Sécurité intérieure : quand le Maroc réinvente son propre modèle

La sécurité est assurément la première obligation d’un Etat. Le Maroc l’apprend chaque jour à ses dépens et consent des efforts colossaux pour garantir celle de ses 35 millions d’habitants avec un voisinage hostile qui ne lui facilite pas la tâche. 

Victime de violations de son intégrité territoriale par les guérillas du Polisario, cible des mouvements terroristes internationaux, proie des mafias qui organisent l’émigration clandestine et des trafiquants de drogue et en prise avec les opérations de déstabilisation de puissances étrangères, le Maroc a réussi à créer son propre modèle pour protéger ses populations, ses frontières et ses intérêts à travers le monde.

Récit de l’édification d’une partie du dispositif sécuritaire marocain dont le niveau de maîtrise dérange suffisamment pour affoler certains services de pays pourtant « amis ». Désorientée par la modernisation et l’espérance de progrès portés par le modèle sécuritaire marocain, l’alliance islamo-gauchiste, constituée par Al Adl Wal Ihssane et Annahj Addémocrati et leurs soutiens, ne manque aucune occasion sur le terrain de la parole, pour tenter de discréditer la DGST et la DGSN, figures de proue de cette transformation. Les deux institutions présentent la singularité d’être gérées par une seule et même personne.

Depuis l’attentat de l’hôtel Atlas Asni à Marrakech en 1994 au cours duquel deux touristes espagnols ont été tués par un commando franco-algérien, le Maroc a dû payer un lourd tribut à la lutte contre le terrorisme. Celui du sang de dizaines de victimes d’attentats abominables que ce soit à Casablanca, Marrakech ou encore Imlil. Depuis 26 ans, ce sont des centaines d’opérations qui ont été avortées et autant de cellules neutralisées.

C’est grâce à une communauté de services du renseignement dont le niveau de professionnalisme a été substantiellement rehaussé et dont la modernisation s’est faite au pas de charge ces dernières années, que le Royaume chérifien réussit à repousser les menaces, et ce avec une feuille de route dont le Roi Mohammed VI a tracé lui-même les contours.

Attentat du café Argana à Marrakech, le 28 avril 2011.

Cohésion sociale et solidarité

Sur le front intérieur, la pandémie de la covid-19, a montré la cohésion très forte des marocains autour de leur chef d’Etat, malgré les difficultés, la modestie des ressources, les insuffisances du système de santé et la précarité dans laquelle la pandémie a plongé des milliers de familles.

Reste que malgré les critiques, l’extraordinaire solidarité qui a caractérisé les marocains dans cette épreuve, toutes classes sociales et toutes sensibilités culturelles ou cultuelles confondues, survivra incontestablement au coronavirus.

Elle constitue aujourd’hui un rempart solide sur lequel viennent se briser les rêves de prise de pouvoir aussi bien de mouvements obscurantistes comme Al Adl Wal Ihssane que ceux de leurs alliés de la gauche radicale incarnée par Fouad Abdelmoumni, Khadija Riyadi ou encore Maati Monjib, apparemment soutenus par des individualités comme Hicham Alaoui* ou encore des anciens journalistes comme Boubker Jamaï ou Ahmed Reda Benchemsi .

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Tous s’affichent en hommes libres et répètent en boucle à qui veut l’entendre, leur laïus sur la démocratie dans l’illusion que personne ne puisse ou ne vienne débattre de leur intégrité qu’ils voudraient supérieure.

Un discours contre le système basé sur le ressentiment

Loin de la critique de l’action de l’Etat, des débats d’idées ou de la contradiction, ces dictateurs à penser nourrissent un discours antisystème fait de fausses vérités car basé sur le ressentiment. Cette rancœur, portée par chacun d’entre eux pour des raisons individuelles différentes, parait si forte qu’elle les pousse avec une incroyable suffisance à adopter des méthodes immorales pour alimenter en rumeurs et dans la lâcheté du «Off », des médias français ou espagnols sur l’état de santé du Roi, sa vie privée, son « désintérêt » pour régner ou encore la place « démesurée » qu’auraient pris certains de ses plus proches collaborateurs dans la gestion des affaires du pays, sur les questions politiques ou sécuritaires, notamment .

