Les non-sens de l’orientation des enfants d’immigrés

Une étude pointe le sentiment d’injustice des élèves issus de l’immigration face aux inégalités scolaires.

«T’as passé deux ans en troisième techno à travailler comme un fou sur du caoutchouc, c’est sûr et certain que tu veux pas être caoutchoutiste !» lançait Jamel Debbouze dans son sketch «le Conseiller de désorientation». Sur scène, ce fils d’immigrés marocains tournait en dérision le fameux entretien d’orientation dans l’enseignement secondaire : «Qu’est-ce que tu veux faire pour ton avenir ? Médecin ? T’es malade !» répondait alors le conseiller à l’élève. Pour ceux issus de l’immigration, le choix est souvent contraint, vécu comme arbitraire.

C’est ce sentiment d’injustice face aux inégalités scolaires qu’explorent Yaël Brinbaum et Jean-Luc Primon, dans l’article «Parcours scolaires et sentiment d’injustice et de discrimination chez les descendants d’immigrés». Ils s’appuient sur l’étude «Trajectoires et Origines», réalisée en 2008 auprès de 22 000 élèves issus de l’immigration qui ont effectué la totalité de leur scolarité en France. Agés de 18 à 35 ans et originaires du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne ou encore du Portugal, ils ont répondu à cette question : «Personnellement, avez-vous le sentiment d’avoir été traité différemment des autres élèves lors des décisions d’orientation, dans la notation, dans la discipline et les sanctions, dans la façon de s’adresser à vous ?»

Au premier rang des inégalités, justement, l’orientation. Moment déterminant dans la scolarité de l’élève, ce processus de décision est ressenti par 15% comme une injustice et, notamment, un descendant d’immigrés algériens sur cinq et un quart de ceux d’origine turque, marocaine, tunisienne ou d’Afrique centrale. C’est trois fois plus que dans la population. L’orientation vers des formations peu valorisées et valorisantes révèle «les décalages entre aspirations et scolarité chez ces jeunes, rapportent Brinbaum et Primon. Or, une orientation contrariée diminue les chances d’obtention d’un diplôme et contribue à expliquer les échecs dans les filières professionnelles». A noter que les enfants d’immigrés de pays européens (hors Portugal) ou d’Asie du Sud-Est, qui réussissent mieux leur scolarité, ressentent moins ces injustices.

Critères. Un traitement différentiel dans la façon dont les enseignants évaluent leurs travaux scolaires, voilà ce que ressentent aussi 8% des enfants d’immigrés. Surtout pour ceux d’origine turque (16%, soit sept fois plus que la population majoritaire). Ce n’est pas un hasard, ils sont les plus nombreux à rencontrer un échec scolaire. Dès l’école primaire, 44% d’entre eux redoublent, contre 25% dans l’ensemble de la population. Même les filles, habituellement plus qualifiées, sont touchées : elles sont aussi nombreuses que les garçons à terminer leurs études sans aucun diplôme (27%).

A l’inverse, là encore, les élèves originaires d’Asie du Sud-Est ne sont que 4% à partager ce sentiment. Ils sont proches des 2% dans la population globale – où la légitimité des critères de notation n’est pas remise en cause. Et si les hommes de façon générale perçoivent davantage d’injustices que les femmes, c’est sur la question de la discipline que l’écart se fait le plus sentir : 11% des garçons l’ont vécue comme une inégalité, pour seulement 5% des filles. Est-ce parce qu’ils sont moins sages à l’école, ou parce que l’institution ne les traite pas de la même manière ?

Saillant. Quoi qu’il en soit, les filles tirent mieux leur épingle du jeu. «A l’exception des personnes issues des immigrations turque ou algérienne, les inégalités entre descendantes d’immigrés et population majoritaires sont rares», affirme l’étude. Enfin, les échanges verbaux avec le personnel éducatif mettent tout le monde d’accord : toutes origines confondues, ils sont 9,5% à ressentir un traitement inégalitaire à ce sujet. Ce sentiment est saillant surtout dans les groupes issus d’immigration turque, maghrébine et d’Afrique sahélienne et centrale, qui déclarent le plus d’expériences d’injustices scolaires. Dans tous les cas, celles-ci sont liées à des motifs discriminatoires : 58% des descendants d’immigrés les attribuent à leur origine ou leur nationalité, et 13% à leur couleur de peau. Dans le groupe originaire d’Afrique subsaharienne, 56% estiment que la couleur est le premier mobile des injustices dont ils ont été victimes.

Bien qu’elle soit ainsi perçue comme une institution discriminante, où les différences d’origines prennent la forme de différences scolaires, l’école conserve la confiance de 86% des élèves issus de l’immigration. Mais attention : parmi ceux qui se déclarent discriminés au nom de leur origine ou de leur couleur, ils ne sont plus que 76%.

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