La probable réélection du sortant pour un quatrième mandat, aujourd’hui, fait craindre un retour en arrière et des représailles envers les
Comment interpréter les signes de nervosité de la population algérienne, qui semble déjà anticiper l’après-présidentielle ? Ces dernières quarante-huit heures, sur les réseaux sociaux, les témoignages évoquaient «les ruées dans les magasins d’alimentation», notamment à Alger et sa périphérie : stocks de sucre, de café, queues interminables dans les stations-service et retraits de liquide dans les banques. Difficile de prévoir les conséquences de «l’après 17», alors que l’on donne le président-candidat, affaibli par un AVC, reconduit à la présidence dans «une campagne par procuration» menée par ses proches, notamment son ancien Premier ministre. «Le pouvoir continuera de se regarder dans le miroir piqué de sa propre mémoire. Et alors que verra le peuple dans ce reflet ? Encore et toujours ce même visage hideux et déformé», soupire Amira Bouraoui, 38 ans, médecin, fille de médecin militaire et l’une des porte-parole du mouvement d’activistes Barakat («ça suffit»). Dans El Watan, il y a deux jours, un édito qui tombe comme le pli du pantalon : «Jamais depuis l’indépendance une élection n’a suscité autant de peur chez les Algériens, y compris celle de 1991 qui vit le FIS [le Front islamique du salut]tenter d’investir le Parlement par la ruse et la force. A cette époque, le pouvoir n’était pas du côté des destructeurs, mais cette fois-ci, il l’est et c’est cela qui inquiète lourdement.» En poste depuis quinze ans, le président remportera-t-il un nouveau mandat dès le premier tour ? Ou, pour la première fois, y aura-t-il un second tour ? «La stabilité pour assurer la souveraineté», clame le pouvoir. Mais le disque est rayé.
«Galaxie». Une certaine jeunesse dit qu’il faut mettre Bouteflika au grenier de l’histoire. «Bien malin qui pourra dire ce qui va se passer dans les jours qui viennent. Les journaux peuvent bien extrapoler, mais ce qui reste, c’est que le changement générationnel ne se fera pas, encore une fois», explique le chercheur en sciences sociales Hassan Remaoun. Et de poursuivre : «Bouteflika continuera de jouer avec son premier cercle alors qu’on voit que ce qui se passe à Ghardaïa [où les populations berbère et arabe s’opposent dans des heurts meurtriers depuis fin décembre, ndlr] passe momentanément au second plan. Ghardaïa, c’est la représentation de la fragmentation d’un idéal communautaire.» Le chercheur en est convaincu : «Le pouvoir a joué sur ces peurs en agitant l’idée de sécession.»
Pour le challenger Ali Benflis «ne pas être au second tour» serait le signal «avéré d’une fraude». La presse algérienne l’évoque : la triche électorale à grande échelle est en passe de devenir une véritable science. «Nul n’est dupe : le 17 avril, ce sera elle qui fera gagner Bouteflika», écrit El Watan. Ali Benflis disait à Libération que si le président-candidat était «reconduit», «cela signifierait que l’Algérie marche encore une fois à côté de l’histoire et alors, je vous le dis, tout est possible… Continuer ainsi, c’est refuser la modernité, le vent de l’histoire et tourner le dos définitivement à sa propre jeunesse». Pour certains observateurs, «la galaxie Bouteflika», gagnante ou défaite, s’en prendra dès demain à ses adversaires. En premier lieu Benflis, attaqué par le staff de Bouteflika. Ce dernier l’a d’ailleurs traité indirectement de «terroriste».
Mercenaires. Qui d’autre ferait les frais d’une chasse aux sorcières de la part d’un pouvoir qui a été brocardé sur les réseaux sociaux et dans la presse ? Les activistes de Barakat sont dans le viseur. Rarement employé en Algérie, le mot baltaguia, qui désigne les mercenaires à la solde du pouvoir de Moubarak ou du maréchal Al-Sissi en Egypte, est aujourd’hui sur les lèvres à Alger et à Constantine. Ce qui signifie que des pressions s’exercent déjà ou vont rapidement s’exercer à l’encontre des opposants et de ceux qui n’ont pas déroulé «le tapis rouge» à l’entourage du président-candidat. «Nous avons déjà eu des visites d’inconnus dans notre permanence, qui ont fait pression sur nos militants en les menaçant oralement», assure Amira Bouraoui à Libération. Cette dernière n’exclut pas que «des dossiers puissent même être montés contre certains de nos militants». A ces listes d’activistes menacés il faut ajouter les associations, les organismes, des hommes d’affaires proches de l’opposition, bref tous les membres de la société civile qui se sont opposés au «quatrième mandat».
«Les espaces de parole qui ont existé pendant la campagne vont peu à peu se restreindre. Le régime a été malmené et va siffler la fin de la récréation. C’est fini, rentrez chez vous. Le régime a eu ce qu’il voulait, il a pris toute la liberté du peuple et lui a juste octroyé un peu de sécurité», analyse Kaddour Chouicha, professeur d’université à Oran, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme. Ces dernières heures, l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep) a ainsi décidé de priver le quotidien Algérie News de publicité publique, a dénoncé un des responsables de la rédaction. La décision de l’Anep aurait un rapport direct avec la ligne éditoriale du quotidien, «opposé à la candidature de Bouteflika». Si le candidat-président reste au palais d’El-Mouradia, les chaînes privées et les quotidiens francophones, notamment El Watan et Liberté, feront aussi partie des premières victimes de la chasse aux sorcières.