Décidément, la relation entre Paris et Alger aura toujours un caractère aussi spécifique qu’imprévisible. Même quand l’agenda d’une visite d’Etat est inscrit dans le marbre institutionnel, les deux pays ne sont pas à l’abri d’un annulation de dernière minute. Les humeurs et les divergences dominent.
C’est ce qui vient justement d’arriver entre Abdelmajid Tebboune et Emmanuel Macron. Les deux hommes n’ont économisé aucun effort pour tenter de mettre en scène une relation magnifiée entre les deux pays. Une importante visite de Macron en Algérie, suivie de la visite de la moitié du gouvernement dirigé par Elisabeth Borne, puis est venue une spectaculaire et inédite visite du chef de l’état-major de l’armée algérienne Saïd Chengriha à Paris.
Emmanuel Macron avait fait du tropisme algérien un signe distinctif de ses deux mandats. Il ambitionne ouvertement d’être le premier président français à réaliser des évolutions inédites sur le terrain de la réconciliation mémorielle. Pour atteindre cet objet, il s’est dit prêt à accepter les caprices d’un régime pourtant contesté et peu fréquentable.
L’organisation de cette fameuse visite d’Etat de Abdelmajid Tebboune, initialement programmée les 2 et 3 mai, faisait partie de cette panoplie de séduction mise en œuvre par Paris pour adoucir le régime algérien. Tout allait comme sur des roulettes diplomatiques quand arrive l’accident : l’annulation pure et simple de cette visite d’Etat du président algérien en France.
En l’absence d’une explication officielle de cette annulation ou report au mois de juin, les analyses partent en conjoncture. Entre ceux qui affirment que l’annulation est venue de l’armée algérienne et de son patron dont les relations se sont gravement tendues avec le président Tebboune et ceux qui avancent des divergences sur les conditions de sécurité de cette visite et l’interdiction de manifestations des opposants algériens à Paris. D’autres, pour alléger l’ampleur du choc, évoquent une affaire d’agenda coincée entre le premier mai et une opinion publique française qui continue de gronder.
Toutes les hypothèses sont évoquées pour expliquer ce grave saut en arrière dans la lune de miel entre Paris et Alger. Du vrai semblable à l’improbable.
Mais l’hypothèse la plus rationnelle et la plus proche de la réalité serait liée à des divergences politiques entre français et algériens sur ce qu’il est communément appelé des crises régionales. Il n’est pas du tout exclu que le régime algérien ait formulé, dans la phase préparatoire de cette visite où se préparent et se concoctent le résultat et le communiqué final, des demandes impossibles à satisfaire pour la diplomatie française. Et quand on rappelle que pour le régime militaire algérien le seul dossier qui l’obsède et mobilise tous ses moyens est celui du Sahara marocain, il n’est pas exclu que cette visite d’Etat du président Tebboune ait buté sur cette crise et les concessions qu’Alger demande à Paris et que la diplomatie française ne peut satisfaire.
Il est de notoriété publique que la stratégie algérienne focalise son activité sur l’affaire du Sahara et que le régime ne rate aucune occasion de pratiquer du chantage à l’égard de ses partenaires pour la faire évoluer dans le sens de ses intérêts. Et toute la question qui se pose aujourd’hui : Ce que ce régime algérien a échoué à réaliser avec l’Espagne dans son bras de fer a-t-il tenté de le rejouer avec la France à la veille d’une importante visite d’Etat ?
Cette nouvelle donne dans les relations entre l’Algérie et la France va donner lieu à un nouveau psychodrame et va ajouter une nouvelle séquence au chapelet de crises qui caractérise ces relations.
Quelles leçons politiques le président Emmanuel Macron, qui semble avoir hypothéqué l’ensemble de ses relations avec les pays du Maghreb par le biais d’une inexplicable empathie algérienne, a-t-il tirer de cette nouvelle crise ? Une seule évidence politique : le régime algérien est à la responsabilité politique et à la parole d’un Etat crédible ce que le générique est au vrai médicament. Une gestion des affaires par les caprices et les humeurs sans aucun sens de l’Etat, sans aucune vision à long terme et qui, à force de girouettes, met dans l’embarras tous ses alliés et son environnement.
Emmanuel Macron va devoir, contre son plein gré, réviser sa vision et ses relations avec les pays du Maghreb pour parier sur les véritables remparts au lieu de continuer à miser sur les moulins à vents.