washington Post cette semaine, qui cite de hauts responsables du Pentagone, la capitale afghane Kaboul risque de tomber aux mains des talibans dans les six à douze prochaines semaines. Une précédente évaluation tablait sur six à 12 mois après le retrait complet de l’armée américaine. Les talibans contrôlent déjà plus de 65% du pays.
L’avancée des talibans est tellement rapide que l’administration américaine a dû improviser en catastrophe un plan pour évacuer les milliers de traducteurs et d’interprète afghans, ainsi que leurs familles, qui ont soutenu les Américains lors de l’invasion du pays, et qui risquent désormais de subir le courroux des talibans. Des troupes américaines seront même déployées à l’aéroport international de Kaboul pour faciliter l’évacuation partielle de l’ambassade des États-Unis, a annoncé jeudi le département d’État
Avec du recul, l’accord négocié il y a un an et demi entre les talibans et l’administration Trump semble tourner au fiasco pour l’administration américaine. Washington s’était en effet engagé à retirer ses troupes du pays en mai 2021, et d’inciter le gouvernement afghan à libérer 5.000 combattants talibans. En contrepartie, les talibans se sont engagés à empêcher d’autres groupes, dont Al-Qaïda, d’utiliser le sol afghan pour recruter, former ou collecter des fonds pour des activités menaçant les États-Unis ou leurs alliés.
Alors que l’administration Biden a décidé de maintenir le retrait, en le retardant de quelques mois, les talibans sont loin d’avoir tenu leurs engagements.
Cette semaine encore, le chef de l’humanitaire de l’ONU, Martin Griffiths, s’est dit extrêmement préoccupé par la détérioration de la situation en Afghanistan où plus de 1.000 personnes ont été tuées ou blessées en raison d’attaques aveugles contre des civils dans les provinces de Hilmand, Kandahar et Herat au cours du seul mois écoulé.
La débâcle des forces afghanes, formées et armées à coups de milliards de dollars par le Pentagone, n’a pas échappé à la presse internationale. Foggy Bottom, où siège le département d’Etat, est devenu depuis quelques semaines le lieu d’échanges tendus entre l’imperturbable porte-parole de la diplomatie US, Ned Price, et les correspondants des médias étrangers, au sujet de la situation en Afghanistan.
Malgré l’avancée fulgurante des talibans, la diplomatie américaine n’a cessé de répéter que l’armée afghane, qui compte « 300 000 soldats », a le moyen de se défendre face aux insurgés, tout en vantant les efforts diplomatiques menés à Doha par l’émissaire américain pour l’Afghanistan, Zalmay Khalilzad.
« L’ambassadeur Khalilzad est actuellement à Doha. Il est là pour faire avancer une réponse internationale collective à ce que l’on ne peut que qualifier de détérioration rapide de la situation sécuritaire », répète Ned Price, ajoutant que M. Khalilzad « fera pression sur les talibans pour qu’ils mettent fin à leur offensive militaire et qu’ils négocient un règlement politique ». « Nous savons, une fois encore, que c’est la seule voie vers la stabilité et le développement de l’Afghanistan », soutient-il. De son côté, la Maison Blanche tente de recalibrer son discours sur la situation en Afghanistan.
« Je ne regrette pas ma décision », a insisté M. Biden devant la presse mardi, après avoir souligné que les États-Unis ont dépensé plus d’un trillion de dollars et perdu des milliers de leurs propres soldats pour former et équiper l’armée afghane.
La porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a expliqué qu’en « fin de compte, notre point de vue est que les forces de défense de la sécurité nationale afghane ont l’équipement, le nombre et la formation nécessaires pour riposter, ce qui renforcera leur position à la table des négociations”.
« Nous pensons qu’il y a un processus politique – c’est le seul processus qui réussira à apporter la paix et la stabilité en Afghanistan », a-t-elle dit.
Cette rhétorique passe mal auprès des médias américains, dont le New York Times, qui a qualifié, dans un édito, de « délirante » la position de la Maison Blanche selon laquelle les talibans souhaitent négocier une solution politique pour bénéficier d’une légitimité internationale.
La tournure des évènements en Afghanistan est d’autant plus périlleuse pour Biden à l’approche des élections de mi-mandat de l’année prochaine, les républicains y voient un argument de poids face aux démocrates. Le représentant républicain Adam Kinzinger l’a qualifié de « défaite cinglante », alors que l’influent sénateur Lindsay Graham l’a comparée à la « débâcle » de l’Irak, qui a donné naissance à Daech. « Si j’étais président actuellement, le monde saurait que notre retrait d’Afghanistan était soumis à des conditions », insiste, pour sa part, l’ex-président Donald Trump, qui a fustigé, dans un communiqué, son successeur pour la situation « inacceptable » en Afghanistan.
Mais pour M. Biden, qui a assisté à quatre administrations américaines se casser les dents au « tombeau des empires », c’est aux Afghans de « se battre pour eux-mêmes, se battre pour leur nation ».