L’actualité de ces dernières semaines sur la question de l’intégrité territoriale du Maroc et sa reconnaissance par les Etats-Unis, le rétablissement du dialogue avec Israël après 20 ans d’interruption et toutes les avancées diplomatiques et les ouvertures économiques qui se dessinent sont le fruit d’un suivi et d’un engagement personnel du Roi.

Démontrer que les « sécuritaires » sont tout-puissants

Ils balayent sans même avoir à être expliqués, la rhétorique développée par ces détenteurs autoproclamés de la vérité qui nous projettent ainsi dans un « univers menteur » *, y compris sur la place qu’auraient pris les « sécuritaires » que ces chefs de file du projet insurrectionnel contre la monarchie ont placé en tête de la liste des axes de leur guide argumentaire. Il s’agit ainsi pour eux de faire la démonstration de la toute-puissance des sécuritaires qui porteraient atteinte aux droits de l’Homme et à la liberté d’expression et s’acharneraient contre les journalistes.

Le terme « police politique » qu’incarnerait Abdellatif Hammouchi aux yeux de ces maîtres à dire, a fait son apparition il y a quelques années et est repris en boucle dans un rythme accéléré ces derniers mois, brandi comme un slogan par la plupart des porte-parole de ce front baptisé en novembre 2019 « initiative pour la lutte contre le despotisme » par le militant d’extrême gauche Fouad Abdelmoumni.

Un terme qui n’est pas sans rappeler la Stasi, le service de police politique, de renseignements et d’espionnage de l’ex Allemagne de l’Est. L’utiliser pour parler du Royaume supposerait que la police marocaine opère dans le secret à la manière des régimes totalitaires pour maintenir la sécurité nationale. Or, quels que soient les confrontations ou les débats parfois violents qui secouent sa société, le Maroc ne présente aucune des caractéristiques de ces pays et sa communauté de services du renseignement, y compris la DGST, agit dans un cadre balisé avec autant de garde fous que la constitution de 2011 peut en contenir.

L’utilisation de « police politique » par les animateurs de ce groupuscule antisystème est en réalité bien plus pernicieuse, si l’on considère les fondements du projet insurrectionnel qu’ils tentent de mettre sur pieds depuis 10 ans. Ils œuvrent à la consolidation d’une alliance entre islamistes radicaux et radicaux de gauche dans l’objectif de renverser la monarchie. Ils sont soutenus, pour ne pas dire encadrés, par des individualités qui trouvent du « courage » au mouvement obscurantiste Al Adl Wal Ihssane qui prône l’instauration d’une république islamique. Parmi ces soutiens, certains ne verraient aucune difficulté à vivre dans une république si ce régime « leur paraissait la meilleure option » pour le Maroc.

Une alliance à l’image de celle des mollahs et des communistes de Tudeh en Iran

Leur alliance et leur projet nous rappellent tout naturellement l’Iran, qui constitue un modèle pour Al Adl Wal Ihssane et le terme « police politique » qu’ils cherchent à imposer dans le répertoire lexical sur le Maroc, renvoie à la Savak de l’ancien Shah Mohammed Reza Pahlavi. C’était une organisation qu’il avait mise en place pour contrer ses opposants. Elle était accusée d’assassinats, y compris à l’étranger, d’enlèvements et de détentions arbitraires de milliers de personnes.

Le parallèle est évidemment pervers puisque le Shah d’Iran a été renversé par une coalition islamo-gauchiste composée notamment des mollahs et du parti communiste Tudeh.

Poussons le parallèle et rappelons qu’une fois au pouvoir, le régime de Khomeini a fait liquider toutes les forces de gauche qui l’ont aidé à accéder au pouvoir, y compris le parti Tudeh.

Rappelons également, pour l’histoire, que la Savak a été remplacée par une multitude d’autres polices comme le « Bureau de Police Secrète Spéciale », « la police religieuse » (Muttawa), « la police des mœurs », la Savama (entre 1981 et 1984), le Vevak, etc.

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Non, décidément le Maroc ne dispose pas de ce type de « police politique »

Non, tous les coups ne sont pas permis et les limites sont clairement fixées aux services de sécurité marocains dont l’efficacité tient d’ailleurs, par définition, de la confidentialité et de la discrétion de leurs actions. Il y a là comme une évidence que leurs contempteurs feignent de ne pas connaitre.

