Depuis plus de deux années, prenant son mal en patience, le citoyen tunisien a fini par s’adapter à cette nouvelle donne devenue structurelle, recourant à des méthodes souvent détournées pour s’approvisionner soit en produits alimentaires essentiels, soit en médicaments classés parfois vitaux.
Ce qui est inquiétant, c’est que la situation a tendance à perdurer et à gagner en complexité. La liste des produits qui manquent aux étalages ne fait que s’allonger au fil du temps. Le lait, le riz, la semoule, le pain, le café, le sucre, le thé… sont soient introuvables, soit vendus en quantité limitée ou tout simplement en cachette.
Loin d’un discours officiel qui impute la désorganisation qui affecte sérieusement les circuits de distribution à la spéculation, spécialistes experts économiques conviennent que ces pénuries à répétition cachent mal des problèmes profonds en relation avec la situation économique difficile que connait le pays et surtout, avec la crise aiguë des finances publiques.
La limitation drastique des importations est la preuve tangible de l’embarras dans lequel se trouvent plongées les autorités qui omettent de dire la vérité et qui éprouvent toutes les peines du monde pour importer les produits essentiels en quantités suffisantes. Les fournisseurs exigent d’être payés rubis sur l’ongle, avant même le déchargement des navires. La raison est simple: la Tunisie est classée comme un pays à risque et peut à tout moment se trouver dans une situation de défaut de paiement.
Il faut reconnaitre que ce ne sont pas seulement les produits alimentaires de base qui manquent à l’étalage. De plus en plus de voix s’élèvent pour déplorer le manque de médicaments parfois vitaux dans les officines. Ce phénomène est loin d’être isolé mais perçu de plus en plus comme une menace au droit à la santé et aux soins. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de manque des médicaments vitaux.
Naoufel Amira, président du Syndicat des propriétaires de pharmacies privées parle de l’absence d’au moins 70 médicaments vitaux qui n’ont pas d’équivalents fabriqués localement. Cette situation trouve son explication dans les grandes difficultés que confronte actuellement la Pharmacie centrale de Tunisie qui cumule des dettes auprès des laboratoires pharmaceutiques estimées à 750 millions de dinars (1 euro égal 3,4 dinars).
Récemment la Banque Mondiale a lancé le signal d’alarme. Son dernier bulletin de conjoncture économique pour la Tunisie a imputé les pénuries de produits de base, à la conjugaison de facteurs, notamment les subventions excessives, la baisse de la production agricole et l’endettement croissant des entreprises publiques responsables de l’importation et de la distribution de ces produits.
A ce sujet, la dette de l’Office tunisien des Céréales, qui détient le monopole de l’importation et de la distribution du blé, donne le tournis. Elle, a presque quadruplé depuis 2019 pour atteindre 5 milliards de dinars en juin 2023.
Dans ces conditions peut-on s’attendre à une éclaircie de sitôt ? Peu probable affirment certains observateurs avertis qui soutiennent que la solution de ce problème structurel est tributaire de la résolution, il est vrai improbable, de la crise des finances publiques.
La Tunisie demeure en effet, depuis plus de deux ans, suspendue à un accord avec le Fonds Monétaire International pour sortir de ce véritable bourbier. Cette hypothèse est au fil du temps irréalisable, au regard du refus exprimé par les autorités du coût socialement élevé des réformes exigées, le pays se contente de simples expédients.
Au moment où les Tunisiens s’attendent à des mesures concrètes propres à assurer un approvisionnement régulier du marché en produits alimentaires de base, le ministère du Commerce et du Développement des exportations a cru bon recourir au gel des prix de plusieurs produits non administrés comme les conserves alimentaires, les biscuits, les pâtisseries, les boissons gazeuses et les jus, les produits dérivés du lait, détergents et produits d’hygiène et matériaux de construction.
Pour ce département, ces décisions s’inscrivent dans le cadre d’une série de mesures prises pour soutenir le pouvoir d’achat des citoyens et réduire les prix. Le tout est de savoir si ces mesures seraient suffisantes pour mettre un terme à la spirale des pénuries et de l’inflation qui ne font que s’autoalimenter.