Un peu de vérité dans le débat sur l’islam français

Décidément, l’islam fait peur. Entre apéro géant, polygamie, voile intégral, débat sur l’identité nationale, il ne se passe pas une semaine sans que le sujet de l’islam ne trouve sa place en haut de l’agenda médiatique. Avec un message commun : l’islam n’est pas compatible avec la France.

Le problème pour les tenants de cette thèse – et ils sont multiples, car les préjugés sont multiples, fondés tous sur la peur, peur de l’autre, peur de soi-même et de la perte de son identité avec, au bout du chemin, rejet de l’autre et haine – est que l’islam est devenu, qu’on le veuille ou non, une religion française et une partie de la culture nationale. Qu’il faille être vigilant sur ses dérives – qui existent et qui sont trop nombreuses, mais ce ne sont que des dérives –, c’est une évidence et c’est d’autant plus important que l’islam fait partie de notre culture, la culture française. Qu’il faille refuser ceux qui, au nom de l’islam, tentent de promouvoir des valeurs incompatibles avec les valeurs de la République, c’est une autre évidence. Qu’il faille enfin refuser, encore et toujours, les amalgames, les raccourcis indignes, les confusions qui n’ont d’autres objectifs que d’entretenir les préjugés ou tout simplement de dire la haine, c’est une troisième évidence.

Un récent article du journal Le Monde a retenu mon attention : il est signé Caroline Fourest, éditorialiste bien connue qui se présente comme ennemie de l’extrémisme. Commencé de façon consensuelle par une condamnation de l’agitation de l’extrême droite ces derniers jours à la Goutte d’Or, le papier explique que le "populisme marque des points là où des élus cèdent au communautarisme et à l’intégrisme". Et de prendre l’exemple de la "mosquée qui annexe la rue Myrha" qui a été dirigée par un des fondateurs du Front islamique du salut (FIS) qui fut ensuite assassiné et devant laquelle on prie en plein air sans que "Daniel Vaillant n’y voit rien à dire", pas plus que la préfecture de police. "Et la situation dure depuis dix-sept ans". Un peu avant, elle avait cité l’exemple du prosélytisme du FIS qui "marquait son territoire avec la prière dans la rue".

Les raccourcis sont formidables, au sens propre du mot : ils font peur. Le lecteur peu informé comprend que si les musulmans prient dans la rue à la Goutte d’Or, c’est parce qu’ils veulent marquer leur territoire, dans une logique de prosélytisme exacerbé si violent qu’il peut conduire à l’assassinat de l’un des leurs qui aurait voulu composer avec le pouvoir.

En précisant que la prière dans la rue est due au manque de lieu de culte dans le nord-parisien (la mosquée de la rue de Tanger dans le XIXe a été récemment détruite et n’a pas été encore reconstruite, en dépit du permis de construire accordé par la Mairie), continuons la lecture de l’article : la préfecture de police n’interdirait pas la prière dans la rue "le temps que la Mairie de Paris inaugure un Institut des cultures d’Islam : 4 000 mètres carrés. But non avoué ? Offrir une immense salle de prière."

En tant que président de l’Institut des cultures d’islam, je dois au lecteur quelques explications devant un mensonge qui ferait sourire s’il n’était écrit par quelqu’un qui écrit chaque semaine dans un quotidien sérieux. Bertrand Delanoë et Daniel Vaillant, avec le soutien unanime de tous les élus du Conseil de Paris, ont créé il y a quatre ans maintenant – dans une phase de préfiguration – et depuis quelques mois, sous la forme d’une association dont j’assure la présidence, l’Institut des cultures d’islam (ICI). C’est un établissement culturel dont l’objectif est multiple : montrer les islams d’Europe et la façon dont cette religion s’inscrit dans l’espace européen, dans la douleur parfois, dans la paix souvent ; faire partager la culture de l’islam, sa poésie, ses chanteurs, ses écrivains et montrer l’effervescence créatrice ; comprendre aussi la crise que connaissent les pays d’islam, qui souffrent pour certains de la menace intégriste, du conformisme agressif mais qui sont surtout le théâtre d’une transformation sociale d’une rapidité inédite qui bouleverse les codes sociaux et permet à certains d’utiliser l’islam pour refuser cette modernité-là.

Mais, il y aura aussi un établissement cultuel : parce qu’il faut régler le problème de la prière dans la rue, le maire de Paris et le maire du XVIIIe ont décidé de vendre un peu moins d’un quart de l’espace qui va être construit à une association cultuelle, l’Association des musulmans de l’ouverture. Et cette vente se fera sous forme de bail en état futur d’achèvement, ce qui signifie que l’acheteur devra avoir prouvé sa capacité à acheter avant le début des travaux.

"POPULISME ANTIMUSULMAN"

"4 000 m2 de salle de prière" ? Non, quatre fois moins. "Offrir une salle de prière" ? Non, vendre un espace qui sera intégré à un espace plus large qui a vocation à devenir le lieu de référence des travaux et des réflexions sur l’islam à Paris et en France.

"La gauche hurle pourtant lorsque la mairie de Bordeaux installe un groupe intégriste dans une église désaffectée (…) Il existe déjà soixante-quinze mosquées à Paris, dont certaines sont loin d’être bondées. La Mosquée de Paris s’est dite prête à accueillir les fidèles de la rue Myrha. Mais, allez savoir pourquoi, ses fidèles préfèrent prier en plein air à la Goutte-d’Or… bien qu’ils ne soient pas tous du quartier." Tant de mélange et de simplification sidèrent : l’association des musulmans de l’ouverture n’est pas une association intégriste, c’est une association de musulmans, à moins bien sûr de considérer que tous les musulmans sont des intégristes.

Quant aux soixante-quinze mosquées évoquées, le ministère de l’intérieur dénombre à Paris deux mosquées (la Mosquée de Paris et la mosquée de la rue de Tanger, actuellement en travaux pour l’heure et remplacée par un chapiteau porte de la Villette) et quarante-quatre salles de prières (vingt-quatre foyers de travailleurs de 20 à 70 m2 ; neuf en appartement ou anciens commerces reconvertis ; neuf ensembles immobiliers plus ou moins autonomes d’une surface d’au moins 200 m2, tous ces lieux étant bondés le vendredi).

Enfin, il a dû échapper à Madame Fourest que la Goutte d’Or et le Ve arrondissement n’étaient ni exactement dans le même quartier ni qu’ils étaient fréquentés par les mêmes populations (il n’y a pas au Quartier latin l’équivalent du marché Dejean où l’on trouve beaucoup de produits venus d’Afrique subsaharienne !).

"Que fera la mairie lorsque des prêches douteux résonneront dans ces murs ?" Mais, pourquoi ce ton si assuré ? Pourquoi considérer à priori que des prêches douteux seront prononcés ? Sur le fondement de quelle information ? Pourquoi ce soupçon général contre une composante de la population française ? Madame Fourest s’inquiète pour finir sans rire du "populisme antimusulman" : qu’elle évite d’abord de le susciter !

Hakim El Karoui, banquier d’affaires et président de l’Institut des cultures d’islam

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