Quels que soient les grands principes dont pourraient se draper les historiens Maati Monjib*et Pierre Vermeren* pour théoriser le terme « police politique » et tenter de le pérenniser, la nécessité d’oxygéner le guide argumentaire sclérosé qu’ils incarnent l’emporte et les marocains ne les entendent pas. Tout comme ils restent sourds aux coups de Jarnac d’Hicham Alaoui pour lequel le régime fait preuve évidemment d’« autoritarisme». Cela suppose pour l’universitaire que le système sécuritaire fasse dans les « coups fourrés », la « barbouzerie » et que le Général Hamidou Laanigri soit « un barbouze ravi de se tapir derrière le trône ». *

Ni l’ancien haut commis de l’Etat qui avait servi efficacement au sein de la DST puis au sein de la DGSN, ni ses successeurs ne se sont jamais « tapis » derrière le trône. Ceux qui connaissent le fonctionnement des institutions savent que personne ne se dissimule derrière le trône, et que c’est le Roi qui détermine la place de chacun des hommes qui l’entourent et le périmètre précis de leur terrain d’actions.

Une séquence inédite depuis le début de son règne viendra le rappeler le 24 avril 2018.

Reconnaissance de la nation au rôle de la DGST

Ce jour-là, Mohammed VI se rend au siège de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire pour inaugurer l’institut de formation spécialisé de l’ex DST et visiter les locaux flambant neufs du service de la sécurité intérieure, dont le seul nom faisait trembler dans les foyers, du temps du puissant ancien ministre de l’intérieur, Driss Basri.

Le monarque marocain veut ainsi directement exprimer la reconnaissance de la nation au travail titanesque des quelques 7 000 membres qui composent les unités de la DGST qui comptent aujourd’hui 6% de femmes dans leurs rangs. Les missions de ce service de sécurité intérieure sont délicates et ses productions de renseignements vont du contre-espionnage à la lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents, de la cybercriminalité à la prolifération des armes et au crime organisé, y compris le crime transfrontalier.

« Dédiaboliser » les services de la sécurité intérieure 

Les mots clés qui ont été à la base de cette « normalisation » sont stabilité, paix, ordre public, mobilisation et vigilance, au plus près des préoccupations des citoyens et ils participent à l’affermissement des éléments stratégiques du portefeuille des attributions de la DGST.

En ce 24 avril 2018, Il s’agit aussi pour Mohammed VI de signifier aux marocains que la DGST est une institution comme une autre et transmettre un message de transparence et de proximité sur ce service qui faisait l’objet, dans le passé, des pires hantises car associé pendant des décennies aux rafles, à la détention secrète et à la pratique de la torture.

Aujourd’hui l’image fantasmatique est loin derrière, ce qui n’empêche pas les visiteurs d’y entrer au compte-gouttes et de montrer patte blanche pour accéder au lieu situé à la limite du quartier Hay Riad et de la petite ville de Témara. Le procureur général de Rabat, des chefs des délégations parlementaires, le ministre d’État en charge des droits de l’Homme, Mustapha Ramid ou encore des membres du Conseil National des Droits de l’Homme ont eu l’occasion de constater qu’ « il n’y a pas de chambres de torture secrète et encore moins de cellules souterraines », nous confie un membre du CNDH qui a pu inspecter les locaux en mai 2011.

La visite de journalistes, elle, relève de l’exceptionnel et ceux qui ont pu pénétrer dans l’enceinte de la DGST l’ont fait, pour la plupart, à la faveur de la visite du Roi Mohammed VI.

Une demande d’AtlasInfo.fr pour y réaliser un reportage n’a d’ailleurs toujours pas reçu d’avis favorable.

Visite de l’ambassadeur US au siège de la DGST, le 24 septembre 2020

Communiquer pour se rapprocher des marocains

C’est le souverain marocain qui avait initié, dès le début de son règne, un processus de « standardisation » des missions de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire, traçant sa feuille de route avec des axes aussi cruciaux que l’obligation de respecter les normes judiciaires, l’importance de placer le renseignement préventif au cœur de toute approche et la nécessité de maitriser les réseaux islamistes et les processus de déradicalisation, dans un pays qui est devenu la cible des mouvements terroristes internationaux depuis plus de 25 ans.

La création du Bureau Central d’Investigation Judiciaire (BCIJ) en 2015 participe à la spécialisation des actions de la DGST et à son ouverture en direction du public avec un modèle de communication qui tend à favoriser la proximité avec les marocains et les médias, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Là-dessus, c’est également Mohammed VI qui a exigé que des canaux de communication soient mis en place pour que les citoyens soient tenus informés des actions aussi bien de la DGST que de la DGSN.

