Remaniement : emportés par la révolte arabe (Libération)
Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux ont été remplacés hier, aux Affaires étrangères et à l’Intérieur, par Alain Juppé et Claude Guéant.
Avec le fidèle Claude Guéant, nouveau ministre de l’Intérieur, le président de la République prétend avoir installé au sommet de l’Etat un trio «d’hommes d’expérience» prêts à affronter les conséquences imprévisibles de «l’immense bouleversement» en cours «de l’autre côté de la Méditerranée». Hier soir, dans une brève et solennelle allocution télévisée – au caractère inhabituellement présidentiel -, Sarkozy a présenté la réorganisation des ministères régaliens comme une réponse aux «révolutions arabes». Si l’objectif est d’«accompagner et soutenir les peuples qui ont choisi d’être libres», le gouvernement doit aussi «protéger le présent des Français», a ajouté le chef de l’Etat évoquant le scénario noir de «flux migratoires devenus incontrôlables». S’exprimant sur cette «réorganisation», il n’a pas jugé utile d’expliquer pourquoi les deux ministres remerciés – Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux – n’étaient plus en mesure de satisfaire à l’exigence «d’efficacité» qui préside aux choix présidentiels.
Encombrant. Le nouveau patron du Quai d’Orsay a donc pour mission de redonner au pays une politique étrangère digne de ce nom. Contrairement à ses prédécesseurs, il sera seul maître à bord puisque sa nomination est associée au départ de Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée et patron officieux de la diplomatie française depuis le début du quinquennat. Nommé à l’Intérieur, Guéant remplace l’encombrant Brice Hortefeux, condamné en première instance et jugé en appel le 9 juin prochain dans l’affaire de sa blague douteuse sur les Maghrébins («Un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes»).
Dans la majorité, l’importance de l’événement n’échappe à personne. L’ancien Premier ministre de Jacques Chirac ne se contente pas de prendre les commandes du Quai d’Orsay : il redevient aussi, à quatorze mois de l’élection présidentielle, l’homme fort de l’UMP, le seul qui soit éventuellement capable d’empêcher la défaite en 2012. Déjà désigné comme le nouveau «vice-président», il menace de faire beaucoup d’ombre à François Fillon, le très éphémère «hyper Premier ministre» plébiscité l’automne dernier par les parlementaires de l’UMP. Ironie de l’histoire, ce sacre de l’hypothétique sauveur de la droite intervient une semaine avant l’ouverture du procès de Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, celle-là même qui fut à l’origine de la condamnation d’Alain Juppé puis de sa longue traversée du désert.
Au plus fort de la polémique sur le voyage d’affaire de la famille Alliot-Marie en Tunisie, Nicolas Sarkozy laissait encore entendre qu’il ne toucherait pas au «gouvernement de professionnels» qu’il avait péniblement composé le 14 novembre, après six mois de tergiversations. Le 16 février, en Conseil des ministres, le président fait passer à MAM un petit message d’encouragement : «Tiens bon !» Quelques jours plus tard, des sondages calamiteux entraînent un changement radical de stratégie.
Tiré vers le bas par MAM, le couple exécutif a atteint la semaine dernière des niveaux d’impopularité record. Sarkozy n’a plus le choix. Il faut en finir. Le lundi 22 février, Jean-Pierre Raffarin soutient que le chef de l’Etat ne pourra pas faire l’économie d’un remaniement après les cantonales de mars. Sarkozy appelle l’ex-Premier ministre à deux reprises. Pourquoi attendre une nouvelle déroute électorale ? Ne vaut-il pas mieux régler d’un coup les problèmes MAM et Hortefeux en mettant en avant les réponses urgentes qu’appellent les bouleversements dans le monde arabe ? Dès mercredi, la décision est prise. Et c’est une Alliot-Marie condamnée qui s’envole vendredi matin pour assister aux commémorations du 20e anniversaire de la libération du Koweït. Pressée de questions, elle refuse d’envisager sa démission. «Moi, je travaille !» proteste-t-elle en se prévalant du soutien du chef de l’Etat. «C’est terriblement cruel. On l’envoie au Koweït où elle s’agite comme un canard sans tête», s’émeut une source ministérielle. Car au même moment, dans l’avion qui l’emmène à Ankara, Nicolas Sarkozy peaufine avec Bruno Le Maire et Gérard Longuet le scénario de l’après-MAM.
«Cher Nicolas». Dès samedi, le dénouement est quasiment public. Deux ministres «importants» annoncent à l’AFP le départ d’Alliot-Marie «dimanche ou lundi». Ce sera dimanche. Dans sa lettre de démission, MAM donne du «cher Nicolas» au Président, à qui elle transmet sa «fidèle amitié». L’éphémère patronne du Quai d’Orsay dénonce une «cabale» contre sa famille. Elle se dit victime d’un «véritable harcèlement» dans sa «vie privée» et constate que certains «utilisent cette cabale pour essayer de faire croire à un affaiblissement de la politique internationale de la France». «Bien qu’ayant le sentiment de n’avoir commis aucun manquement», la gaulliste assure qu’elle a «une trop haute idée de la politique pour accepter d’être utilisée comme prétexte à une telle opération». Une façon républicaine d’assumer une démission imposée.
Comme pour souligner la gravité de sa décision, dans un contexte international lourd d’incertitudes et de menaces, Sarkozy a dévoilé lui-même les nominations ministérielles, tâche habituellement réservée à son secrétaire général. Comme si la promotion du «vice-président» Juppé ne pouvait être banalement annoncée sur le perron de l’Elysée. Hier, le chef de l’Etat aura peut-être eu une pensée nostalgique pour ce jour de juin 2005 où, sans attendre la confirmation officielle de sa nomination, il avait lui-même repris son costume de ministre de l’Intérieur, au lendemain du «non» au référendum sur le Traité européen. Comme Chirac à l’époque, Sarkozy fait l’expérience d’un remaniement imposé. En mars 2011 comme en juin 2005, le chef a perdu la main.