Des femmes imams pour contrer la radicalisation religieuse
Le plus important sommet international sur les droits des femmes depuis la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Pékin de 1995, le Forum ‘Génération égalité’ organisé par ONU-Femmes, vient de s’achever à Paris. Il a réuni moult personnalités dont le président Emmanuel Macron, le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres et l’ancienne Secrétaire d’Etat américaine Hilary Clinton.
Au terme de ce grand évènement, 1000 engagements en faveur de l’égalité femmes-hommes ont été pris par les participants pour un montant de 40 milliards de dollars.
Il s’agit notamment de soutenir « les combattantes de la liberté et des droits fondamentaux» qui sont confrontées à la montée des conservatismes.
Certaines de ces combattantes, les femmes imams, ont décidé d’œuvrer à l’autonomisation des femmes dans le domaine religieux. Leur courage et leurs actions méritent d’être connues et reconnues.
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La religion, une affaire d’hommes
“Il faudrait qu’on cesse, à chaque fois qu’on cherche à justifier l’exclusion des femmes de l’espace public, du politique et du sacré, de se rabattre sur le religieux afin de cautionner toutes les discriminations” a déclaré Mme Asma Lamrabet[1], qui a dirigé le Centre des études féminines en Islam, think tank marocain. Elle a été primée pour son ouvrage « Femmes et hommes dans le Coran : Quelle égalité ? ».
La religion, quelle qu’elle soit, a toujours été une affaire d’hommes comme dans les autres religions monothéistes. L’émergence des Mourchidates, affectées dans les différentes régions du Maroc dès 2006, bouleverse cet état de fait. Les Mourchidates ont le même rôle qu’un imam, mais ne peuvent cependant diriger une prière collective, rôle qui demeure le monopole des hommes.
Ces expertes du Coran font un travail de prévention. Elles ont un rôle d’encadrement, d’orientation, d’information et de sensibilisation religieuse dans les mosquées mais aussi dans les prisons et les orphelinats où elles veillent à faire connaître l’islam.
Elles prennent soin de corriger les interprétations erronées qui conduisent à toutes sortes de dérives.
Si le leadership religieux au féminin est loin de faire l’unanimité, il a néanmoins gagné en visibilité grâce à ces imams femmes.
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Le rôle indéniable de la femme dans l’histoire de l’Islam
Bien que les femmes aient eu un rôle important dans le façonnement de l’histoire des religions monothéistes, leur engagement est souvent passé sous silence. L’histoire de l’islam regorge en effet de femmes puissantes qui, bravant tous les obstacles, sont devenues des souveraines, façonnant leur propre destin et celui de leur royaume.
Les femmes peinent pourtant encore aujourd’hui à se tailler une place de choix dans l’exécutif religieux.
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Les femmes s’approprient le savoir religieux
Le schéma traditionnel des femmes cantonnées à la sphère familiale (être mère, éduquer les enfants) est aujourd’hui largement battu en brèche. Les femmes ne se contentent plus de la sphère privée et s’émancipent personnellement et professionnellement.
En étudiant les textes sacrés, elles ont découvert que leur interprétation était tronquée : il s’agit d’une interprétation souvent patriarcale servant à légitimer des rapports sociaux qui leur confèrent un statut d’infériorité dans la société.
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Emergence d’une élite féminine de savants religieux
Alors que le corps des femmes est politisé et exploité comme un moyen de contrôle sur elles, que la société, de manière générale, croit que la sécurité des femmes n’est pas aussi importante que le droit des hommes, l’émergence d’une élite féminine de leaders spirituels, de plus en plus visible, pourrait progressivement contribuer à remettre en question cette configuration.
L’accès au savoir religieux devient pour les théologiennes et les prédicatrices, dans les pays à majorité musulmane, la clé pour accéder à un domaine qui leur a longtemps été fermé. Elles adoptent des discours et des stratégies sur le plan individuel et collectif afin de se maintenir dans la sphère publique, tout en revendiquant leur adhésion à l’ordre social où elles demeurent la figure centrale de la vie familiale.
Elles justifient désormais leur présence dans ce secteur par leur connaissance et leur maîtrise des textes religieux. Elles oscillent entre promotion de la femme et respect de l’ordre social établi. La plupart ne s’inscrivent donc pas dans la perspective de redéfinir les rôles et les attentes, ni de contourner les restrictions que la société leur impose ou d’aller à l’encontre des résistances culturelles.
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La transmission des savoirs pour guider et orienter
Elles sont de plus en plus nombreuses à enseigner dans les établissements confessionnels et à pratiquer la prédication (da’wa) dans les espaces publics tels que les médias (TV, radio, réseaux sociaux), à l’occasion de conférences religieuses ou d’événements privés, ou encore dans les établissements scolaires et pénitentiaires. Elles écoutent et accompagnent également les femmes afin de leur permettre d’exprimer leurs préoccupations. Puisque les discours extrémistes séduisent autant les femmes que les hommes, elles sont également sollicitées pour lutter contre la radicalisation tant des femmes que des jeunes. Cela met en exergue l’action et le rôle crucial des femmes en faveur de la paix et de la sécurité.
Les ‘alimates et mourchidates du Maroc comptent parmi les pionnières. Leur formation inclut entre autres les études islamiques, la psychologie, la sociologie, le droit musulman. Encouragées par le roi Mohammed VI, Amir al Mouminine (Commandeur des Croyants), elles contribuent à la réorganisation de la sphère religieuse et à conforter l’adhésion aux rites de l’islam malékite. La direction des prières demeure cependant l’apanage des hommes.
Cette appropriation du religieux et la visibilité des femmes en ce domaine est une tendance présente dans de nombreux pays musulmans.
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Une légitimité constamment remise en question
Appropriation des savoirs religieux, expression d’un rôle social, transmission de valeurs ou quête de visibilité dans la sphère publique sont autant de raisons qui motivent leurs engagements dans un domaine monopolisé jusqu’alors par les hommes et où leur légitimité est constamment remise en question.
Cette visibilité grandissante des femmes prédicatrices illustre les mutations en cours dans les sociétés musulmanes en général, fait d’autant plus important que l’islam est souvent représenté comme liberticide pour les femmes.
Détentrices de savoirs religieux (malgré les obstacles), parfois militantes, elles se veulent gardiennes de la foi.
Les femmes imams œuvrent à la promotion et à la diffusion d’un islam ouvert et tolérant.
En Europe et aux Etats-Unis, des théologiennes musulmanes veulent aller plus loin et prônent le lancement de mosquées inclusives et la possibilité de prêcher pour une audience mixte. Le sujet est complexe et controversé et le concept peine à être accepté parmi les fidèles.
Il est néanmoins manifeste que le rôle des femmes dans le domaine religieux est voué à perdurer et à croître.
[1] http://www.asma-lamrabet.com/articles/l-imamat-des-femmes-en-islam/