Vaincre les inquiétudes et prévenir la criminalité

« Il ne s’agit pas uniquement de montrer les efforts déployés pour assurer la sécurité du pays et de ses populations », nous déclare la commissaire Ilham El Mouktafi, cadre au sein de la cellule de communication de la DGSN. Le véritable challenge et « la mission qui nous est confiée est de vaincre les inquiétudes, modifier la perception qu’ont les marocains des forces de l’ordre, gagner la compréhension du public et travailler avec de nouveaux schémas médiatiques qui contribuent à la prévention de la criminalité », analyse cette spécialiste de la communication digitale.

Les attentats terroristes qu’a connu Casablanca le 16 mai 2003 ont été un point d’inflexion décisif dans l’accélération de la mise à niveau de la DGST. Ils ont eu l’impact d’un véritable séisme aussi bien auprès des populations que des responsables politiques. Au plus haut sommet de l’Etat, les évènements de Casablanca ont mené à un redimensionnement des moyens attribués aux services de sécurité, dans l’objectif de moderniser l’ensemble des appareils sécuritaires.

Faire face à la menace terroriste

Ainsi en 2011, l’opinion publique assistait à un véritable tournant dans la marge de manœuvre et la recherche d’efficacité de la DGST. Il a pris la forme d’un amendement du code pénal (article 108) qui permet au service de sécurité intérieure d’assurer le rôle de police judiciaire en procédant à des enquêtes, des interpellations, et des interrogatoires et en dressant des procès-verbaux. Plusieurs domaines d’intervention lui sont octroyés comme la sûreté de l’État, la lutte contre le terrorisme, les affaires criminelles dont les enlèvements, la contrefaçon dont le faux monnayage, le trafic de drogue ou encore celui des armes.

Une visite qui dérange et fait grincer des dents

Cette visite du Roi à la DGST le 24 avril 2018 avait fait grincer quelques dents, certaines sphères relevant le caractère inédit de la démarche pourtant parfaitement banale aux Etats-Unis quand le chef de l’Etat visite les locaux du Federal Bureau of Investigations (FBI) comme Barack Obama ou encore George W. Bush. Plus récemment en février 2020, la Reine Elisabeth II d’Angleterre, une habituée du  MI5*, a même prononcé un discours devant les agents du renseignement et de la sécurité intérieure dans leurs locaux, saluant « la détermination avec laquelle (ils) vous menez votre rôle vital ».

Enfin en Espagne, les locaux de la Guardia Civile n’ont aucun secret pour le Roi Felipe , tout comme rien ne s’oppose à ce qu’il préside les journées de la sécurité des technologies de l’information et de la communication portées par un organisme du Centro National de Inteligencia (équivalent de la DGED).

La reine Elisabeth II au MI5 avec son DG, Andrew Parker.

Pourquoi le patron de la sécurité intérieure et de la police est devenu une cible

La reconnaissance, au plus haut niveau d’un état, des services rendus à la nation et des sacrifices consentis par les forces de sécurité, entre dans une normalité que les détracteurs du modèle marocain gardent pourtant en travers de la gorge.

Parmi les axes qu’ils privilégient pour déprécier systématiquement la valeur morale de l’action de l’Etat marocain, notamment en matière de droits de l’Homme, le fonctionnement des services de sécurité figure tout en haut de la liste avec un catalogue d’items et des angles qui ont été enrichis depuis la visite royale à la DGST autour d’un nom : Abdellatif Hammouchi. Le patron de la sécurité intérieure est nommément visé par l’accroissement des attaques, personnelles le plus souvent.

Cette visite du Roi dans ce qui était décrit comme un centre secret de détention où les pires exactions auraient été commises, constitue à elle seule un démenti cinglant au storytelling sur les atteintes aux droits de l’Homme et la pratique de la torture sous le règne de Mohammed VI.

Voilà le souverain marocain allant d’un bâtiment à l’autre, prenant son temps pour visiter des locaux ou serrer des mains comme pour dire : « circulez, c’est tout ce que vous trouverez ici ».

