Tête de turc: Droit de cité

Dans Tête de turc, Pascal Elbé décrypte les complexités de la vie en banlieue dans la France de 2010 et aborde les situations avec beaucoup de sensibilité mais sans angélisme. Visiblement, son cinéma croit en l’homme, même si la lucidité se révèle plus dérangeante qu’un édifiant conte de fées.

Tête de turc: Droit de cité
En 2006, Mama Galledou, étudiante sénégalaise, a été brûlée vive à Marseille dans un bus incendié par huit mineurs qui, traduits en justice, ne manifestèrent guère plus de remords qu’ils n’expliquèrent les motifs de leur acte. "Je ne voulais pas passer pour une dinde auprès des autres", a dit l’un d’eux.
C’est ce fait divers qui a inspiré le polar social de Pascal Elbé.

Sur le toit d’un immeuble de banlieue, Bora, un ado de 14 ans, caillasse la voiture d’un médecin urgentiste située devant l’entrée et, poussé à la surenchère par la fièvre collective, lance un cocktail Molotov du haut de son immeuble. Se rendant compte de son erreur, il va sauver la vie de l’homme effondré à son volant. Puis, tout va se mêler: une bande qui veut continuer son business en toute tranquillité, un policier qui veut venger son frère, une mère qui mise sur l’héroïsme de son fils pour s’en sortir.

Puis lorsque Bora est érigé en modèle de civisme par une politicienne locale, il est invité à venir recevoir une médaille alors que la police traque le coupable de l’incendie dans la cité. Enfin lorsqu’à ses affres d’usurpateur s’ajoutent les pressions de ses potes qui, voyant la situation se détériorer et des camarades incarcérés, l’adjurent de se dénoncer.

Comme son compère Roschdy Zem (auteur de Mauvaise foi, comédie sentimentale où un arabe et une juive désireux de se marier se heurtent aux replis communautaires), Pascal Elbé est de ces acteurs attachants et ambitieux que le cinéma français cantonne aux films ciblant une clientèle potentielle (comédies, films de gangsters), et qui passent à la mise en scène pour hausser le débat, aborder des sujets de société, affronter des questions morales. Il est l’auteur de nombreux scénarios, c’est sur ce terrain-là que Tête de Turc tire sa force, plus que dans la mise en images.

Film choral, Tête de Turc cherche à englober le moral, le social, le politique dans une même intrigue qui décrypterait les complexités de la vie en banlieue dans la France de 2010. Fasciné par les films du mexicain Inarritu dans lesquels se croisent plusieurs histoires apparemment distinctes mais inextricablement liées, il dépeint par exemple la souffrance d’un homme dont l’épouse est décédée faute d’avoir vu arriver à temps le médecin, appelé en urgence… mais inanimé dans sa Golf. Habité par une pulsion de vengeance, ce personnage pousse le final du film vers le thriller.

Un rien symptomatique d’une frénésie de gavage fictionnel au détriment de la profondeur ontologique, cette richesse lui permet en même temps de mener de front une description des modes de comportements en zones défavorisées (haine de tout ce qui symbolise l’Etat, omerta générale par solidarité ou crainte de représailles, chantages) et le rôle des cellules familiales.

Un flic d’origine arménienne (Roschdy Zem) va faire de son enquête un enjeu personnel, d’autant plus déterminé à protéger son frère (le médecin) qu’un drame personnel le ronge de culpabilité. L’ado en proie aux tourments de l’imposture est sommé par sa mère de cacher son forfait initial car exilée de Turquie et travaillant douze heures par jour pour élever seule ses enfants, elle compte obtenir des papiers pour pouvoir rester en France.

Autant de cas individuels complexes qui expliquent les choix des uns et des autres (le fameux "chacun a ses raisons" de Jean Renoir). La difficulté, pour un gamin comme Bora, à garder la tête haute dans un environnement peu propice aux intégrations, est illustrée par cette obligation qui lui est faite d’accomplir non pas une, mais trois rédemptions.

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