Pourquoi une enquête alors que l’État, qui siège au conseil d’administration d’AEF, devrait être au courant de tout ? C’est que, s’il est présent au niveau du holding AEF, l’État est en fait absent des conseils d’administration de France 24 et de RFI. Or, c’est ici que les dépenses se décident. En déclenchant une enquête de l’IGF, François Fillon se donne le moyen de trancher sur la question au coeur du conflit professionnel entre Alain de Pouzilhac et sa numéro deux, Christine Ockrent : qui est responsable des dépassements budgétaires de France 24 ?
Ockrent aux "pouvoirs les plus étendus"
Selon Alain de Pouzilhac, les dépassements de France 24 sont de la responsabilité pleine et entière de Christine Ockrent. Pourquoi en serait-il exempté alors qu’il est P-DG du holding ? La réponse se trouve dans les procès-verbaux des conseils d’administration de France 24 que Le Point a pu consulter. Le 12 février 2009, le conseil d’administration de France 24 nomme Christine Ockrent "directrice générale investie des pouvoirs les plus étendus". C’est écrit en toutes lettres. Pouzilhac devient président non exécutif afin de se consacrer à la réforme de RFI. Toujours selon ce P-V, le mandat de Christine Ockrent est fixé pour une durée limitée à la clôture des comptes 2009. Cette clôture s’effectue environ six mois plus tard, donc à l’été 2010. Par conséquent, du 12 février 2009 à l’été 2010, Christine Ockrent est pleinement en charge de France 24, jusqu’à l’assemblée générale du 28 juillet 2010 par laquelle Alain de Pouzilhac, en ayant fini avec RFI, reprend le plein contrôle de France 24. C’est elle qui va piloter la version 2 (V2) de la chaîne.
Que s’est-il passé sous l’égide d’Ockrent ? Pouzilhac affirme que sa numéro deux lui a caché la situation en se contentant de rapports verbaux qui ne traduisaient pas la réalité de l’entreprise. Quelques P-V donnent pourtant l’alerte. Le 8 avril 2009, on apprend en lisant le P-V du conseil d’administration de France 24 que la V2 est censément "autofinancée". Mieux : Ockrent annonce qu’elle permettra une "économie de 300 000 euros". Problème : le P-V du conseil d’administration du 26 octobre 2009 fait mention d’un débord de 600 000 euros. Christine Ockrent s’engage à réduire d’autres dépenses de manière à rester à l’équilibre. Il n’est fait mention d’aucune embauche particulière.
Bisbilles autour de la version arabophone
En février 2010, Alain de Pouzilhac s’inquiète. Il constate en voyageant à l’étranger que France 24 a disparu de certains hôtels. Il adresse une note détaillée – dont dispose Le Point – à Christine Ockrent sur le fait qu’un certain nombre de dépenses prévues pour déployer France 24 ne sont pas faites, et que la chaîne s’éloigne des engagements pris avec l’État. En mai 2010, le P-V du conseil d’administration de France 24 fait état d’une remarque d’un représentant des salariés. Le dénommé Philomé Robert s’interroge sur la suppression à l’antenne des duplex vidéo qui sont systématiquement remplacés par des duplex au téléphone… Christine Ockrent répond que c’est une manière de réduire les coûts. Toujours aucune mention d’embauche particulière n’est faite.
Or, c’est la principale charge de Pouzilhac : quand il reprend les rênes, il affirme avoir retracé les dépenses et avoir découvert que Christine Ockrent avait embauché 32 personnes à la rédaction francophone, ce qui n’était pas prévu. France 24 serait donc lestée d’une masse salariale non budgétée, d’où la rallonge budgétaire demandée à l’État. Les embauches francophones auraient été effectuées au moment où il fallait recruter le personnel arabophone afin de lancer France 24 en arabe, comme il était prévu. Selon Pouzilhac, Christine Ockrent ne voulait pas lancer France 24 en arabe. Le retard pris dans les embauches a empêché le déploiement de la version arabe sur 15 heures par jour en avril 2010. En reprenant en main France 24, Pouzilhac a accéléré le processus afin de lancer en octobre 2010 la version arabe sur 24 heures.
C’est cette version de l’histoire que les inspecteurs des finances diligentés par Matignon vont devoir vérifier. Christine Ockrent, en délicatesse avec la direction d’AEF et de France 24, n’est plus apparue dans les locaux depuis quelques semaines. En revanche, avec l’aide de son avocat, elle constitue un dossier pour harcèlement moral et adresse des lettres recommandées à Alain de Pouzilhac.