Abdellatif Hammouchi

Hicham Alaoui n’est jamais très loin

Le message était clair et il a jeté le discrédit sur la parole manipulée par les groupuscules d’extrême gauche et leurs alliés. Ils s’étaient lâchés sans retenue pendant plusieurs années pour clouer au pilori le Maroc, à grand renfort d’ONG aux pratiques contestables. Et dans ce genre de comédie essentiellement franco-marocaine, Hicham Alaoui n’est jamais très loin. Il avait fait son entrée sur scène pour dénoncer avec théâtralité « la répression des islamistes » et « le centre de tortures à Témara » *.

Ainsi, Abdellatif Hammouchi est devenu l’homme à abattre à partir du jour où il n’y avait plus de stories à produire ou d’histoires fantasmées à diffuser sur un bagne secret aux portes de Rabat. A défaut d’un lieu, un nom et un visage devaient dorénavant nourrir la rhétorique contre le système sur le registre des droits de l’Homme.

Avant cela, Abdellatif Hammouchi était déjà une cible. Il l’est depuis qu’il s’est vu confier la charge de la vaste opération de dépoussiérage de l’ex DST. Nommé en 2005 à la tête de l’institution rebaptisée Direction Générale de la Surveillance du Territoire, il n’avait que 39 ans, pour un poste habituellement occupé par de vieux routiers des services de sécurité aux tempes depuis fort longtemps grisonnantes et « cooptés » pour leurs liens étroits au sein du sérail ou leur agilité à renvoyer l’ascenseur.

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Un homme qui ne fait pas dans le bon procédé social

A y regarder de plus près, finalement les observateurs savent peu de choses de Abdellatif Hammouchi si ce n’est que, lui, ne fait pas dans le bon procédé social. C’est sans doute l’une des caractéristiques qui avait séduit en 2003 le tout puissant Georges Tenet, directeur de la Central Intelligence Agency, la CIA. Pour le recruter à Washington, il avait déroulé le tapis rouge pour l’uns des experts des organisations terroristes et des mouvements religieux radicaux les plus estimés dans le monde du renseignement international. Cette expertise, Abdellatif Hammouchi l’a acquise sur le terrain et au fil des années, gravissant les échelons les uns après les autres, sans jamais démentir la réputation qu’il s’est forgé de travailleur acharné, soucieux du moindre détail et qu’aucune mission délicate ou dangereuse n’effraye.

Il semblerait d’ailleurs que ce juriste passé par l’académie de Kenitra « n’aime pas que l’on parle de lui », nous confie l’un de ses proches collaborateurs à la DGST qui n’a pas souhaité que son nom soit cité dans notre article « pour des raisons évidentes liées à ma profession », précise-t-il. Ce haut cadre de la sécurité intérieure ajoute « mais Abdellatif Hammouchi est convaincu de la nécessité de communiquer auprès de l’opinion publique et préfère que les hommes et les femmes qui l’entourent prennent la parole et se rapprochent des marocains ». Evidemment, précise notre interlocuteur « ceci vaut principalement pour la DGSN. Les cadres de la DGST doivent rester dans l’ombre, il y va de la réussite de nos missions et de notre propre sécurité », conclut-il.

« Nous sommes tous les enfants d’un même peuple »

 Agé de 54 ans, le patron de la DGST et de la DGSN, natif de Taza, présente un profil assez particulier car ce n’est pas un homme du sérail. Il n’a pas grandi dans l’entourage royal et n’est pas du style à user d’entregent ou de réseaux pour obtenir des faveurs. « C’est un fils du peuple », peut-on lire dans les rares portraits qui ont pu être dressés de lui dans des médias mais lui « n’aime pas cette expression », assure un haut cadre du ministère de l’intérieur qui le côtoie depuis 25 ans .« Nous sommes tous les enfants d’un même peuple », dirait en privé Abdellatif Hammouchi qui « rejette le discours populiste sur l’ascenseur social qui ne profiterait qu’aux personnes nées avec une cuillère en argent dans la bouche », rapporte cette connaissance aujourd’hui Wali à l’administration centrale. « Il est la preuve que l’on peut être reconnu pour sa compétence et non son extractions sociale », commente cet autre compagnon d’étude à l’Université de Fès où le directeur général de la DGST et de la DGSN a fait des études de sciences politiques.

L’homme qui voulait être caïd

 Rien ou si peu de choses le prédestinaient à diriger deux des plus importantes institutions dépositaires de la sécurité intérieure du pays.

