Visite du Roi du Maroc à Tunis, un enjeu stratégique
Le roi Mohammed VI effectue, du 30 mai au 1er juin, une visite en Tunisie, à l’invitation du président tunisien Moncef Marzouki. Marquée un discours du souverain marocain devant l’Assemblée nationale constituante et la signature, sous le présidence des deux chefs d’Etat, de nombreux accords bilatéraux intéressant les secteurs public et privé, cette troisième visite du Roi du Maroc en Tunisie depuis son intronisation se déroule dans le contexte particulier des efforts déployés par les Tunisiens pour mettre fin au chaos et aux tensions qui ont suivi les événements révolutionnaires de janvier 2011, avec la chute du président Ben Ali le 14 janvier 2011.
Par Charles Saint-Prot*
Les constitutions adoptées au Maroc, dès 2011, et en Tunisie en 2014, témoignent de la volonté de consolider un Etat de droit garant des libertés fondamentales. A bien des égards, ces constitutions ouvrent une nouvelle étape dans l’émergence d’un constitutionnalisme arabe renouvelé. En effet, il faut noter ici le retour à la centralité du droit constitutionnel dans le processus d’évolution des pays arabes, ou de transition pour certains d’entre eux. Cette centralité a été ré-initiée en 2011 par le Maroc qui a fait du parachèvement de l’Etat de droit l’un des piliers de son développement. La Tunisie en reconstruction pourrait trouver dans l’exception marocaine quelques utiles sources d’inspiration ou de réflexion.
Une approche commune entre les deux pays permet d’envisager une coopération stratégique qui s’appuiera à la fois sur des relations historiques et sur une vision commune de l’avenir. Les relations maroco-tunisiennes sont en effet anciennes. Après la fin du protectorat français en 1955 pour le Maroc et en 1956 pour la Tunisie, les rapports bilatéraux ont connu un nouvel essor grâce aux efforts de deux figures historiques, le Roi Mohammed V et le président Bourguiba qui signèrent, le 30 mars 1957, un premier accord de fraternité et de solidarité, renforcé par la suite par de nombreuses initiatives dont, en 1980, la Grande Commission mixte de coopération bilatérale fixant les mécanismes régissant la coopération maroco-tunisienne.
Aujourd’hui les deux pays sont bien déterminés à donner une forte impulsion à leurs relations de coopération bilatérale, notamment sur le plan de l’économie et des échanges commerciaux qui restent en-deçà des potentialités. Sur ce point la vision du développement de la coopération sud-sud, chère au Roi Mohammed VI, en particulier entre pays maghrébins et africains, pourrait être le socle d’un mouvement nouveau. Si les dirigeants de Tunis et de Rabat sont également attachés à l’indispensable intégration maghrébine, ils sont conscients des facteurs de blocage dûs au soutien de l’Algérie au séparatisme au Sahara marocain. Dans ces conditions, il s’agit de contourner l’obstacle en vue de parvenir à un partenariat stratégique tourné vers l’espace africain : la Libye et l’Égypte, plus près de la Tunisie, l’Afrique subsaharienne où le Maroc est déjà bien implanté. Dans cette perspective ambitieuse, le dynamisme bien connu des hommes d’affaires tunisiens et marocains devrait constituer un atout de taille pour venir en renfort d’un incontestable volontarisme politique.
Sur le plan politique et sécuritaire, la convergence des vues entre le Maroc et la Tunisie sur la plupart des problèmes concernant l’espace maghrébin, l’Afrique et la région de la Méditerranée, traduit une même approche empreinte de sagesse, de modération et d’ouverture. En outre, confrontée à l’agitation de pêcheurs en eau trouble et proche des foyers de tension libyen et sud-algérien, la Tunisie, a tout intérêt à bénéficier de l’expérience du Maroc en matière sécuritaire et de lutte contre toutes les formes d’intégrisme et d’extrémisme. Les autorités de Tunis devraient pouvoir tirer profit de l’expérience marocaine dans le domaine de la gestion de l’islam du juste milieu, pour la promotion des valeurs de la modération et la promotion des principes de la religion musulmane tolérante.
A tous égards, la coopération entre Tunis et Rabat revêt donc une dimension stratégique de première importance. C’est à la fois une ardente obligation pour renforcer les synergies sud-sud, un outil essentiel pour construire les futurs grands axes d’intégration régionale et un facteur indispensable de la stabilité et la sécurité au sud de la Méditerranée.
*Directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques