Mama Assia a fait ce qu’elle aimait, là haut, elle est en paix intérieure.
Dans la nuit du jeudi 1 au vendredi 2 novembre 2012, Assia El Ouadie s’est éteinte. Je l’ai vu pour la dernière fois le 29 septembre à Paris. Assia avait quitté la clinique des Peupliers dans le 13ème arrondissement, où elle a été hospitalisée et s’apprêtait à rentrer au pays.
La mort, un « come back home », un retour à la maison. Nous nous ne rendons pas compte, c’est comme un clin d’œil. Comme ce phénomène est très fin et salutaire. Assia a fait ce qu’elle aimait, là haut, elle est en paix intérieure.
Elle disait les larmes aux yeux: « Ah si le Bon Dieu me donnait encore la possibilité de vivre un an ou deux, juste pour pouvoir servir encore mes enfants. Je n’ai pas encore terminé le job»
Ses enfants, ceux du monde carcéral aimaient la prénommer «Mama Assia ».
Sa personnalité est unique, marquée à la fois par une générosité extrême envers les plus faibles, les exclus, les marginaux, les victimes de violences et une sagesse rare face aux puissants.
Militante pour les droits humains et les droits des femmes victimes de violence, elle a embrassé des causes justes. D’abord celle des enfants mineurs en détention lorsqu’elle a été juge dans les années 70, ensuite en tant qu’avocate en soutenant les détenus et disparus politiques et leurs familles. Puis en mettant toute son énergie pour la création de l’Observatoire des prisons. Plus tard, elle revient à la magistrature et consacre le reste de sa vie à la cause des mineurs et des femmes en détention.
En une décennie, Assia a su mettre en lumière le monde carcéral. Cette institution qui fait peur, dérange, qui n’intéresse pas grand monde.
Mama Assia a levé le voile sur ce qui touche l’humain dans un contexte de misère, de délinquance, de psychopathologie et qui provoque des réactions de rejet dans la société.
Un bout de femme, qui se révolte, tente de mettre en forme ce qui émotionnellement devient insupportable. Assia a soulevé des montagnes, a su procuré de l’espérance. En imaginant, puis en créant les leviers d’un sursaut collectif autour de sa cause, elle attira l’attention et l’affection des gens d’en bas jusqu’au sommet de l’Etat.
Face à la machine judiciaire et l’univers carcéral, Mama Assia, la mère Theresa marocaine a bâti son œuvre sur l’amour, l’altruisme, la détermination et la compassion. Elle trouva dans le soutien du Roi Mohammed VI un grand bol d’air. Une fondation a été crée « la Fondation Mohamed VI pour la réinsertion des jeunes délinquants » pour mobiliser les compétences et apporter les fonds en vue de mettre un place une nouvelle approche pour les prisons.
Le cœur de Mama Assia battait jour et nuit pour affronter ce malaise qui l’habitait : la prison est une humiliation, un espace où règnent l’enfermement, la marginalité, l’arbitraire et l’exclusion.
La situation des mineurs, des femmes, la hantise du personnel pénitentiaire, elle s’interrogea : « que faire pour construire une prison humaine avec un encadrement digne, sans sous-détenus et sous hommes ? »
Sortir de l’anonymat la prison, mettre un nom sur la souffrance humaine, rendre visible les maux de l’univers carcéral, proposer des actions, une nouvelle approche qui met en avant l’insertion des jeunes mineurs et leur milieu social. C’était le programme de Mama Assia.
Un défi lancé face à une société toute entière. Assia a su par son intelligence, son combat, son acharnement bouleverser l’establishment. Un constat s’impose, elle a fait bouger les lignes !
On la respectait parce que c’était une femme courage. On la craignait parce qu’elle avait les mains propres. Jamais dans l’Histoire moderne du pays, une disparition n’a affecté autant de monde.
A son enterrement, Il y avait tout le Maroc, officiels, politiques, acteurs de la société civile, militants des droits humains, acteurs économiques, familles des générations des anciens détenus politiques, des anciens détenus mineurs. Ceux d’en haut et ceux d’en bas.
A son enterrement, Les Conseillers du Cabinet Royal aux côtés des anciens jeunes détenus mineurs de la prison d’Oukacha.
Le pays a perdu une grande âme, dont le but premier était de venir en aide à ceux dont personne ne s’occupe.
Mama Assia restera cette éternelle combattante de la misère humaine, de l’injustice et l’indifférence. L’amour qu’elle a donné aux enfants et jeunes détenus mineurs pour qu’ils se reconstruisent doit lui survivre et c’est à ses compagnons et amis de prendre la relève !