Abdellatif Hammouchi souhaitait faire carrière au ministère de l’intérieur mais en tant que Caïd dont il passe le concours alors qu’il a 23 ans mais il est recalé car l’âge minimum requis est de 25.

Il effectue alors son service civil au ministère de l’intérieur et passe en 1991 le concours des commissaires de police, obtenant la première note générale. Repéré par le directeur de la DST de l’époque, Abdelaziz Allabouch, il se voit proposer un poste, mais la DGSN refuse de s’en séparer. La Direction de la Sûreté du Territoire alors en manque de cadres, revient à la charge et obtient finalement que le jeune expert en mouvance islamistes et organisations terroristes intègre ses rangs.

Par la suite, une formation de 8 mois à l’académie de Kenitra lui fait à nouveau côtoyer les cadres de la police. Puis des formations aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France avant que la nomination du général Hamidou Laanigri à la tête de la DST en novembre 1999 ne donne un coup d’accélérateur à sa carrière. A la clé: une réorganisation des services et une nomination au poste de directeur central qui permet à Abdellatif Hammouchi de commencer à identifier et à former une ressource humaine précieuse et spécialisée. La suite, nous la connaissons.

Hamidou Laanigri

Des résistances au sein même de l’appareil du pouvoir

Quoi qu’en dise ce fils de petit agriculteur qui vivait pratiquement au jour le jour, son profil dérange et a cristallisé de nombreuses résistances au sein même de l’appareil du pouvoir que Mohammed VI souhaitait bousculer en brisant les schémas traditionnels qui prévalaient dans les nominations à des postes hautement stratégiques. Au-delà de la liberté de choix du souverain marocain déterminée par son pouvoir de nomination, le profil de Abdellatif Hammouchi est venu briser les règles existantes de l’accès à la haute fonction publique, déterminé pendant très longtemps par l’appartenance à certains milieux sociaux et par la « faveur » politique ou personnelle.

C’est sur la qualité du traitement de ses dossiers que le patron de la sécurité intérieure a été choisi par le Roi qui ne le connaissait pas personnellement avant de lui confier le vaste chantier réformateur de la DST, le 14 décembre 2005.

Pas de garde rapprochée ni de train de vie ostentatoire

Il faut dire que la personnalité même de Abdellatif Hammouchi a de quoi malmener certaines croyances jusque-là assez tenaces. Il n’a pas de train de vie ostentatoire, pas de garde rapprochée non plus, pour un homme sur lequel pèse pourtant des menaces de mort récurrentes.

« Il n’emprunte jamais deux jours de suite le même itinéraire pour se rendre à l’un de ses deux bureaux », nous confie la commissaire Ilham El Mouktafi, évitant tout lieu public « qui pourrait l’exposer inutilement à une quelconque menace », ajoute-elle.

Dans le même ordre d’idée, Abdellatif Hammouchi ne mange pour ainsi dire jamais en dehors de son domicile, les cas d’attentats par empoisonnement dans les milieux du renseignement et de l’espionnage étant très courants.

Il aurait pu faire sienne la phrase du général De Gaulle « Les hommes peuvent avoir des amis, pas les hommes d’Etat ». On ne lui connait en effet pas d’amis et s’ils existent, « aucun ne pourrait publiquement s’en prévaloir », assure notre wali de l’administration centrale du ministère de l’intérieur.

Insuffler une nouvelle dynamique à la DGSN

Mais encore faudrait-il que Abdellatif Hammouchi trouve du temps à consacrer à une vie sociale, surtout depuis qu’il a également pris la tête de la Direction Générale de la Sureté Nationale, le 15 mai 2015. Lorsque Mohammed VI le reçoit avec Mohamed Hassad alors ministre de l’intérieur, il lui demande d’« insuffler une nouvelle dynamique »* à la DGSN, de « promouvoir et moderniser ses méthodes de travail » et d’assurer, avec cette double casquette, « une parfaite coordination entre ces deux directions » de sorte à élever à un niveau supérieur l’efficacité de leur action respective.

Cette nouvelle responsabilité viendra brusquer d’autres certitudes sur la nécessité de cloisonner totalement chacun des services qui forment la communauté nationale du renseignement. Or, s’il est une réalité durement éprouvée par les nations en prise avec le terrorisme, c’est bien celle de l’absence de coordination et de partage d’informations entre les services de police et ceux de la sécurité intérieure notamment, avec son lot de pertes humaines que le Maroc à souvent payé au prix fort par le passé.

Une double casquette au service d’une vision

Abdellatif Hammouchi, qui a travaillé au sein de l’un puis de l’autre corps de sécurité, a endossé la responsabilité de ces deux casquettes pour mettre en place une coordination inédite entre les deux institutions, pour une efficacité maximale dans l’anticipation des menaces auxquelles le Maroc est confronté.

Une mission délicate qui produit des résultats substantiels que les chiffres depuis 2015 ne peuvent à eux seuls traduire. « Chaque entité est totalement indépendante et les gardes fous sont nombreux », nous précise la commissaire El Mouktafi. « Là où les synergies sont importantes, c’est sur la vérification, la circulation et la mise à disposition de l’information nécessaire à l’intervention sur le terrain » de l’un ou de l’autre corps de sécurité, explique notre interlocutrice, ajoutant que « le gain de temps est énorme et la réactivité s’en est trouvée décuplée. Ce sont des vies qui sont préservées et cela est inestimable ».

Des bilans enviables mais des pertes humaines à cause de la Covid-19

Bilan plutôt flatteur en moins de 6 ans à la DGSN pour laquelle Abdellatif Hammouchi a travaillé à la rénovation en profondeur, s’entourant d’une task force spécialisée dans la gestion des ressources humaines pour insuffler aux fonctionnaires de police toutes les valeurs, l’énergie et la fierté nécessaire pour porter cet uniforme. La DGSN bénéficie aujourd’hui d’une marque employeur extrêmement attractive au point de générer des dizaines de milliers de candidatures aux différents concours d’entrée chaque année.

Mais l’heure n’est pas à la satisfaction pour la Direction Générale de la Sureté Nationale, en première ligne dans la lutte contre la pandémie de la Covid_19. « Vous savez, c’est la gestion du capital humain dans toutes ses dimensions qui fait aujourd’hui la différence. Nous l’avons vécu de près avec la situation sanitaire et l’esprit de sacrifice dont ont fait preuve les 74 520 agents de la Sureté Nationale », poursuit Ilham El Mouktafi. « Des milliers ont contracté le virus et 94% ont pu être guéri grâce à une prise en charge rapide et une très grande solidarité. Mais nous déplorons le décès de 28 de nos collègues des suites de la pandémie. Ils sont morts dans l’exercice de leurs fonctions, pour la nation et un hommage particulier leur sera rendu le moment venu, lorsque la pandémie sera derrière nous », conclut-elle.

15 ans à la tête de la DGST et 5 ans à la DGSN

Il ne fait aucun doute que la lutte contre la pandémie continuera à mobiliser une bonne partie de l’énergie des fonctionnaires de police dans les prochains mois.

Cependant, les conditions de travail devraient connaitre un bond qualitatif notamment pour la Brigade Nationale de la Police Judiciaire qui disposera de locaux neufs en mars 2021. Le nouveau laboratoire scientifique, quant à lui, sera opérationnel pratiquement au même moment.

Le siège de la DGSN, indispensable aux nouveaux domaines d’expertise des cadres dirigeants de la police, est prévu pour être achevé en 2023.

Le 14 décembre dernier, Abdellatif Hammouchi bouclait 15 années à la tête de la DGST et le 15 mai dernier, 5 ans à la DGSN.

Il a œuvré à ce que le service du renseignement soit l’un des plus puissants au monde, garantissant la sécurité à l’intérieur des frontières du Maroc et contribuant à celle de plusieurs pays ciblés par le terrorisme, dans le cadre d’une coopération exemplaire. A quelques exceptions près…

A suivre…

 

*Hicham Alaoui est le fils ainé de feu Moulay Abdellah, frère de Feu le Roi Hassan II.

* Philippe Breton, « La parole manipulée ». La Découverte, 2019.

*Interview à RFI, 24 septembre 2020.

* « Le Maroc, un Royaume de paradoxes en 100 questions ». Tallandier, 2020.

* « Journal d’un prince banni ». Grasset, 2014.

*MI5 : service de la sécurité intérieure du Royaume-Uni communément dénommé MI5 pour Military Intelligence, section 5.

*Entretien avec Stephen Smith, dans « Le Débat » 2011/4 (n 166)

*Communiqué du Cabinet Royal,15 mai 2015.

 

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